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La Suisse soutient le dialogue américano-iranien

Keystone

La Suisse oeuvre à faciliter le dialogue entre les Etats-Unis et l'Iran, explique la diplomate Suisse Livia Leu Agosti, seule femme ambassadeur à Téhéran. Interview.

Dans l’entretien écrit qu’elle a accordé à swissinfo, Madame l’ambassadeur explique qu’un rapprochement entre Washington et Téhéran prendra du temps.

Silvia Leu Agosti, en poste depuis le début de l’année, exprime également quelque inquiétude sur la situation des droits de l’homme en Iran. Dans ce domaine, elle est convaincue qu’un dialogue avec les autorités iraniennes reste le meilleur moyen d’obtenir une amélioration de la situation.

swissinfo: Washington et Téhéran ont fait un pas en direction d’un dialogue durant ces derniers mois. Comment voyez-vous les relations évoluer ?

Livia Leu Agosti: Les deux pays ont tenté une approche prudente mais positive l’un envers l’autre. Il a fallu tout d’abord modifier le vocabulaire établi et permettre des contacts officieux. S’il existe encore des commentaires et réactions mitigés venant des deux parties, c’est normal après plus de 30 ans sans aucune relation diplomatique. Un rapprochement prendra du temps.

swissinfo: Quel rôle la Suisse joue-t-elle dans ce dialogue entre les deux pays, ou quel rôle pourrait-elle jouer, au-delà du fait que Berne représente les intérêts américains en Iran ?

L.L.A.: La Suisse représente les intérêts américains en Iran depuis plus de 30 ans. C’est un double rôle. D’une part il faut offrir un service consulaire aux citoyens américains en Iran et d’autre part assurer un canal de communication confidentiel entre les deux pays.

Ce prétendu mandat de puissance protectrice (Protecting Power) fait partie des «bons offices» de la Suisse. Si les deux parties le souhaitaient, nous serions prêts à faciliter les dialogues.

swissinfo: Berne a proposé un «document suisse» en tant que contribution à une solution diplomatique concernant la question nucléaire. La diplomatie Suisse est-elle toujours active dans ce secteur ?

L.L.A.: En collaboration avec toutes les parties impliquées, la Suisse développe des idées qui permettraient de réunir les deux pays autour d’une table. Dans ce contexte, nous étions très heureux d’accueillir à Genève les discussions de juillet dernier. Pour la première fois un haut représentant du gouvernement américain était présent.

Durant les derniers mois le P5+1 (les 5 membres permanents du Conseil de Sécurité des Nations Unies et l’Allemagne) ont essayé d’adapter leurs démarches à la nouvelle politique américano-iranienne, qui commence seulement à prendre forme.

Une fois les bases d’une future discussion plus clairement définies, la Suisse pourrait apporter sa contribution au processus, pour autant que les deux parties le souhaitent.

swissinfo: Les élections présidentielles auront lieu en juin prochain. Quels changements espérez-vous en cas de victoire d’un réformateur ?

L.L.A.: Le rôle du président iranien est essentiellement celui d’un chef de gouvernement. Contrairement aux autres pays, le président n’est pas l’instance suprême de la République Islamique d’Iran.

Les décisions principales sont dictées par le chef religieux suprême, l’Ayatollah Ali Khamenei. C’est lui qui a le dernier mot sur tous les problèmes importants, tels que les relations avec les Etats-Unis ou la question nucléaire, et n’importe quel président devra suivre les décisions prises. Tandis que le chef suprême dirige en arrière-plan, le président est la face visible de la République islamique. C’est en ce sens que le président et la personnalité de celui-ci sont importants, principalement, pour l’image qu’il donnera du pays.

swissinfo: L’Iran continue d’exécuter des mineurs, de tolérer la lapidation, de violer la liberté d’expression et les droits des minorités, ceci malgré un dialogue régulier entre Berne et Téhéran à propos des droits de l’homme. Cette situation vous inquiète-t-elle ?

