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«Le 9 février n’a aucune influence sur les européennes»

Le Parlement européen siège à Bruxelles et à Strassbourg (ci-dessus). Reuters

A fin mai, l’Union européenne élira un nouveau parlement. Même si les partis eurosceptiques devaient progresser, cela ne remettrait pas en cause la claire majorité en faveur de la construction européenne, estime le Suisse Dieter Freiburghaus, spécialiste des questions européennes. Et si ces élections devaient avoir une influence sur la Suisse, ce serait plutôt une influence négative, selon lui.

Selon Dieter Freiburghaus, le Parlement européen, unique organe européen directement élus par les citoyens, est sans aucun doute une institution importante, car environ 90% de la législation européenne a besoin de son aval. De plus, avec le Traité de Lisbonne, en vigueur depuis le 1er décembre 2009, la Parlement a gagné en influence, en particulier en matière de politique étrangère.

Du 22 au 25 mai, presque 400 millions de citoyens européens sont appelés à élire leurs nouveaux représentants. Un vote qui pourrait avec un impact également sur les relations entre Berne et Bruxelles. Interview.

1,75 million de citoyens européens vivent en Suisse (22% de la population). Parmi eux, environ 525’00 ont la double nationalité, suisse et européenne.

Environ 1,4 million de ces Européens vivant en Suisse ont le droit de vote.

Par ailleurs, 325’000 citoyens suisses possédant aussi un passeport européen vivent au sein de l’UE.

On dénombre donc au total 850’000 binationaux.

(Source: Délégation de l’UE à Berne)

swissinfo.ch: Depuis le début de la crise financière, les voix des eurosceptiques se font davantage entendre. Cela va-t-il déboucher sur un changement de direction lors des élections européennes?

Dieter Freiburghaus: Absolument pas. Lors des dernières élections, il y a cinq ans, sur un total de 766 sièges, le Parti populaire européen (PPE / chrétien-conservateur) en a obtenu 262 et le Parti social-démocrate 190. Ensemble, ils font passer ce qu’ils veulent. Le camp pro-européen peut encore compter sur les 75 sièges des Libéraux. Alors même si les eurosceptiques dépassaient les Verts ou les Libéraux, il n’y aurait pas beaucoup de changement dans le rapport des forces au Parlement européen.

swissfinfo.ch: Les eurosceptiques et les partis de la droite populiste ont le vent en poupe, par exemple en France et en Grande-Bretagne. Si de plus en plus de députés ne veulent plus rien savoir de l’UE, l’Union n’est-elle pas en danger?

D. F.: Je ne crois pas. Jusqu’à présent, les partis qui sont sceptiques ou opposés à une plus grande intégration européenne disposaient d’une centaine de sièges sur un total de 766. Même s’ils doublaient ce nombre, ils resteraient une minorité.    

Il est peu probable que ces partis qui ont une optique nationaliste parviennent à former un groupe, étant donné qu’ils ont des idées totalement différentes. Dès lors, je pense que les forces politiques fondamentalement favorables à l’intégration continueront de représenter les deux tiers du Parlement.

swissinfo.ch: Environ 500 millions de personnes peuvent circuler librement en Europe. Beaucoup de citoyens européens voient cependant ces frontières ouvertes davantage comme un danger que comme un enrichissement. La migration des travailleurs a-t-elle une chance à long terme?

D. F.: Certainement. Les critiques par rapport à la libre circulation des personnes sont restées très ponctuelles. Lorsque les Anglais se plaignaient d’avoir trop de tourisme social, la Commission européenne a répondu que les effets négatifs peuvent être combattus par le biais d’une législation nationale. C’est la même chose pour la France.

Il faut tenir compte du fait que seulement 2,5 à 3% des citoyens de l’UE vivent dans un autre pays. Au vu de la situation économique, la migration devrait être plus forte.

Dans la plupart des pays, il existe une immigration beaucoup plus contenue qu’en Suisse et il n’y a pas de «vrais» problèmes. Même en Suisse, ces sont des partis populistes qui attribuent aux étrangers la responsabilité des chaque problème du pays.

Ursula Häne, Zürich

swissinfo.ch: Il existe pourtant de grandes disparités entre les pays riches de l’UE, comme l’Allemagne, et les plus pauvres comme la Roumanie ou la Bulgarie. Les problèmes ne sont-ils pas programmés d’avance?

D. F.: Le fait que les jeunes peuvent émigrer vers des pays plus riches, où ils peuvent se former, est naturellement un facteur positif pour les pays en difficulté. Par exemple, les Anglais ont dès le départ accueilli généreusement les Polonais. Depuis, beaucoup de ces Polonais se sont formés et sont rentrés chez eux avec un nouveau capital. Désormais, ils participent à la construction de l’économie polonaise.

