La Suisse met de la diplomatie dans son gaz naturel
La ministre des Affaires étrangères Micheline Calmy-Rey est en Iran où elle a assisté à la signature d'un contrat de livraison de gaz à la société helvétique Electricité de Laufenbourg (EGL). Un accord critiqué par les Etats-Unis.
La Suisse officielle s’est récemment lancée dans une diplomatie du gaz visant à aider le secteur privé dans ses efforts d’approvisionnement du pays à long terme.
A Téhéran, Micheline Calmy-Rey a évoqué lundi avec les responsables iraniens le dossier du nucléaire et la question des droits de l’homme. Elle a surtout assisté à la signature d’un contrat qui prévoit la livraison dès 2011 de 5,5 milliards de mètres cubes de gaz annuels par la société nationale iranienne à l’entreprise suisse EGL.
L’accord est compatible avec les sanctions de l’ONU contre la république islamique, assure le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). Ce que contestent les Etats-Unis. Dans un communiqué de son ambassade à Berne, Washington dénonce cet accord, le qualifiant de «message négatif» en raison de la crise sur le programme nucléaire iranien.
Des précédents
Reste que l’implication de la Suisse officielle dans la politique du gaz a des précédents.
L’an dernier, Suisse et Azerbaïdjan avaient signé un accord pour faciliter la coopération des investisseurs et entreprises privés des deux pays dans le domaine du gaz (et du pétrole).
Puis en février, Berne a envoyé son chef de l’Office fédéral de l’énergie (OFEN) rencontrer le ministre turc de l’énergie. Au menu des discussions, le projet de gazoduc transadriatique (TAP, Trans Adriatic Pipeline).
Le démarche s’explique, car en tant que pays de transit, la Turquie est un chaînon essentiel pour tout projet visant le gaz de la Caspienne et du Moyen-Orient.
Issu d’un partenariat dont fait partie la Société d’électricité de Laufenburg (EGL), le TAP devrait voir sa construction commencer l’an prochain. Sa vocation est d’acheminer vers l’Europe le gaz d’Iran et d’Azerbaïdjan, dotés de très vastes réserves.
«En tant que gouvernement, nous avons été approchés par EGL pour lui offrir un soutien diplomatique dans tous les pays le long de la route de leur pipeline – l’Italie, où elle construit des centrales (électriques) à gaz, l’Albanie, la Grèce, la Turquie, l’Iran, l’Azerbaïdjan», explique Jean-Christophe Füeg, chef de la section Affaires internationale de l’OFEN.
«Il est dans notre intérêt national de soutenir une compagnie dotée d’un projet industriel qui contribuerait à une diversification de l’approvisionnement gazier de l’Europe, et donc, indirectement, de la Suisse.»
Une politique énergétique extérieure
Jusqu’ici, la question gazière était presque exclusivement laissée aux mains des gaziers privés. Dorénavant, la Suisse officielle s’implique. Le gouvernement vient de se doter d’une politique énergétique extérieure – quatrième volet de sa politique énergétique globale.
Dans le gaz, cette implication s’explique par la croissance constante de la demande, l’aspect limité des réserves et surtout de la production, et par la dépendance de la Suisse à l’égard des importations.
Elle intervient alors que le pays hésite à construire des centrales à gaz pour assurer son approvisionnement électrique à moyen terme. Une éventualité qui pousse les grandes entreprises électriques à attaquer le marché du gaz. D’où recomposition possible de la branche (hausse de la concurrence, rachats, fusions, etc)
«Comme tout Etat de nos jours, la Confédération a réalisé que la sécurité énergétique (…) mérite un soutien de l’Etat, explique Jean-Christophe Füeg. Et cela, notamment en matière de sécurisation des investissements au travers de traités bilatéraux entre Etats.»
Un nain à l’échelle européenne
Dans cette grande course au gaz, la Suisse est un nain. Elle pèse moins de 1% des besoins du marché européen, et travaille dans l’ombre de l’Union européenne.
Mais Jean-Christophe Füeg discerne «certaines petites niches où le fait d’être non-membre peut être un avantage. Comme face à la Turquie, par exemple, qui joue la carte énergétique dans le cadre de ses négociations d’adhésion.»
TAP et gazoducs en projet à travers la Turquie et les Balkans pour acheminer le gaz d’Iran, d’Azerbaïdjan ou d’Irak: cette idée paneuropéenne est qualifiée par les spécialistes suisses de quatrième couloir.
Ce quatrième couloir est toutefois encore embryonnaire. Il est lesté de nombreuses inconnues géostratégiques et politiques, dont la moindre n’est pas le mécontentement des Russes (concurrents) et des Américains (l’Iran et son nucléaire).
