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La Suisse croit à la moralisation des marchés pétroliers

La Suisse n'a ni pétrole ni accès à la mer, mais l'argent de l'or noir y est très présent. Keystone

Berne s'associe à une trentaine d'Etats, des entreprises et des ONG pour assurer une meilleure transparence du marché de l'or noir. Cela à travers une plateforme qui doit encore démontrer son emprise sur les transactions pétrolières qui passent souvent par la Suisse.

La place financière helvétique est un des principaux carrefour pour l’argent du pétrole dans le monde. Rien d’étonnant donc que le gouvernement, via son Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO), adopte cette semaine l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives / Extractive Industries Transparency Initiative (EITI).

«En devenant membre de cette plateforme, qui réunit gouvernements, sociétés pétrolières, organisations internationales et ONG, la Suisse s’engage à contribuer à une gestion plus transparente du pétrole dans le monde», explique Caroline Morel, directrice de Swissaid. Cette ONG, déjà très engagée dans cette problématique notamment au Tchad, organisait mardi une conférence internationale à Zurich sur la répartition des pétrodollars dans le monde.

«La Suisse versera environ 1,8 million de dollars par an au secrétariat de l’EITI et à la Banque mondiale pour soutenir les pays producteurs qui souhaitent se conformer aux critères de transparence de l’organisation», confirme Lukas Siegenthaler, responsable du secteur Institutions financières multilatérales au SECO.

«Quelque 3,5 milliards de personnes vivent dans des pays riches en pétrole, gaz et minerais, rappelle Catherine Morand de Swissaid. En général, les populations ne profitent guère des bénéfices de ces revenus qui empruntent souvent des canaux opaques. En adhérant à une telle initiative, les gouvernements et les sociétés pétrolières s’engagent à rendre public leurs revenus. Les populations peuvent donc demander des comptes à leurs responsables. Ce genre de transparence contribue à neutraliser les phénomènes tels que milices armées au Nigeria qui sèment la terreur et font fuir les investisseurs.»

Une question de volonté politique

Mais un pays enfoncé jusqu’au cou dans la misère peut-il inverser le processus et se développer grâce à ses richesses naturelles? Absolument! Tout est question de volonté politique.

Pour preuve, le Botswana. Son ex-président Festus Mogae est venu en personne à Zurich expliquer comment son pays d’Afrique australe, l’un des plus pauvres du monde au sortir de la colonisation en 1966, est devenu un des Etats les plus prospères du continent. Et cela, grâce à une exploitation transparente des diamants.

Les revenus tirés de l’exploitation ont été réinvestis dans des programmes tels que la formation ou la santé. «C’est ainsi que nous avons réussi à transformer la malédiction des ressources naturelles en une bénédiction», a-t-il clamé à Zurich. Festu Mogae a reçu le prix Mo Ibrahim de la bonne gouvernance en Afrique.

Une décision très positive

Egalement présent à la conférence, Peter Eigen, le président de l’EITI, a tenu à souligner l’importance de l’adhésion de pays comme la Suisse à une telle initiative. «En montrant l’exemple, la Suisse incite ses entreprises à se conformer à nos standards, relève-t-il. De plus, la Suisse s’engage à apporter une assistance technique aux pays qui en ont besoin.»

Du terrain, la décision de Berne est aussi perçue comme très positive. «L’argent du monde se trouve sur sol helvétique, rappelle Nazaire Djerakoubou, responsable du programme pétrole de Swissaid au Tchad. De nombreuses banques et entreprises financent depuis la Suisse l’extraction des ressources ou font du commerce avec elles. En jouant le jeu de la transparence, la Suisse met à jour les flux financiers liés au pétrole. Du coup, les Etats africains réfléchiront à deux fois avant de ramasser leurs sous et les mettre dans les banques à Zurich ou Genève.»

Caroline Morel appelle d’ailleurs les banques suisses à s’associer à l’EITI. «Suite à la crise financière qui les a touchées, ce serait là une façon de regagner la confiance de la population et des investisseurs», a-t-elle déclaré à l’ATS.

Les gros joueurs sont aux abonnés absents

Forte aujourd’hui d’une trentaine d’Etats membres, l’EITI est confrontée à un problème de taille: les gros joueurs – Chine, Inde, Russie, Arabie saoudite, Venezuela – sont pour l’instant aux abonnés absents. «Les compagnies chinoises sont partout en Afrique, rappelle Nazaire. Mais elles ne se sentent pas tenues de respecter les critères de transparence tant que leur pays ne donne pas un signal en ce sens.»

Selon Peter Eigen, il est urgent de convaincre ces gros producteurs d’adhérer à l’initiative. Et le défi est de taille. Pour Lukas Siegenthaler, plus les membres seront nombreux, plus la pression sur les puissances émergentes sera efficace.

Autre ombre au tableau: le processus intergouvernemental ne risque-t-il pas de se prendre à son propre piège, comme l’a été le mécanisme de certification Kimberley, censé garantir une provenance «propre» des diamants bruts sur le marché mondial?

Pour rappel, l’un des architectes de ce Processus, Ian Smillie, en a dénoncé les dérapages liés aux intérêts en jeu des gouvernements. «L’EITI est inspiré du Processus de Kimberley, confirme Peter Eigen. En particulier de ce triangle magique entre les Etats, la société civile et le secteur privé. Mais nous en tirons aussi les leçons. Le risque est en effet très grand d’un désengagement des gouvernements ou des compagnies. C’est pourquoi nous avons établi un système de validation en 18 étapes pour les pays ou les compagnies qui veulent adhérer. De plus, des groupes de consultants indépendants font des évaluations régulières.»

Carole Vann / InfoSud pour swissinfo.ch

L’EITI, créée en 2007, est une plateforme constituée d’Etats, d’entreprises privées, de représentants de la société civile, d’investisseurs et d’organisations internationales. Son Secrétariat se trouve à Oslo.

Membres. Aujourd’hui, l’EITI compte 31 Etats membres (soit deux fois plus qu’il y a 18 mois): Albanie, Azerbaïdjan, Burkina Faso, Cameroun, République de Centre Afrique, Guinée équatoriale, Côte d’Ivoire, RDC, Gabon, Ghana, Guinée, Kazakhstan, Kirghizstan, Liberia, Madagascar, Mali, Mauritanie, Mongolie, Mozambique, Niger, Nigeria, Norvège, Pérou, République du Congo, Sao Tomé e Principe, Sierra Leone, Tanzanie, Timor Est, Yémen, Zambie et Suisse.

Plusieurs autres pays – parmi eux l’Afghanistan, le Botswana, l’Indonésie, l’Iraq, le Sénégal, l’Ouganda – ont annoncé leur intention de s’engager dans le processus d’adhésion.

Entreprises. D’autre part, 41 compagnies de pétrole, de gaz ou minières – dont BP, ChevronTexaco, ExxonMobil, Total, AngloAmerican, Shell – soutiennent l’initiative au niveau international. Et plus de 80 investisseurs ont demandé l’appui de l’EITI.

La société civile et les réseaux tels que Publish What You Pay, Open Society, Revenue Watch, Transparency International ont été impliqués dès le début dans le processus. Publish What You Pay est constituée de plus de 400 organisations membres dans le monde entier.

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