La Suisse veut exister «sur l’écran radar des Européens»
Le Département fédéral des Affaires étrangères a débloqué plus de 500'000 francs pour un vaste programme de communication auprès des institutions de l’Union Européenne, qui touche tous les acteurs importants pour les relations bilatérales.
Rarement la mission suisse aura été aussi courue que le 15 novembre dernier. Ce soir là, plus de 350 invités étaient venus fêter les cinquante ans de présence suisse auprès des institutions de l’Europe. Avant cela, l’ambassadeur en charge de la Communauté était basé… à Paris.
L’invitation promettait «un buffet gourmand avec dégustation de raclette et fondue dans une ambiance musicale helvétique». Programme tenu: les diplomates, les eurocrates, les lobbyistes se sont pressés autour de riches buffets de fromages.
Peu de «grandes pointures» pourtant, à part la Commissaire à l’Education et à la Culture, Androulla Vassiliou, une poignée d’eurodéputés et d’ambassadeurs, et le «Monsieur anti-terroriste» de l’UE, Gille de Kerchove.
Bilatéralisme et démocratie directe
Tous ont pu écouter le discours, assez offensif de Micheline Calmy-Rey qui n’a dissimulé ni les écueils qui se dressent sur la voie bilatérale, ni les risques inhérents au scrutin sur l’initiative sur le renvoi des criminels étrangers qui se heurte à plusieurs engagements internationaux de la Suisse.
La ministre des Affaires étrangères a farouchement défendu la démocratie directe et vanté le modèle suisse. Puis elle s’est retirée dans une petite salle pour mener des conversations sur la politique étrangère, et notamment, sur le Moyen-Orient.
La fête de la Mission s’inscrit dans un plan plus ambitieux de «placer la Suisse sur l’écran radar des Européens», comme le souhaite l’ambassadeur auprès de l’UE, Jacques de Watteville. Comme d’autres grandes ambassades d’Etats membres et non membres, la Mission organise en effet désormais des débats publics.
Le premier s’est tenu la semaine dernière. Des parlementaires suisses et européens ont discuté démocratie directe, devant une salle comble. Le 23 novembre, c’est le patron de la BNS, Philippe Hildebrand qui viendra parler de politique monétaire aux Européens.
Il y a urgence
La Suisse a décidé de sortir du placard confidentiel dans lequel elle se cantonne depuis un demi-siècle. C’était urgent, estime l’ambassadeur Jacques de Watteville.
«Nous devons rectifier certains clichés qui ont cours dans une Union qui s’est beaucoup élargie à des nouveaux membres qui connaissent moins bien la Suisse. Les clichés d’une Suisse repliée sur elle-même, guère solidaire, qui a une attitude d’épicier. Alors qu’en réalité, nous contribuons largement à beaucoup de projets importants. Je pense au tunnel du Gothard, au fond de contribution que nous versons pour rattraper les décalages sociaux entre différentes régions de l’Union, notamment les nouveaux Etat-membres. La Suisse est active, elle participe et cela doit être d’avantage pris en compte», dit-il.
Le DFAE a débloqué un budget pour cela: 230.000 francs en 2010, 300.000 en 2011.
Dur, dur de rayonner
Mais l’opération séduction va plus loin que la seule communication. Jusqu’à présent, les diplomates de la Mission avaient des contacts quasiment exclusivement avec la Commission et le Conseil européen.
Mais depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, le Parlement a son mot à dire sur les accords bilatéraux avec la Confédération. Désormais, le lobbying suisse passe donc aussi par les couloirs de cette assemblée. Un territoire que William Frei est chargé d’explorer. Venu de Chine, ce diplomate reconnaît que la tâche est immense: «C’est un nouveau poste. Il faut construire le relationnel avec les députés». Des élus qui n’ont bien souvent à priori qu’un intérêt tout relatif pour les affaires bilatérales et l’exception suisse…
Il en va de même des médias. Nulle part ailleurs dans le monde compte-t-on autant de journalistes accrédités. En théorie, Bruxelles pourrait être une formidable caisse de résonance pour la Suisse.
Le jour des 50 ans de la Mission, Micheline Calmy-Rey avait donc voulu innover en invitant une vingtaine de journalistes européens à sa conférence de presse, habituellement réservée aux médias suisses. Mais dans cette ville où les journalistes sont sur-sollicités, seuls deux confrères de la presse spécialisée s’étaient déplacés.
Rédacteur en chef d’Europolitique, Pierre Lemoine n’en a pas moins salué toutes ces récentes initiatives: «Cela veut dire que la Suisse fait des efforts pour faire passer ses messages auprès des institutions européennes. Et c’est bien».
1961: Sept pays, dont la Suisse, signent le traité instaurant l’Association européenne de libre-échange (AELE).
1963: La Suisse rejoint le Conseil de l’Europe.
1992: Le gouvernement demande l’ouverture de négociations pour adhérer à l’Union européenne. La candidature suisse est toujours en suspens.
2006: Le rapport du Conseil fédéral sur l’intégration européenne explique clairement que la politique européenne de la Suisse est basée sur les relations bilatérales.
Depuis 1972, la Suisse et l’Union européenne ont signé près de 120 accords.
1992: Rejet par 50,3% des Suisses du Traité demandant l’adhésion à l’Espace économique européen (EEE).
1997: Les citoyens suisses refusent à 74% de se prononcer sur l’adhésion à l’Union européenne, comme le souhaitaient les partis de la droite conservatrice et nationaliste.
2000: Le premier paquet des accords bilatéraux (libre circulation des personnes, obstacles techniques au commerce, marchés publics, agriculture, transport aériens et terrestres, participation de la Suisse aux programmes de recherche de l’UE) est approuvé par 67,2% des votants.
2005: Le second paquet des accords bilatéraux (sécurité intérieure, asile, environnement ou culture) est également accepté à une large majorité. L’extension de la libre-circulation des travailleurs aux dix nouveaux Etats-membres de l’UE passe également le cap des urnes.
2006: Le peuple accepte (53,4%) de soutenir financièrement la transition politique et économique des nouveaux Etats-membres de l’Union européenne.
2009: L’électorat accepte de reconduire l’accord de libre-circulation et de l’étendre à la Roumanie et à la Bulgarie. Il approuve le versement d’un milliard de francs «de cohésion» à la Roumanie et à la Bulgarie.
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