Trois canaux d’approvisionnement
«Si un jour ce canal voit le jour, il pourra bénéficier à la Suisse. (…) Il a donc le soutien de la Confédération», indique Jean-Christophe Füeg. Il pourra en effet permettre à la Suisse de diversifier et sécuriser son approvisionnement.
A travers son industrie gazière traditionnelle, qui recourt à l’intermédiaire des grands groupes européens, la Suisse se fournit actuellement à travers trois canaux: Europe du Nord (Norvège, Pays-Bas, Allemagne), Algérie par la France (où elle stocke également), et Russie (assez marginal).
La grande chance de la Suisse en terme de diversification des sources est de se situer à cheval entre les trois principaux marchés gaziers européens. L’Italie par exemple parie sur de nouveaux terminaux méthaniers alors que l’Allemagne se fournit surtout grâce aux gazoducs.
Si elle voit d’un bon œil la stratégie de long terme des électriciens, la filière gazière traditionnelle ne ressent pas le besoin d’investir lourdement pour le 4e couloir, indique Eric Défago, Président de Gaznat, société qui pourvoit la Suisse romande en gaz.
L’avenir est aussi au gaz liquéfié
Trop petits, les gaziers suisses privilégient plutôt les prises de participations, en Norvège par exemple, et parient sur le gaz liquéfié. Et comme la Confédération, qui se veut «vigilante», ils se montrent plutôt confiants sur l’avenir de l’approvisionnement.
«En termes de ressources, nous n’aurons pas de problème avant trois ou quatre générations, estime Eric Défago. Il faudra graduellement aller chercher notre gaz toujours plus loin – les gisements du Nord sont plutôt en déclin. Mais nous ne sommes pas inquiets.»
Plus loin, cela impliquera toujours plus de gaz liquéfié, estime-t-il. De 11% en Europe, sa part devrait passer à 26% en 2010. En ligne de mire: la constitution d’un véritable marché mondial fondé sur les bateaux méthaniers.
swissinfo, Pierre-François Besson
L’industrie suisse du gaz naturel (méthane) emploie 1700 collaborateurs pour un chiffre d’affaires de 1,7 milliards de francs. Son réseau de distribution s’étend sur 16’000 km. Contrairement à celui de l’Union européenne, le marché intérieur n’est pas libéralisé.
Une centaine d’entreprises, essentiellement publiques, approvisionnent la population. Elles se fournissent à l’étranger à travers quatre sociétés régionales regroupées au sein d’une centrale d’achat (Swissgaz).
La Suisse comme le reste du monde consomment toujours plus de gaz naturel (doublement entre 1980 et 2006 à l’échelle mondiale). Le gaz représente 12% des besoins énergétiques helvétiques. Les ménages utilisent 40% du total, l’industrie 33%, les services et les transports 27%.
La Suisse se fournit exclusivement à l’étranger. Elle est reliée par douze points d’entrée au réseau de gazoducs européen, qui s’étend sur 190’000 km de la Baltique à la Méditerranée et de l’Atlantique à la Sibérie. Alternative: le gaz est de plus en plus souvent transporté sous forme liquide par des navires appelés méthaniers.
Des contrats à long terme de 20 à 25 ans couvrent les trois quarts des besoins de la Suisse. L’Office fédéral de l’énergie estime que 95% du gaz consommé à l’interne vient des Pays-Bas, de la Russie, de la Norvège, de l’Allemagne et de l’Algérie.
Dans le cadre de sa visite à Téhéran, la cheffe de la diplomatie suisse a aussi rencontré son homologue iranien Manoucher Mottaki pour évoquer la situation des droits de l’homme.
Tous deux ont convenu que le dialogue mené par la Suisse et l’Iran depuis cinq ans sur ce sujet doit aborder des questions concrètes. Dans cette perspective, une commission sera chargée de préparer la prochaine rencontre.
Avec son homologue, Micheline Calmy-Rey a évoqué la peine de mort, notamment à l’égard des mineurs, ainsi que les châtiments corporels comme les lapidations ou les amputations.
Des divergences d’opinions sont apparues sur la rhétorique utilisées par Téhéran à l’égard d’Israël, a reconnu la cheffe de la diplomatie suisse en présence de Manoucher Mottaki. Elle a souligné qu’il était inacceptable pour la Suisse qu’un membre de l’ONU nie le droit à l’existence d’un autre Etat.
La conseillère fédérale a par ailleurs rappelé que la Suisse continuait à s’engager en faveur d’une solution diplomatique dans la crise liée au programme nucléaire iranien.
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