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La Suisse veut réglementer les sociétés de sécurité

Soldats sur un toit de Bagdad en 2007. Ils ne portent pas l'écusson de l'armée américaine, mais celui d'une société privée. AFP

A l’avenir, les sociétés de sécurité privées ayant leur siège en Suisse devront rendre des comptes à la Confédération sur leurs activités à l’étranger. Le projet de loi prévoit des obligations, des interdictions, des contrôles et des sanctions. Et il pourrait faire école.

Avec cette nouvelle réglementation, la Suisse «réalise une part de travail de pionnier au niveau international», a affirmé avec emphase la ministre de Justice et Police Simonetta Sommaruga en présentant le projet de loi sur les prestations de sécurité privées fournies à l’étranger (LPSP).

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Un projet qui certes n’est «pas parfait», mais quand même «plutôt exemplaire», juge Marco Sassoli, professeur au Département de droit international public de l’Université de Genève. D’autant que la réglementation des sociétés militaires et de sécurité privées est aujourd’hui «une des grandes préoccupations du droit international humanitaire», précise l’expert.

Dans les vingt dernières années, on a vu les activités de ces sociétés se multiplier et la gamme de leurs prestations s’élargir dans les zones de crises et de conflits. Or, les lois n’ont pas du tout suivi cette évolution. Et la Suisse, qui lance des initiatives internationales pour réglementer ces activités, a paradoxalement elle aussi un vide dans sa propre législation. C’est pour le combler que le gouvernement présente son projet de loi, qui vise à préserver la sécurité interne et externe du pays, à réaliser ses objectifs de politique étrangère, à préserver sa neutralité et à garantir le respect du droit international.

Le projet de loi prévoit une série de règles spécifiques pour les sociétés privées mandatées par les autorités fédérales pour exercer des fonctions de sécurité.

Répondant à une interpellation parlementaire, le gouvernement a indiqué en février 2012 que la Confédération confie chaque année quelque 120 missions à des services de sécurité privés. La facture annuelle se monte à environ 25 millions de francs.

Interdictions

Le texte interdit aux sociétés de sécurité basées en Suisse toute participation directe à des hostilités à l’étranger dans le cadre d’un conflit armé et toute prestation qui favoriserait de graves violations des droits de l’homme. L’interdiction s’applique au recrutement, à la formation, à la mise à disposition de personnel, directement ou comme intermédiaires. Le contrôle, par le biais de sociétés holding, d’entreprises qui se livreraient à de telles activités, est également interdit.

Pour Josef Lang, ancien député fédéral et vice-président des Verts suisses, le projet ne va pas assez loin. Par voie de motion, c’est lui qui avait lancé à l’époque l’élaboration de la loi, mais il souhaitait que celle-ci interdise purement et simplement les sociétés de sécurité privées actives dans les zones de guerre. Une position qui est toujours celle du parti écologiste.

«Dans les guerres d’aujourd’hui, par exemple en Afghanistan, il est impossible de faire la distinction entre participation directe et indirecte», argumente Josef Lang. Par ailleurs, «il n’est pas possible de vérifier ce que font exactement ces gens sur le champ de bataille».

Des objections que l’on retrouve dans le camp de la droite conservatrice. «Quand les autorités suisses arrivent à la conclusion que telle société ne participe pas directement aux hostilités, le constat n’est que momentané. La situation peut changer radicalement en quelques heures», note l’UDC dans un communiqué.

Selon le professeur Sassoli, toutefois, il serait excessif d’aller au-delà du concept de participation directe au sens des Conventions de Genève et de leurs protocoles additionnels, auxquels le projet de loi se réfère explicitement.

Du côté des partis politiques, les propositions gouvernementales obtiennent de bonnes notes chez les libéraux-radicaux, les démocrates-chrétiens et au parti bourgeois démocratique, soit plutôt au centre de l’échiquier politique, tandis que la gauche rose-verte et la droite conservatrice relèvent des lacunes sur quelques points.

Pour sa part, Matthias Fluri, du service juridique de l’Association des entreprises suisses de services de sécurité, se contente d’indiquer que celle-ci n’est pas encore satisfaite à 100%. L’association va examiner la proposition du gouvernement et ne prendra officiellement position qu’après réflexion approfondie et discussion en conseil de direction.

Déclaration préventive

L’expert en droit international humanitaire n’en est pas moins critique sur la décision du gouvernement de ne pas soumettre à autorisation les prestations de sécurité fournies à l’étranger. Le projet prévoit simplement que les sociétés qui ont l’intention de se livrer à des activités soumises à la LPSP doivent l’annoncer à l’avance à l’autorité fédérale compétente et fournir une série d’informations bien précises. L’autorité a alors 14 jours pour dire à l’entreprise si elle doit ou non passer par une procédure d’examen.

Le gouvernement a motivé la renonciation à l’autorisation d’une part par la volonté d’éviter tracasseries bureaucratiques et charges financières et de l’autre par le risque de voir une autorisation interprétée comme une garantie officielle de la Suisse.

«Il faudra de toute façon une analyse sérieuse pour déterminer si ce qu’une entreprise prévoit de faire sur place équivaut à une participation directe aux hostilité, objecte Marco Sassoli. Je me demande donc pourquoi il serait moins cher de la faire dans une procédure de déclaration préventive que dans une procédure d’autorisation».

L’argumentation gouvernementale ne convainc pas davantage le Parti socialiste, qui demande «la mise en place d’un système efficace d’autorisation à la place du système fragile de déclaration».

Dans son message au parlement, le gouvernement suisse note qu’à l’échelle mondiale, les prestations privées dans les domaines militaire et de la sécurité représentent un potentiel de centaines de milliers d’emplois et que le marché mondial de la sécurité privée dans les zones de guerre est estimé à 100 milliards de dollars.

De son côté, le ministère français des Affaires étrangères table sur une estimation de 400 milliards de dollars de chiffre d’affaires et d’un million de personnes pour l’ensemble des sociétés militaires et de sécurité privées du monde. 6500 entreprises environ sont actives dans ce secteur lucratif.

Il n’existe pas de statistiques sur les sociétés militaires et de sécurité privées en Suisse. Dans un rapport de 2010, l’Office fédéral de la Justice indiquait qu’il existait dans le pays une vingtaine de ces entreprises qui étaient susceptibles d’opérer ou qui opéraient déjà dans des zones de crises ou de conflit.

Code de conduite

Ce qui est positif en revanche pour Marco Sassoli, c’est l’obligation prévue par le projet de loi d’adhérer au Code de conduite international des entreprises de sécurité privées (CCI) pour les sociétés qui veulent fournir des prestations à l’étranger. Les entreprises s’engagent ainsi à respecter les droits de l’homme et le droit international humanitaire dans l’accomplissement de leurs tâches.

Fruit d’une initiative lancée conjointement par la Suisse et par les sociétés de sécurité privées, le CCI a toutefois suscité la désapprobation en France. Le parlement y voit plutôt un moyen pour les grandes compagnies de sécurité privées de dicter leurs règles et d’«éviter toute convention internationale classique sur le secteur, qui pourrait être plus contraignante», peut-on lire dans un rapport de 2012 de la commission de la défense de l’Assemblée nationale française.

«Bien sûr, ce code n’est pas révolutionnaire, admet Marco Sassoli. Et il fait l’impasse sur certaines questions importantes, comme celle de la participation directe aux hostilités. Mais il faut aussi reconnaître que ces dernières années, on n’a pas vu souvent les Etats accepter de nouveaux traités. Il faut donc trouver de nouvelles manières de réglementer».

Traduction de l’italien: Marc-André Miserez

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