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La politique de sécurité s’attire les foudres de tous

L'armée suisse a une vision bien floue de l'avenir. Keystone

Le Conseil fédéral veut poursuivre sa stratégie menée en matière de politique de sécurité. Le rapport présenté jeudi se voulait un compromis bien helvétique. Mais, presque tous les partis politiques lui tombent dessus à bras raccourcis, comme la presse nationale de ce vendredi.

Parti libéral-radical (PRD), Parti socialiste (PS), Parti démocrate-chrétien (PDC), les Verts, le Groupement pour une Suisse sans armée (GSsA) éreintent le nouveau rapport sur la politique de sécurité, sur lequel le gouvernement s’était péniblement mis d’accord. Gauche et droite confondues déplorent de ne pas y trouver trace d’une évaluation précise des menaces et encore moins d’une stratégie pour y répondre.

Même ton grincheux du côté de la droite conservatrice: l’Union démocratique du centre (UDC) et l’Action pour une Suisse indépendante et neutre (ASIN) fustigent une approche «trop focalisée sur les coopérations et pactes internationaux». Seul le Parti bourgeois-démocratique (PBD) n’y voit rien à redire.

Il y a bien, enfin, la Société suisse des officiers (SSO) qui fait tache dans cette belle unanimité, se félicitant que le Conseil fédéral veuille garder le système de milice et l’obligation de servir.

«A l’Ouest, rien de nouveau»

«Aucun changement de paradigme dans la conception de la sécurité», tel est le verdict du PLR, qui considère toutefois que le Conseil fédéral est parvenu à «préserver l’essentiel». Mais regrette que le rapport «ne s’attarde ni sur des sujets évidents comme la coopération avec l’étranger ou le service long qui moderniserait le système de milice» ni sur «une conception moderne de la sécurité qui réponde aux besoins de la population.»

«A l’Ouest, rien de nouveau», ironise pour sa part le PDC. «Le rapport se borne à un simple état des lieux (…) Il manque des visions et des idées concrètes» notamment sur l’orientation, la taille et l’équipement de l’armée».

Pour le PS, la politique de sécurité du gouvernement date de vingt-cinq ans, alors que qu’«une modernisation en profondeur doit absolument être engagée, au vu de l’état sinistré de l’armée suisse».

Les Verts regrettent, entre autres, que le rapport sous-estime le danger du changement climatique dans sa liste des menaces.

De son côté, le GSsA estime que le rapport ne répond pas aux «vraies menaces actuelles, liées notamment à la cybercriminalité, à l’environnement, aux clivages Nord-Sud ou au terrorisme».

La presse implacable

«Manœuvres dans le bac à sable», «L’insécurité d’un rapport de bazar», «Modèle diffus pour l’armée», «Bric à brac sans courage», «Le fiasco de Maurer», le ton des titres de la presse de ce vendredi n’est guère plus enthousiaste.

Pour Le Matin, ce «rapport fourre-tout» part dans tous les sens: «Au final, il est impossible d’avoir une vision claire de l’armée». Pour la Berner Zeitung, «ce rapport ne vaut pas le prix du papier sur lequel il est imprimé», tant il réunit contradictions et banalités.

Le Temps, lui, note que ce rapport est «un peu à l’image des exercices militaires: beaucoup de pétards, un peu de fumée et, à la fin, tout le monde a gagné». Mais le quotidien romand relève aussi que «le rapport amorce, sous l’égide d’un ministre de la défense de la droite nationaliste, une mue douloureuse pour l’armée suisse. De milice populaire de défense territoriale, la voilà contrainte, faute d’ennemis, de se transformer en force supplétive des autorités civiles.»

Un stand de foire

A Fribourg, le commentateur de La Liberté se montre impitoyable: «Deux fois recalé par le Conseil fédéral à son examen théorique de conduite de la politique de sécurité, Ueli Maurer a présenté hier un rapport qui, dans la logique d’un stand de foire, mélange chaussettes, slips et gants en ménageant les goût et les couleurs de sept ministres.»

