La redevance passe mais le service public reste sous pression
L’acceptation par moins de 4000 voix d’écart du nouveau système de perception de la redevance n’a pas permis d’apaiser le débat électrique sur la définition du service audiovisuel public helvétique. La presse de ce lundi réclame la reprise rapide des discussions politiques.
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Journaliste et responsable adjoint de la rédaction regroupant les trois langues nationales de swissinfo.ch (allemand, français, italien). Précédemment au Teletext et à rts.ch.
«C’est une gifle pour la SSR! La redevance radio et TV baisse de 462 à 400 francs et malgré cela, les Suissesses et les Suisses n’ont accepté la nouvelle loi que d’un cheveu». A l’instar du quotidien de boulevard germanophone Blick, la plupart des éditorialistes estiment que la Société suisse de radiodiffusion (SSR), dont swissinfo.ch fait partie, ne sort pas renforcée de la victoire sur le fil obtenue dimanche par les partisans de la révision de la loi sur la radio et télévision (LRTV). Bien au contraire.
«Feu orange», pour la SSR, titre ainsi Le Temps, pour qui le débat doit se poursuivre rapidement. «Avec 50,08% de oui et moins de 3700 voix d’avance, le vote sur la LRTV en appelle un autre plus fondamental sur la définition d’un service public en phase avec son époque. Le grand brouillage des cartes de la SSR, qui mêle à ce sujet concurrence des chaînes de TV étrangères et influence des géants du Web sans jamais parler de contenu qu’elle doit produire, n’augure rien de bon».
L’Express de Neuchâtel estime pour sa part que la SSR, «après avoir senti passer le vent du boulet, doit maintenant se remettre en question, se réformer, réduire ses structures hypertrophiées». Le Bund se montre plus péremptoire encore. «La SSR doit maintenant épargner», titre le quotidien bernois, ceci notamment «par respect pour tous les non-utilisateurs de la SSR qui seront contraints de payer la redevance à l’avenir et les nombreuses personnes qui ont glissé un ‘non’ dans les urnes».
Internet au cœur des enjeux
Certes, la Suisse fédérale et multiculturelle a besoin de la SSR, poursuit le St.Galler Tagblatt, et une grande majorité de la population en est convaincue. «Mais elle n’a pas besoin d’un groupe de presse toujours plus imposant qui empiète sur le terrain des médias privés grâce à la manne énorme de l’Etat. C’est vrai en particulier sur Internet».
Même son de cloche dans la Tribune de Genève, pour qui «le résultat serré d’hier prouve la nécessité d’une réflexion approfondie sur le rôle des médias publics à l’heure d’Internet. Il montre aussi l’existence, dans une partie de la population, d’une forte méfiance envers un ‘mammouth’ gagné, aux yeux de ses contempteurs, par la bureaucratie et l’embonpoint.»
Pour la Neue Zürcher Zeitung (NZZ) également, la SSR devra faire face à l’avenir à des vents contraires de plus en plus forts. Le quotidien zurichois rappelle notamment qu’une initiative populaire visant à abolir purement et simplement la redevance a de bonnes chances d’obtenir les 100’000 signatures nécessaires à son dépôt auprès de la chancellerie fédérale. Même s’il paraît peu probable aux yeux de la NZZ que le peuple décide de supprimer la SSR, «un débat difficile attend ses partisans dans le cadre de la renégociation de la concession, qui expire en 2017».
Une campagne «dégoûtante»
En Suisse germanophone, où la campagne à l’encontre de la SSR fut la plus virulente, seule la Südostschweiz ose ouvertement dénoncer le comportement des référendaires, évoquant une campagne «dégoûtante» et marquée par la «désinformation». Les voix critiques sont en revanche plus nombreuses en Suisse francophone, où mis à part le Valais, tous les cantons ont approuvé la révision de la LRTV.
Le Journal du Jura tire ainsi à boulets rouges sur l’Union suisse des arts et métiers (USAM) et l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice), dont les «arguments trompeurs» ont bien failli l’emporter. «Ce qui est grave, c’est qu’à part Bâle-Ville et les Grisons, ce discours populiste a séduit tous les cantons alémaniques – Berne compris, qui se flatte pourtant d’avoir une oreille attentive pour les francophones et joue sur son image de pont entre Romands et Alémaniques. A l’évidence, la défense d’un soutien aux minorités latines n’a pas pesé très lourd face aux contrevérités assénées par la droite ultralibérale».
Même son de cloche dans Le Matin, qui dénonce une campagne d’une violence totalement exagérée. «L’appareil UDC en tête et une partie de la presse n’ont cessé de taper sur le service public et sa mission, alors que ces derniers n’étaient pas directement le sujet», rappelle le quotidien édité à Lausanne.
