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La Suisse visée après l’affaire Cahuzac

Jérôme Cahuzac avait fait de la Suisse un exemple de la lutte contre l’exil fiscal. Keystone

Après les aveux de l'ex-ministre du Budget à propos de son compte non déclaré en Suisse, le gouvernement français est menacé jusqu'au sommet. L'affaire pourrait éclabousser la Suisse, félicitée de sa coopération mais dont les pratiques bancaires choquent certains.

Jusqu’où ira le scandale Cahuzac? Le compte caché de l’ancien ministre socialiste est en train de devenir une affaire d’Etat. L’opposition appelle à la démission du gouvernement. Le président François Hollande est accusé d’avoir été un peu trop facilement «dupé» par son ministre.

«Jérôme Cahuzac trahi par la Suisse», déclarait jeudi le présentateur-vedette de la radio publique France Inter, Patrick Cohen. Pour Cohen, c’est l’une des «rares bonnes nouvelles de ce scandale».

La justice helvétique, en effet, n’a pas traîné dans cette affaire. Le 19 mars, le ministère public de Genève reçoit du parquet de Paris une demande d’entraide pénale internationale concernant Jérôme Cahuzac. Il s’agit de savoir si le ministre détient bien un compte bancaire en Suisse. Le 22 mars, le procureur genevois Jean-Bernard Schmid adresse ses demandes aux banques concernées. Les réponses sont «positives».

Le 4 décembre 2012, le site Mediapart assure que Jérôme Cahuzac a possédé «pendant de longues années et jusqu’en 2010» un compte au sein de la banque suisse UBS, à Genève, qu’il n’a jamais déclaré au fisc.

M. Cahuzac est, au civil, chirurgien esthétique et propriétaire d’une clinique parisienne spécialisée dans les microgreffes de cheveux.

En 1993, Jérôme Cahuzac fonde une société de conseil, qui lui rapporte, selon Paris Match,plus de 150’000 euros de bénéfices annuels.

Le ministre dément les informations du site, qu’il qualifie de «diffamatoires». Critiqué pour ne pas publier de preuves à l’appui de ses révélations, Mediapart publie une conversation téléphonique enregistrée fin 2000 dans des circonstances rocambolesques: le futur ministre Cahuzac aurait terminé une conversation, puis rappelé par mégarde son interlocuteur, dont Mediapart ne donne pas le nom.

Le répondeur téléphonique de ce dernier aurait alors enregistré la conversation entre M. Cahuzac et un chargé d’affaires. Sur la bande, M. Cahuzac affirme: «Moi, ce qui m’embête, c’est que j’ai toujours un compte ouvert à l’UBS.»

Aveux tardifs

Cahuzac a ouvert un compte chez UBS au début des années 1990: environ 600’000 euros qui auraient été transférés en 2000 vers l’établissement genevois Reyl et Cie. En 2010, le pactole serait parti vers Singapour.

Comme le veut la législation suisse, le procureur prévient l’avocat de M. Cahuzac de ses «trouvailles». Se sachant démasqué, Jérôme Cahuzac passe aux aveux, mardi dernier. Il reconnaît avoir menti aux Français et au président François Hollande pendant de longs mois.

«Bravo les Suisses», conclut Patrick Cohen. Belle illustration de la nouvelle coopération bilatérale en matière fiscale, initiée en 2009 avec la signature de la nouvelle convention de double imposition. Ironie du sort: c’est l’ancien ministre du Budget, donc à ce titre le chef du fisc français, qui en est la première grande victime.

Au-delà de Cahuzac, l’affaire menace aujourd’hui le ministre des Finances Pierre Moscovici. A-t-il «couvert» son collègue? Pourquoi la demande qu’il a transmise aux autorités suisses en décembre dernier n’a-t-elle pas donné les mêmes résultats? Même le président François Hollande est critiqué, au mieux pour son aveuglement, au pire pour sa complicité.

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Et Singapour…

Félicitée par certains, la Suisse est aussi montrée du doigt. C’est là, de l’autre côté du Jura, que les Français – même les ministres! – planquent leur argent, susurre-t-on dans l’Hexagone. Hier, d’autres noms de dignitaires ont commencé de circuler sur les ondes, sans que la moindre preuve soit avancée.

Le fait que l’argent de Jérôme Cahuzac soit parti en 2010 vers Singapour – mais toujours géré par la banque Reyl – sans doute pour être plus en sécurité, passe presque inaperçu. Dans Le Monde, Myret Zaki, rédactrice en chef adjointe au magazine économique Bilan, souligne tout de même: «Le regard doit être dirigé vers Singapour, où de nombreux comptes ont été transférés après 2009, et la décision du Conseil fédéral suisse de ne plus distinguer la fraude et l’évasion fiscale.»

Ce scandale n’incitera pas les autorités françaises à être plus conciliantes à l’égard de la place financière suisse et de son secret bancaire. Au contraire. Il s’agit de montrer que la France est intraitable avec les fraudeurs, quels qu’ils soient. La gauche radicale réclame déjà de nouvelles mesures contre l’évasion fiscale.

Méthodes critiquées

Les méthodes des banques helvétiques sont aussi mises en cause. Comment ces dernières ont-elles démarché Jérôme Cahuzac? La justice s’intéresse notamment au rôle d’Hervé Dreyfus, gestionnaire de fortune de Jérôme Cahuzac et demi-frère de Dominique Reyl, fondateur de la banque du même nom.

Rappelons que trois anciens responsables d’UBS France ont été mis en examen pour blanchiment de fraude fiscale. La banque est soupçonnée d’avoir démarché illégalement des clients français.

Difficile d’effacer des décennies d’évasion fiscale vers la Suisse. Mercredi, dans le quotidien Les Echos, la ministre des Finances helvétique Eveline Widmer-Schlumpf se félicitait de «la mise en place d’un dialogue structuré avec la France» en matière fiscale.

«Les établissements financiers devront désormais refuser de nouveaux clients s’ils soupçonnent que ceux-ci ne sont pas en règle avec le fisc», affirme la conseillère fédérale. «Ils pourront exiger d’eux, dans certains cas ou de manière généralisée, une auto-déclaration de conformité fiscale.»

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