Le journal fribourgeois relève, comme quasiment tout le monde ce vendredi, que le ministre de la Défense ne voit pas que la seule défense du territoire ignore que l’ennemi a changé de tenue de camouflage et que les menaces d’aujourd’hui ignorent les frontières.»

A Zurich, le Tages Anzeiger redoute de voir le fossé se creuser encore entre les «traditionnalistes» favorables au maintien d’une armée classique et les «internationalistes» qui calculent le risque militaire à l’aune internationale. Le journal annonce que le «débat sera sanglant».

Même déception dans la Neue Zürcher Zeitung qui juge que «l’exercice est raté» et que le document ne contient pas grand-chose de concret. Pour le quotidien alémanique, le rapport consiste à une «simple énumération des problèmes dans le désordre», sans offrir un début de conception d’une réponse».

Pas une surprise

Pour La Regione, ce nouveau rapport sur la politique de sécurité n’est pas une surprise. «Honnêtement, on ne pouvait s’attendre à une révolution copernicienne, malgré la déception qui fuse de tous côtés. Du reste, les scénarios internationaux et nationaux n’ont pas subi de changement fondamental ces dix dernières années.»

Le Corriere del Ticino, lui, se montre pragmatique. «Ne nous berçons pas de l’illusion que les instruments essentiels d’une nouvelle politique de sécurité pourront surgir grâce à de nouvelles coupes budgétaire. (…). Il faut définir avec précision où se trouve le seuil le plus bas pour conserver un minimum de qualité. Le principe de vouloir compenser la quantité par la qualité est sûrement valable par bien des aspects, mais il a ses limites», avertit le quotidien tessinois.

Isabelle Eichenberger, Corinne Buchser, Andrea Clementi et les agences, swissinfo.ch

Minorité. Le système militaire actuel ne convainc plus la population suisse. Selon un sondage publié jeudi dans le magazine francophone «L’Hebdo», seuls 43,5% des Suisses sont favorables à l’obligation de servir. L’obligation de servir est désavouée aussi bien en Suisse francophone (seulement 32,3% d’avis positifs) que germanophone (47%).

Différences. Les femmes sont légèrement moins nombreuses à plébisciter le statu quo (40%) que les hommes (46,6%). Seuls les plus de 50 ans soutiennent encore le système actuel (53,3%). Chez les 18-34 ans et les 35-49 ans, la conscription récolte 37,6% d’avis favorables.

Professionnelle. Du côté des alternatives, les personnes interrogées penchent à 39,7% pour l’instauration d’une armée de métier. La suppression de l’armée n’en convainc que 14,6%.

Pendant la Guerre Froide, les forces armées absorbaient environ un tiers du budget fédéral. Avec près de 700’000 soldats en activité, soit plus de 10% de la population, la Suisse, petit pays neutre, possédait l’une des plus grandes armées de toute l’Europe continentale.

Le 26 novembre 1989, quelques jours après l’effondrement du mur de Berlin, une initiative favorable à la suppression de l’armée était approuvée par un tiers des Suisses. Un choc pour la classe dirigeante, qui a depuis remis fondamentalement en cause la politique de défense nationale, ouvrant un chantier aujourd’hui encore inachevé.

Le premier grand projet de réforme, baptisé Armée 95, a mené à une réduction des effectifs à 400’000 unités dans la seconde moitié des années ’90. Avec la réforme Armée XXI, entrée en vigueur en 2004, leur nombre est descendu à 120’000 soldats actifs et 80’000 réservistes. Le budget a été lui réduit à moins d’un dixième du total des dépenses fédérales.

La Confédération dépense actuellement environ 4,1 milliards de francs pour la politique de sécurité nationale, dont 3,7 milliards pour l’équipement et l’infrastructure de l’armée. Selon le ministre de la Défense Ueli Maurer, les forces armées devraient disposer de 500 à 700 millions supplémentaires pour s’acquitter de leur mandat.

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