La Suisse convainc l’OCDE, l’Autriche moins
La Suisse agit avec beaucoup de sérieux, se félicite le responsable de la coopération internationale et de la compétition fiscale à l'OCDE, Pascal Saint-Amans. Le point de la situation à quelques jours de l'ouverture du G20, à Pittsburgh.
Demandez à Pascal Saint-Amans avec quels Etats les îles Caïmans ont signé des conventions de double imposition, il vous répondra sans la moindre hésitation. Pour peu, il vous préciserait la date et l’heure de la signature, voire la météo à George Town. Normal, c’est son pré-carré.
Avec ses lunettes et sa coupe à la Yves Saint-Laurent, Pascal Saint-Amans passerait inaperçu dans les défilés de haute couture parisienne. Pourtant, ses modèles à lui sont purement fiscaux: il est responsable de la coopération fiscale à l’OCDE.
Le Luxembourg? Il a révisé plus de 12 accords de double imposition et est ainsi sorti, comme le veut la règle établie au printemps, de la «liste grise» de l’OCDE. La Suisse? «Le gouvernement helvétique agit avec beaucoup de sérieux. Les Etats avec lesquels il a signé de nouveaux accords sont ses voisins ou ses partenaires économiques – les Etats-Unis, la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Espagne etc. – c’est-à-dire son marché».
Pascal Saint-Amans est bien plus sceptique à l’égard de l’Autriche. «Sur 12 conventions, huit concernent des paradis fiscaux. Cela n’est pas très bon signe.» Vienne a pourtant rejoint ces derniers jours la «liste blanche» de l’OCDE…
Les progrès suisses remarqués au G20?
Jeudi prochain, les Etats du G20 se retrouveront à Pittsburgh pour faire le point sur la lutte contre l’évasion fiscale. Les progrès de la Suisse devraient être remarqués. Le président Hans-Rudolf Merz a promis dans Le Temps que le pays rejoindrait la liste blanche avant la fin de l’année.
«Le G20 n’a pas grand-chose à décider en matière fiscale, note Pascal Saint-Amans. Juste le début de la phase numéro deux.» Soit le contrôle des progrès en cours. Pascal Saint-Amans estime que la Suisse profitera des nouvelles règles établies par l’OCDE. En deux mots: les quelque 90 États membres du Forum mondial sur la transparence et l’échange d’informations se jugeront mutuellement. Chaque pays verra sa politique fiscale examinée par ses pairs, sur trois ans. Un groupe d’évaluation, composé de 30 Etats, conduira le processus de surveillance continue.
Cercle vertueux
«Deux types de logiques financières se complèteront pour lutter contre l’évasion fiscale, parie Pascal Saint-Amans. D’abord, la crainte des pertes de matières taxables, celle des pays où sévit aujourd’hui l’évasion fiscale. Ensuite une logique concurrentielle, qui fera des Etats comme la Suisse les gardiens intransigeants des règles de l’OCDE.»
Un cercle vertueux en somme. Un scénario qui fait parfois sourire (jaune) en Suisse, où l’on craint de pâtir de la nouvelle donne, davantage que les concurrents britannique et américain.
Un homme qui connaît bien la Suisse
L’homme qui présidera le groupe d’évaluation connaît bien la Suisse. François d’Aubert a vécu à Zurich entre 14 et 18 ans. Il y a fait son école secondaire. «Pas au Rosey, précise l’intéressé (l’école de la jet-set internationale, NDLR.) mais dans un modeste établissement.» Il a même joué dans le club de football des Grasshopper, en juniors, «sans y laisser une trace mémorable», reconnaît l’ancien ministre de gouvernements de droite.
«La Suisse a pu, parfois à juste titre, se plaindre d’être traité injustement. Désormais, les pays seront examinés sur un pied d’égalité. Le processus d’évaluation mutuelle constitue en cela une garantie», estime l’ancien maire de Laval. Le processus d’évaluation comprendra deux phases. Dans la première, on examinera les législations en matière de coopération fiscale, dans la seconde leur application.
Pris au piège
Ironie de l’histoire: ces règles «équitables», ce qu’on appelle en anglais «level playing field», les petits paradis fiscaux les réclamaient depuis longtemps, non sans hypocrisie, relève Pascal Saint-Amans. «Ils disaient: on avancera quand les grands avanceront.» Aujourd’hui, ils se sentent piégés.
«Le secret bancaire condamné, l’opacité combattue, ce sont les places financières les plus expérimentées, comme la Suisse, qui pourraient tirer leur épingle du jeu», rassure Pascal Saint-Amans.
L’imposition à la source, une idée saugrenue
Certaines «lubies» helvétiques laissent pourtant ce dernier songeur. Jeudi dernier, l’Association suisse des banquiers a proposé d’imposer à la source les revenus de la fortune des clients résidant à l’étranger, et de reverser cet argent aux pays concernés.
En deux mots: de dissocier la soustraction fiscale et le secret bancaire. «Cette idée m’étonne, de la part d’un pays extrêmement jaloux de sa souveraineté, remarque Pascal Saint-Amans. Car au final, taxer à la source aboutira à une sorte d’harmonisation fiscale de la Suisse sur ses voisins.»
Pourquoi alors cette idée? «Les Suisses redoutent plus que tout l’échange automatique d’informations, qui n’est pourtant pas un ordre du jour. Ce qui prévaut, c’est l’échange d’informations sur demande», rappelle Pascal Saint-Amans.
Mathieu van Berchem, Paris, swissinfo.ch
Dans son dernier rapport, l’OCDE souligne que «le secret bancaire ne pourra bientôt plus servir à dissimuler la fraude fiscale». Il note aussi que «les normes en matière de transparence et d’échange de renseignements, dont l’OCDE était l’initiatrice, sont désormais adoptées presque partout dans le monde, et que des progrès spectaculaires ont déjà été accomplis vers leur pleine application».
«Nous assistons à rien de moins qu’une révolution. En s’attaquant aux défis posés par le côté obscur des systèmes fiscaux, la campagne en faveur d’une transparence fiscale mondiale est en plein essor. Nous nous sommes dotés des moyens institutionnels pour poursuivre cette campagne. Face à la crise, l’opinion publique internationale attend beaucoup et ne tolérera aucun écart», déclarait récemment le Secrétaire général de l’OCDE, Angel Gurria.
La liste noire de l’OCDE regroupe les Etats qui n’ont pas montré le moindre signe de progrès en matière de coopération fiscale. Elle est vide en ce moment (voir le dernier rapport d’étape).
La liste grise rassemble ceux qui ont promis de se plier aux règles de l’OCDE mais qui n’ont pas encore signé de nouvelles conventions avec au moins douze Etats. Celle-ci comprend notamment la Suisse, le Liechtenstein, Monaco ou encore les Philippines.
La Belgique, le Luxembourg et l’Autriche ont désormais rejoint la liste blanche.
Mais les critères vont changer. Il ne suffira plus de signer douze conventions et de prouver sa bonne volonté. Il s’agira de démontrer que l’on lutte efficacement contre l’opacité en matière fiscale.
Le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements va mettre en place «un processus solide, complet et universel de suivi et d’examen par les pairs afin de s’assurer que les membres mettent en œuvre leurs engagements». Un premier rapport de suivi des progrès accomplis sera publié d’ici la fin de 2009.
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