L.L.A.: Pour la Suisse, le respect des droits de l’homme est une priorité. Donc oui, nous sommes préoccupés par les violations que vous mentionnez et continuons de soulever le problème avec les autorités. Depuis 2003, nous parlons sans cesse des droits de l’homme avec l’Iran, comme nous le faisons d’ailleurs avec d’autres pays.

Evidemment, ce n’est pas un sujet de discussion facile à aborder parce que nous ne partageons pas le même point de vue sur des questions basiques, cependant nous sommes convaincus que le meilleur moyen de faire avancer la cause des droits de l’homme reste le dialogue.

swissinfo: Pensez-vous que la Suisse devrait exercer une plus grande pression sur les autorités iraniennes ?

L.L.A.: La Suisse n’est pas une superpuissance et notre force n’est pas basée sur la puissance. Notre atout c’est la loi internationale et nous en sommes un ardent défenseur.

Nous relevons constamment les violations des lois internationales où que ce soit dans le monde. Cette approche objective nous offre une grande crédibilité et il nous est donc ainsi possible de soulever des questions cruciales et d’être écoutés.

swissinfo: Comment le prochain vote suisse sur l’interdiction des minarets est-il perçu en Iran ?

L.L.A.: A l’heure actuelle, l’initiative sur les minarets n’a pas attiré une grande attention. Comme dans tous les pays musulmans, nous avons expliqué aux autorités nos lois et notre système politique basé sur la démocratie directe et nous les avons informés des buts et du contexte de cette initiative. Bien qu’ils comprennent que cette initiative ne vise pas les mosquées ou l’Islam en général, ils considèrent toutefois cette décision comme hostile aux musulmans.

swissinfo: Vous êtes la seule femme diplomate en Iran. Rencontrez-vous des difficultés dans cette société dirigée par des hommes ? Comment gérez-vous l’obligation de porter le voile ?

L.L.A.: Je suis en effet la seule femme ambassadeur en Iran, la représentante féminine du Sierra Leone ayant terminé son mandat juste avant mon arrivée.

Pour l’instant, cette position n’a certainement pas joué en ma défaveur. Les autorités m’ont traitée de manière respectueuse, professionnelle et ont répondu rapidement à mes demandes ; j’ai pu présenter mes lettres de créances au président dans l’espace d’un mois, ce qui est presque un record.

Concernant le port du voile dans les lieux publics, c’est une obligation légale pour n’importe quelle femme indépendamment de sa nationalité, sa religion ou son statut.

Je comprends que cette règle soit contestée, mais en tant que diplomate, je suis dans l’obligation de respecter les lois de mon pays de résidence.

Federico Bragagnini, swissinfo.ch
(Traduction de l’anglais: Philippe Varrin)

La Suisse représente les intérêts américains en Iran depuis 1980.

Livia Leu Agosti est ambassadrice de Suisse à Téhéran, la seule femme diplomate en Iran.

La ministre des Affaires Etrangères, Micheline Calmy-Rey, a effectué une visite controversée à Téhéran l’année dernière, au cours de laquelle elle a assisté à la signature d’un accord pétrolier entre le gouvernement iranien et une société privée suisse.

L’Iran est le quatrième marché d’exportation de la Suisse au Moyen-Orient depuis deux ans.
Les exportations en Iran, principalement des machines, des produits pharmaceutiques et agricoles ont atteint la somme de 846.6 millions de francs suisses en 2008, selon le secrétariat d’Etat à l’économie.

La Suisse a fait partie des 15 plus gros importateurs en Iran en 2007.
Les importations iraniennes, principalement des tapis et des produits agricoles, ont atteint 23.5 millions de francs l’année dernière, soit 39% de moins qu’en 2007.

La Suisse et l’Iran ont conclu des accords bilatéraux concernant la protection des investissements et la double imposition, ainsi que sur le commerce et le transport aérien.

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