La réprimande de l’UE aura peu d’impact sur la Suisse
Les ministres des Affaires étrangères ont adopté mardi des conclusions sur les relations entre la Suisse et l’Union européenne (UE). Bruxelles y hausse le ton, notamment sur la fiscalité des entreprises dans les cantons. Selon deux experts, cela n’aura que peu d’ incidences.
L’Union européenne a un petit ras-le bol envers la Suisse. Les ministres des Affaires étrangères l’on fait ressentir mardi, en adoptant un rapport qui tance l’élève rebelle helvétique. Le rapport prend un ton plus sévère envers le pays qu’en 2008, année de l’exercice précédent.
«Il n’est pas étonnant que le Conseil des Vingt-sept aient haussé le ton. Cela a déjà été le cas il y a quelques temps. Cet été, la ministre de l’Economie Doris Leuthard, a déjà été confrontée assez durement aux revendications de Bruxelles», relève Dieter Freiburghaus, politologue spécialiste de l’UE.
Une nouvelle épine
Dans le rapport, le problème de la fiscalité cantonale des entreprises a remplacé la pression sur la Suisse pour la levée du secret bancaire, avec l’échange automatique d’informations.
«La semaine dernière, l’UE a décidé de ne plus parler d’échange automatique d’informations avant 2017. La Suisse n’a plus du tout le couteau sur la gorge, le secret bancaire est sauvé pour ces prochaines années, reste l’épine de la fiscalité cantonale des entreprises», note René Schwok, maître d’enseignement à l’Institut européen de l’Université de Genève.
En ligne de mire de l’UE, les régimes fiscaux cantonaux favorables aux holdings, assimilés à des aides d’Etat qui entraînent une concurrence déloyale. Si dans d’autres endroits, comme à Jersey, paradis fiscal en Angleterre, les holdings bénéficient également d’allégements fiscaux, Dieter Freiburghaus note que le cas de la Suisse, avec ses disparités cantonales, est spécial. «L’UE reproche avant tout à la Suisse une subvention qui déforme la concurrence entre les places.»
Agacement
Un reproche qui n’est pas nouveau, puisque, comme le soulignent les deux experts, le thème occupe déjà l’UE depuis quatre ans. Mais Bruxelles en a désormais marre de cette Suisse qui essaie de gagner du temps.
Ainsi le Conseil des Vingt-Sept exhorte la Commission européenne à convaincre la Suisse à appliquer le code de conduite que l’UE a adopté en 1997 dans le domaine de la fiscalité des entreprises.
«Un jour ou l’autre, Bruxelles va certainement finir par faire plier Berne. Soit la Suisse va adopter le code de conduite, soit elle va faire des concessions. Elle va être contrainte de trouver une solution. Par exemple, baisser la fiscalité pour les entreprises suisses et l’augmenter pour les entreprises étrangères. Dans tous les cas, la difficulté sera de pallier au problème du manque à gagner pour les cantons», estime René Schwok.
L’UE semble vouloir secouer cette Suisse qui fait du surplace depuis des années. Mais, selon les deux experts, le pays n’a pas de réelles inquiétudes à avoir. L’Union européenne n’est pas pressée, sans compter qu’elle possède une foule de problèmes internes à résoudre.
La Suisse a, donc, encore une marge de manœuvre pour jouer quelques cartes dans cette partie de poker. Autant sur la fiscalité des entreprises, que sur la reprise de l’évolution de l’acquis communautaire (Ndlr: socle commun de droits et d’obligations qui lie l’ensemble des Etats membres de l’UE), deuxième nœud gordien.
Sauver la face
En effet, dans son rapport, l’Union européenne demande une nouvelle fois à la Suisse de reprendre automatiquement l’évolution de l’acquis communautaire, comme le font les pays membres de l’Espace économique européen (EEE), par exemple la Norvège et l’Islande. Un point sur lequel la Suisse ne veut pas céder, au nom de la souveraineté étatique et de l’autonomie.
Dans un rapport paru à la fin du mois d’octobre, le Conseil fédéral (gouvernement) propose d’ailleurs de résoudre cette question en établissant un modèle d’accord du type de celui intitulé «24heures».
