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La Suisse perd deux mandats de puissance protectrice

Poignée de main entre deux diplomates derrière une grande table
Règlement des différends à Pékin: le 10 mars, l’Iran et l’Arabie saoudite ont décidé de rétablir leurs relations diplomatiques. Keystone / Nournews Agency Handout

Le rapprochement entre l’Iran et l’Arabie saoudite réduit le rôle joué jusqu’à présent par la Suisse dans la région. Le fait que la Chine ait réussi sa médiation surprend beaucoup de monde.

C’était une bonne nouvelle émanant d’une région riche en conflits. Au Moyen-Orient, les puissances locales, l’Arabie saoudite et l’Iran, se rapprochent à nouveau. Riyad et Téhéran souhaitent régler dès maintenant les différends qui restent encore pendants puis, d’ici deux mois, rouvrir leurs ambassades respectives.

Auparavant, les relations étaient glaciales. Riyad avait coupé les ponts avec Téhéran en 2016. Les deux pays avaient également affiché leur rivalité lors de conflits armés dans la région, notamment lors de la guerre au Yémen.

Pour maintenir malgré tout les services consulaires, les deux États avaient confié à la Suisse un mandat de puissance protectriceLien externe en 2017, mandat entré en vigueur dès l’année suivante. Et c’est par l’intermédiaire des représentations suisses que les deux États avaient régulièrement négocié des pèlerinages à la Mecque.

La Suisse est restée à l’écart

C’est cependant la Chine, où les documents ont été signés, qui a joué le rôle de médiateur dans la percée actuelle. Oman et l’Irak ont également été impliqués. Plusieurs entretiens ont ainsi eu lieu à Bagdad en terrain neutre.

La Suisse est restée à l’écart. Ce pays neutre, qui se propose volontiers sur la scène internationale pour promouvoir la paix, a également été actif dans ce cas – mais pas sollicité. «La Suisse a soutenu l’ouverture du dialogue entre l’Arabie saoudite et l’Iran dans le cadre des bons offices», indique par écrit le ministère suisse des Affaires étrangères (DFAE), contacté par swissinfo.ch.

«Une occasion manquée»

Le conseiller aux Etats Thomas Minder (indépendant) est surpris par le succès de la diplomatie chinoise. En tant que membre de la Commission de politique extérieure (CPE), il s’est rendu dans la région en 2020 et avait demandé à l’époque déjà que la Suisse joue un rôle plus proactif de médiateur dans la région.

Il se demande maintenant pourquoi ce n’est pas la Suisse qui a mis en place cette médiation. «C’est pourtant exactement le genre de chose qui aurait été notre mission», déclare-t-il.

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«Avec les mandats de puissance protectrice, nous étions prédestinés à cela», poursuit Thomas Minder, qui relève que la Suisse avait déjà de bons contacts et qu’elle était appréciée par les deux pays en tant que tierce partie.

«C’est une occasion manquée», regrette le conseiller aux États, même s’il est bien sûr heureux du résultat. Pour lui, il est clair que «nous avons besoin d’une politique étrangère plus courageuse et que nous devrions rechercher plus activement de telles missions».

«La Chine a plus de poids»

Également membre de la CPE, le conseiller national Fabian Molina (Parti socialiste) est surpris que la Chine ait pu dénouer le nœud. Il estime qu’il s’agit d’un grand succès diplomatique pour ce pays qui, jusqu’à présent, n’était guère apparu comme un acteur diplomatique important. Mais pour Fabian Molina, le fait que la Chine y soit parvenue et non la Suisse s’explique: «La Chine a plus de poids; il ne faut pas se faire d’illusions.»

En effet, face à son isolement politique et aux critiques internationales, l’Iran en particulier a cherché ces dernières années de nouveaux partenaires en Asie.

Fabian Molina fait par ailleurs référence aux changements actuels dans la région: la relation des États arabes avec Israël et le retour progressif du régime syrien d’Assad sur la scène diplomatique. «L’équilibre se réorganise et la Chine veut se positionner», résume-t-il.

La Suisse a «félicité les pays pour cette étape importante pour renforcer la stabilité de la région», écrit le DFAE.

L’argument des bons offices

Récemment, le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis a enrichi les discussions sur la neutralité suisse par l’argument selon lequel la Suisse doit jouer un rôle particulier au niveau international. «Le rôle de la diplomatie, de bâtisseur de ponts; c’est ainsi que nous pouvons offrir une plus-value à tous les autres pays», a-t-il par exemple déclaré à la télévision publique suisse alémanique SRF.

Rencontre d un ministre suisse et du président iranien dans un bureau avec un beau tapis
Lors de sa visite à Téhéran en 2020, le ministre suisse des Affaires étrangères Ignazio Cassis avait rencontré le président iranien Hassan Rouhani. Keystone / President Office Handout

En se référant à ce rôle particulier de la Suisse et à ses bons offices, le ministre des Affaires étrangères vient tout juste de combattreLien externe une exigence du Conseil national selon laquelle la Suisse devrait s’opposer plus fortement au régime iranien, par exemple en reprenant les sanctions de l’UE.

Série de refus

Mais dernièrement, la Suisse a essuyé plusieurs refus lorsqu’elle a proposé ses bons offices.

  • En mars 2022, elle voulait organiser des discussions entre l’Ukraine et la Russie. L’Ukraine s’est montrée peu intéressée. La Russie a donné la préférence à la Turquie, où ces discussions ont finalement eu lieu.
  • Lorsqu’elle a proposé d’assumer les mandats respectifs de puissance protectrice entre l’Ukraine et la Russie, cette dernière a également répondu par la négative.
  • Les efforts intensifs de la Suisse à partir de 2019 pour agir en tant que puissance protectrice entre les États-Unis et le Venezuela ont été tout aussi infructueux. Le Venezuela a ignoré l’offre.
  • Selon le Financial Times, c’est le Qatar qui mène aujourd’hui les délicates négociations sur la libération d’otages irano-américains. Et ce, bien que ce soit la Suisse qui fasse office de puissance protectrice pour les deux pays.

À Riyad et à Téhéran, la Suisse veut désormais garantir un transfert sans heurts. Concrètement, dans un tel cas, la phase ultime ainsi que le moment exact seront discutés ensemble et ensuite communiqués par écrit par le donneur de mandat, informe le DFAE.

Des mandats qui s’amenuisent

Lorsque ce sera le cas, la Suisse détiendra encore cinq de ses sept mandats de puissance protectrice actuels. Et si la Russie peut continuer à étendre son influence en Géorgie, les mandats de puissance protectrice respectifs pour ces pays pourraient également disparaître à moyen terme.

Enfant regardant des bâtiments détruits au Yémen
Espoir de paix: l’Iran et l’Arabie saoudite s’affrontent indirectement dans le cadre de la guerre au Yémen. Keystone / Yahya Arhab

«Les mandats de puissance protectrice ont leur fonction et leur justification, mais s’ils ne sont plus nécessaires, c’est en fait un bon signe», se console Fabien Molina.

Traduit de l’allemand par Olivier Pauchard

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