La fin de l’âge d’or
La Liberté craint quant à elle que le nouveau débat sur le service public n’accouche d’une remise en question des mécanismes de solidarité entre les régions linguistiques du pays, puisque la Suisse latine bénéficie à l’heure actuelle de prestations bien supérieures à ce qu’elle paie.
«Ce qui fonde le génie suisse, déjà miné sur plusieurs fronts (apprentissage des langues nationales, relations avec l’Union européenne…), serait une nouvelle fois ébranlé par la coalition des égoïsmes et du nationalisme politique. La fin de l’âge d’or de la SSR coïnciderait alors avec un nouveau déclin de la cohésion du pays», estime le quotidien fribourgeois.
Une loi plébiscitée par la diaspora
Les Suisses résidant à l’étranger se sont exprimés clairement en faveur de la révision de la loi sur la radio et la télévision (LRTV). C’est ce qui ressort des données fournies par les cantons dans lesquels les voix des expatriés sont comptabilisées séparément, à savoir Argovie, Bâle-Ville, Fribourg, Lucerne, Saint-Gall, Thurgovie, Uri, Valais, Vaud et Zurich.
Dans ces dix cantons, la diaspora a approuvé la nouvelle loi, alors qu’en tenant compte de l’ensemble des citoyens, le texte n’a décroché une majorité que dans les cantons de Bâle-Ville, Fribourg et Vaud.
Les Suisses de l’étranger ne sont pas tenus de payer la redevance radio-tv. Les expatriés suisses qui veulent suivre les programmes de la SSR en français, allemand et italien peuvent le faire via satellite en se procurant une carte Sat AccessLien externe. Cette offre coûte 120 francs par année (auxquels il faut ajouter 60 francs pour l’achat de la carte). A noter que, désormais, les pays européens y appliquent la TVA, ce qui majore son prix de de 9 à 20%.
Près de 740’000 Suisses vivent actuellement à l’étranger. Parmi eux, 155’000 sont inscrits sur les registres électoraux et participent régulièrement aux votations et aux élections fédérales.
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Le peuple vote le 14 juin sur la révision de la Loi sur la radio et la télévision. Pour ses détracteurs, cette révision représente un nouvel impôt pour financer la SSR. Pour ses partisans, il s’agit d’une taxation plus juste et plus adaptée aux nouvelles habitudes de consommation.
«Il est judicieux de passer d’un système où l’on taxe l’utilisation d’un récepteur à un système où l’on taxe chaque ménage. De nos jours, en effet, on ne capte plus les émissions uniquement avec des transistors et des télévisions, mais également avec plein d’autres appareils dont nous avons presque tous un exemplaire en poche», déclare le député libéral-radical (PLR / droite) Kurt Fluri, partisan de la révision.
«Avoir la possibilité technique de visionner quelque chose sur sa tablette ou son smartphone ne veut pas dire qu’on va effectivement le faire. Il est purement et simplement injuste que cette redevance se transforme de fait en un nouvel impôt», rétorque le conseiller national démocrate du centre (UDC / droite conservatrice) Roland Büchel, qui s’oppose à la révision.
De quoi s’agit-il? En principe, quiconque veut regarder la télévision ou écouter la radio en Suisse doit payer une redevance. La majeure partie de l’argent récolté revient à la Société suisse de radiodiffusion et télévision (SRG SSR), dont fait aussi partie swissinfo.ch. En contrepartie, la SSR a un mandat de service public, ce qui signifie qu’elle doit utiliser cet argent aussi dans les zones linguistiques moins peuplées (les zones de langue française, italienne et romanche). La révision ne change rien à ce principe de base.
Règlementation dépassée
Actuellement, les ménages ne possédant pas de radio ou de télévision peuvent être dispensés de la redevance. Billag, la société chargée de la percevoir pour le compte de la Confédération, peut effectuer des contrôles pour déterminer si les ménages qui le doivent passent bel et bien à la caisse. Les resquilleurs payent une amende. Quant aux entreprises, elles doivent aussi payer la redevance, sauf si elles déclarent n’avoir ni radio ni télévision.
Pour le gouvernement et une majorité du Parlement, cette règlementation est dépassée et anachronique. En effet, il y a bien longtemps déjà que les émissions de télévision et de radio peuvent être aussi captées avec un ordinateur, une tablette ou un smartphone. Le passage à un système où la taxation se fait indépendamment du type d’appareil de réception est donc logique, nécessaire et conforme à l’époque, plaident-ils
Un nouvel impôt?