Cet accord pose que la Suisse reprend l’évolution de l’acquis communautaire, comme le souhaite l’UE. Mais, le pays peut faire passer l’évolution devant son Parlement et même utiliser les mécanismes de la démocratie directe si nécessaire. Si l’évolution n’est pas acceptée, l’UE peut prendre des mesures de représailles, mais elles doivent être proportionnées et soumises à un tribunal indépendant.
«Cet accord, avec un texte ambigu, permettrait de sauver la face. Dans les prochains mois le but de la Suisse est de vendre ce modèle à l’UE. Pour l’instant celle-ci y est opposée, mais si la Suisse cède sur la fiscalité cantonale, elle sera peut-être plus souple sur l’accord ‘24heures’», relève René Schwok.
En position de force
Selon les deux spécialistes, les réponses quant à l’avenir des relations entre l’UE et la Suisse n’interviendront pourtant pas avant 2011, année des élections fédérales.
«Dans les années électorales, comme 2011, la Suisse met régulièrement le dossier de l’UE dans le congélateur. Car le thème est incommode pour tous les partis, excepté pour le parti de l’Union démocratique du centre (UDC/droite conservatrice)», souligne Dieter Freiburghaus.
Finalement, les deux experts concluent que le rapport n’aura que peu d‘incidence sur la Suisse. Surtout que, selon René Schwok, le pays est dans une position de force par rapport à 2008.
«La Suisse a actuellement une très bonne situation financière et économique, alors que plusieurs membres de l’UE sont en mauvaise posture. Et l’UE a besoin d’elle pour jouer le rôle de ‘banquier’.»
Divergences. Réagissant au rapport, le Département des affaires extérieures estime dans une prise de position que «les accords bilatéraux existants fonctionnent, dans l’ensemble bien», mais qu’au vu de l’intensité des relations bilatérales CH-U, il est normal que diverses questions concrètes relatives à l’application de ces accords doivent être régulièrement discutées.
Fiscalité. Sur la question de la fiscalité des cantons, Berne affirme avoir proposé des solutions constructives, qui ont «cependant été rejetées par au moins un Etat membre de l’UE». Et de souligner que la Suisse se montre également constructive dans d’autres domaines de la politique fiscale, s’agissant notamment d’une éventuelle révision de l’accord bilatéral sur la fiscalité de l’épargne».
Accords bilatéraux. La Suisse rappelle que le Conseil fédéral a décidé le 18 août de poursuivre ses relations avec l’UE sur la base d’accords bilatéraux sectoriels. Elle souligne également qu’un groupe de travail informel Suisse-UE a été institué afin d’étudier «les réglementations institutionnelles horizontales de futurs accords avec l’UE». La solution devra «tenir compte de la souveraineté des deux parties et du bon fonctionnement de leurs institutions respectives», dit encore la prise de position.
Février 2009: UBS est autorisée par Berne à livrer aux Etats-Unis l’identité de 255 clients qu’elle a aidé à échapper au fisc, en violation de la loi sur le secret bancaire.
Mars 2009: dans le collimateur de l’OCDE, Berne assouplit le secret bancaire en suivant les standards en matière d’échange d’informations.
Avril 2009: le G20 place la Suisse sur une liste grise des paradis fiscaux prêts à faire des efforts en matière d’échange d’informations.
Août 2009: Suisse et Etats-Unis trouvent un accord sur UBS. Les Américains ne chercheront plus à obtenir l’identification de 52’000 titulaires. Une entraide administrative est décidée sur 4450 comptes.
Septembre 2009: après avoir signé 12 conventions élargies de double imposition, la Suisse est biffée de la liste grise de l’OCDE.
Novembre 2009: le gouvernement propose au parlement de soumettre les nouveaux accords de double imposition au référendum facultatif. L’UE reporte à 2010 un projet d’accord sur la fiscalité de l’épargne impliquant l’échange automatique d’informations.
Position officielle: la Suisse est décidée à refuser cet échange automatique. L’entraide administrative est accordée au cas par cas, en réponse à des demandes concrètes et justifiées. L’échange est limité aux impôts couverts par les conventions de double imposition concernées.
avec la collaboration d’Alexander Kuenzle
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