La Suède en lutte contre l’évasion fiscale
La Suède essaie tant bien que mal de lutter contre l’évasion fiscale. Depuis la crise financière, elle bénéficie du renforcement de la coopération internationale, qui rend plus difficile de cacher de l’argent à l’étranger, et notamment en Suisse. Mais la bataille est loin d’être gagnée.
Ingvar Kamprad (le fondateur d’IKEA) sur les hauteurs de Lausanne, la famille Rausing (propriétaire de Tetra Pak) près de Montreux, moult sportifs à Monaco…
La liste des Suédois ayant choisi de s’exiler pour éviter d’avoir à payer des impôts dans leurs pays ne se limite pas à ces célébrités. Il est vrai que le royaume est, avec son voisin danois, l’Etat qui a la fiscalité la plus lourde de tous les membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
D’autres, comme Björn Ulveus, de l’ex-groupe pop ABBA, continuent à vivre en Suède mais se débrouillent, par divers moyens, pour soustraire une partie de leurs revenus au fisc local, en les plaçant en des lieux plus accommodants.
Luthérien, égalitariste
Pour les autorités d’un pays luthérien se voulant égalitariste comme la Suède, une telle démarche n’est pas seulement condamnable d’un point de vue moral (chaque citoyen, estime-t-on, est censé participer par l’impôt au financement de l’Etat-providence qui, en contrepartie, doit bénéficier à tous).
Elle représente aussi un manque à gagner important. L’Office suédois des impôts estime qu’en moyenne 46 milliards de couronnes (6,5 milliards de CHF) disparaissent chaque année «pour cause de transactions internationales». Soit un tiers des pertes enregistrées par le fisc. La principale fuite a lieu dans le royaume même, où le travail au noir est vivace, malgré le civisme réputé des Suédois.
Le problème pour l’Etat suédois n’est pas nouveau. Ingvar Kamprad, par exemple, a quitté le royaume dès 1973, d’abord pour le Danemark puis pour la Suisse. Mais, reconnaît Göran Haglund, du bureau international de l’Office des impôts, «le phénomène a pris de l’ampleur à la faveur de la mondialisation, de la multiplication des paradis fiscaux et de la sophistication grandissante des moyens disponibles pour y transférer discrètement des fonds», qu’ils soient d’origine légale ou non.
Face à cette réalité, les autorités suédoises ont eu du mal à suivre, confrontées qu’elles étaient au peu d’empressement à coopérer des pays abritant les fonds envolés.
Unir les capacités de persuasion
Toutefois, se réjouit Göran Haglund, les choses évoluent, au fur et à mesure que la pression internationale augmente sur les pays offrant des taux d’imposition particulièrement faibles ou le secret bancaire, telle la Suisse. C’est le cas en particulier depuis la crise financière de 2008.
Mais le mouvement a commencé avant. Deux ans plus tôt, la Suède et les autres pays nordiques – tous adeptes d’une fiscalité forte – ont décidé d’unir leurs capacités de persuasion pour négocier des accords d’échange d’informations avec des paradis fiscaux et autres territoires ou pays offrant divers moyens d’échapper au fisc.
Cette offensive a incité des Suédois à contacter l’Office des impôts pour «régulariser leur situation», indique Göran Haglund sans pouvoir préciser combien viennent de Suisse.
En revanche, contrairement au Danemark, à la Finlande et à la Norvège, la Suède n’a pas conclu d’accord récent avec la Suisse. Celle-ci s’était empressée, il y a un an, de signer de tels accords pour pouvoir sortir de la «liste grise» des paradis fiscaux sur laquelle l’OCDE l’avait placée en avril 2009.
C’est donc un ancien accord, mal adapté à la nouvelle donne, qui continue de régir les relations dans le domaine entre Stockholm et Berne. En attendant la signature d’un nouveau texte qui, à en croire l’ambassade de Suisse en Suède, ne dépend plus que de la disponibilité des uns et des autres.
L’impact des prochaines élections
De même source, on note que la préparation dans le royaume des élections législatives du 19 septembre prochain a ralenti le processus. Les esprits sont ailleurs, côté suédois. Au pouvoir depuis l’automne 2006, la coalition de centre-droite dirigée par le conservateur Fredrik Reinfeldt est engagée dans une joute très serrée face à l’opposition emmenée par les sociaux-démocrates.
Peu après son arrivée aux affaires, ce gouvernement avait pris une décision controversée, dans le but de favoriser le retour des évadés fiscaux: l’abolition de l’impôt sur la fortune. Aujourd’hui, le bilan est mitigé dans ce domaine. Au ministère des finances, on a du mal à mesurer l’impact de cette décision en termes de rapatriement de capitaux. Quant à l’amnistie fiscale prônée par l’un des petits membres de la coalition dite «bourgeoise», elle n’a pas été accordée.
Si la nasse se resserre peu à peu sur les adeptes de l’évasion fiscale, l’Office des impôts, lui, ne se fait guère d’illusions. «Les fraudeurs ont un temps d’avance et nous n’avons pas assez de moyens», regrette un responsable. Cet organe a dû réduire son personnel, ce qui affecte ses efforts contre l’évasion fiscale. Et, fait valoir un observateur étranger, ce n’est pas une réintroduction de l’impôt sur la fortune, évoquée par l’opposition en cas de victoire le 19 septembre, qui arrangera les choses.
Antoine Jacob, Stockholm, swissinfo.ch
La Suisse figurait en 2008 au 3ème rang des pays dans lesquels l’Office suédois des impôts a débusqué le plus de fraudeurs fiscaux originaires du royaume, d’après ses propres recherches effectuées cette année-là.
Cinquante-et-un citoyens suédois ayant cherché à dissimuler de l’argent en Suisse ont alors été épinglés par le fisc: ils ont dû rembourser des sommes non-déclarées et s’acquitter d’une rallonge de 40% en guise de sanctions.
La Suisse était seulement dépassée par le Luxembourg et l’île de Man. Au total, le fisc suédois a récupéré à l’étranger 596 millions de couronnes (80 millions de CHF) en 2008, soit une hausse de 15% par rapport à l’année précédente.
A la date du 18 août 2010, la Suède avait signé 23 accords d’échange d’informations avec des paradis fiscaux et apparentés, dont l’île de Man, Jersey et Guernesey, Monaco, les îles Caïman, les Bermudes, les Antilles néerlandaises et les îles Vierges britanniques. Mais pas avec la Suisse, ni le Liechtenstein ni Andorre.
Le manque à gagner total de la fraude fiscale (évasion vers l’étranger et en Suède même) représente environ 10% des recettes que le fisc suédois devrait normalement engranger, si chaque citoyen et entreprise payait ses impôts comme il se doit, soit environ 5% du PNB, d’après les estimations de l’Office des impôts.
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