Le Parlement a accepté la révision de la Loi fédérale sur la radio et la télévision (LRTV) le 26 septembre 2014, par 137 voix contre 99 et 7 abstentions. Cela signifie que tous les ménages et toutes les entreprises devront à l’avenir payer la redevance. Une exemption est toutefois prévue pour les entreprises ayant un chiffre d’affaires annuel inférieur à 500'000 francs, pour les bénéficiaires de prestations (sociales) complémentaires et pour les personnes résidant dans une maison de retraite. Par ailleurs, les ménages qui peuvent prouver qu’ils n’ont ni radio, ni télévision ni Internet pourront encore être exemptés de redevance pendant cinq ans.
La brochure explicative fait débat
Les explications du Conseil fédéral concernant la redevance radio-tv ne sont pas du goût de l'Union suisse des arts et métiers (USAM). L'association économique, qui fait feu de tout bois depuis des mois contre la généralisation de la taxe, a déposé plainte contre le texte de la brochure explicative du Conseil fédéral.
L'USAM, qui a lancé le référendum contre cette révision de la loi et qui n'accepte entre autres pas que les entreprises continuent d'être assujetties, crie au mensonge. Selon elle, les «indices montrent clairement que la SSR aura besoin à l'avenir de recettes accrues» et que la redevance «atteindra 1000 francs par an et par ménage», a-t-elle indiqué dans un communiqué.
Selon elle, cette information est objective. Pour l'USAM, pas question d'ajouter «selon le comité référendaire» à l'affirmation d'un risque de hausse. La Chancellerie fédérale rejette catégoriquement les accusations de l'association. Elle n'a fait que s'assurer que les citoyens sachent qui est à l'origine de l'estimation sur le développement de la taxe, a-t-elle indiqué à l'ATS.
Source: ATS
Mais l’Union suisse des arts et métiers (USAM) – l’organisation faîtière des PME suisses – a lancé avec succès le référendum, raison pour laquelle le peuple doit se prononcer le 14 juin. Selon l’USAM, l’Etat veut introduire un «nouvel impôt médiatique» avec ce changement de système. «Peu importe si quelqu’un possède un appareil de réception, s’il suit des émissions de radio ou de télévision et même s’il est en mesure d’entendre ou de voir les programmes; tout le monde doit payer ce nouvel impôt forcé», dénonce l’organisation.
Concrètement, l’USAM s’élève contre le fait qu’à l’avenir, les entreprises soumises à la redevance seront enregistrées par le biais du registre des entreprises soumises à la taxe sur la valeur ajoutée et les ménages par celui du contrôle des habitants. Beaucoup d’entreprises ne payent jusqu’à présent pas la redevance. Avec le changement de système, toutes devront à l’avenir le faire, dénonce l’organisation.
Une vision des choses contestée par les partisans de la révision. Selon eux, 75% des entreprises ne payeront pas la redevance, étant donné qu’il faut un chiffre d’affaires d’au moins 500'000 francs par an pour y être assujetti. Par ailleurs, le changement de système entraîne une répartition plus favorable aux consommateurs, selon eux.
Moins chère
Le changement de système devrait être financièrement neutre. Ce que les entreprises payeront en plus devrait être compensé par une baisse de la redevance pour les ménages, qui passera de 462 francs par an actuellement à environ 400 francs, prévoit le gouvernement.
Les adversaires de la réforme critiquent le fait que la hausse ou la baisse du montant de la redevance reste de la compétence du gouvernement. Ils s’attendent à ce que son prix augmente au cours des prochaines années.
«C’est très clairement un nouvel impôt que l’on nous vend sous son jour le plus favorable en disant qu’il ne coûte que 400 francs. Mais ce n’est écrit nulle part dans la loi. Or l’expérience des années passées montre que le gouvernement a tendance à augmenter les taxes», déclare Roland Büchel.
Les partisans de la réforme rétorquent que l’augmentation durable de la population implique logiquement le maintien d’une redevance basse. «Une redevance n’est pas un impôt. Une redevance doit correspondre aux prestations. Si les revenus augmentent en raison du développement démographique, la redevance doit alors être abaissée», argumente Kurt Fluri.
Double imposition
Cet «impôt forcé» est une «arnaque» et équivaut à une «double imposition», dénonce l’USAM. «Tout le monde devra payer en tant que personne privée. Les entrepreneurs, les dirigeants mais aussi les collaborateurs d’entreprises même modestes seront doublement ponctionnés», critique l’organisation.
Pour la partie adverse, il est «juste et approprié» que les entreprises passent aussi à la caisse. «Si l’on voulait suivre la logique de l’USAM, les entreprises devraient alors être exonérées de tous les impôts, taxes et redevances», relèvent les partisans de la réforme.
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