Ou prenons l’exemple de l’Espagne. Tant que nous continuerons à ouvrir les portes à des jeunes intelligents et mobiles, il n’y aura pas de troubles. C’est un échange qui est avantageux pour les deux parties. Et c’est la même chose pour la Suisse; nous pouvons contribuer au développement de ce pays en accueillant ces personnes.

Politologue, expert en matière de politique européenne et des rapports entre la Suisse et l’UE.

Né en 1943, il a étudié la musique et l’économie politique à Berne, St Gall et Berlin.

De 1988 à 2007, il a été professeur ordinaire à l’Institut en hautes études en administration publique (IDHEAP) de Lausanne.

En 2009, il a publié le livre «Königsweg oder Sackgasse? Sechzig Jahre schweizerische Europapolitik» (Voie royale ou cul-de-sac? Soixante ans de politique européenne suisse.)

swissinfo.ch: Le frein à l’immigration approuvé par le peuple suisse le 9 février remet en question la libre circulation des personnes, l’un des piliers de la construction européenne sur lequel l’UE n’est pas disposée à négocier. Le vote suisse pourrait-il influencer les élections européennes?

D. F.: Non. Contrairement à d’autres sujets touchant la Suisse, ce vote a fait parler de lui dans plusieurs pays. Mais il ne faut pas en surévaluer la portée à cause de l’amplification médiatique.

Je suis sûr que la plupart des Français ou des Anglais n’ont aucune idée de ce qui s’est passé en Suisse le 9 février. La question suisse fait l’objet d’un débat uniquement au sein des organes européens compétents. Et dans ces cercles, on cherche avant tout à maintenir des rapports amicaux avec la Suisse, avant de passer à des mesures plus sévères.

Mais il est vrai que la Suisse représente une source de problèmes, non seulement en raison du vote du 9 février, mais aussi par rapport à l’avenir. Il est possible que cette évolution ruine à moyen terme notre politique européenne. Si le rapprochement avec l’UE, dont nous sommes économiquement dépendants, devait capoter, les conséquences seraient dramatiques pour la Suisse, pas pour l’Europe.

Le Parlement représente, avec le Conseil des ministres de l’Union européenne, le pouvoir législatif. Il est élu tous les cinq ans.

Presque 400 millions d’électeurs européens sont appelés aux urnes du 22 au 25 mai pour élire les 751 membres de l’assemblée. A noter que le Parlement comptait jusqu’à présent 766 députés.

Le Parlement exerce un rôle de contrôle politique sur le travail des différentes institutions de l’UE. Il vote également les lois et le budget. Les accords internationaux conclus avec des Etats tiers comme la Suisse ont aussi besoin de l’aval du Parlement.

Le Parti populaire européen (PPE) détient actuellement la majorité relative au Parlement. Le PPE englobe notamment Forza Italia, le parti de Silvio Berlusconi, et la CDU de la chancelière allemande Angela Merkel.

La seconde force politique du Parlement est le Parti socialiste européen.

swissinfo.ch: Quelle est l’importance de ces élections pour la Suisse, qui n’est certes pas membre de l’UE, mais qui lui est étroitement liée au travers des accords bilatéraux?

D. F.: Les négociations avec la Suisse sont de la compétence exclusive de la Commission européenne. Si l’on arrive à un accord, celui-ci devra obtenir l’aval du Conseil des ministres européens. Si c’est le cas, il y a assez peu de chances que le Parlement fasse capoter l’accord. A moins que, pour une raison ou une autre, le Conseil fasse trop de concessions à la Suisse sur des questions centrales comme la libre circulation des personnes. Je pourrais alors m’imaginer que le Parlement mette le holà, étant donné qu’il se considère comme un gardien des principes européens dont fait partie la libre circulation des personnes. Dans ce cas, si les élections devaient avoir un impact sur la Suisse, cela ne serait certainement pas en sa faveur.

swissinfo.ch: Qu’attendez-vous comme conséquences en matière de libre circulation des personnes suite au 9 février?

D. F.: L’UE ne fera pas sauter si facilement l’accord, à moins que les citoyens européens ne soient soudainement empêchés d’aller en Suisse, ce qui serait contraire aux dispositions de l’accord. Dans ce cas, l’UE serait obligée de réagir avec vigueur. Et elle a beaucoup de moyens à disposition pour «nous embêter»; il suffit de penser au programme de recherche Horizon 2020 ou à Erasmus +.

swissinfo.ch: 1,4 million de citoyens européens qui vivent en Suisse – parmi lesquels de nombreux binationaux, peuvent participer aux élections. Il y a aussi les 325’000 Suisses qui ont un passeport européen et qui vivent dans un pays de l’UE. Dans ces conditions quelle peut être l’influence de la Suisse sur les élections?

D. F.: Je ne sais pas avec quelle assiduité les «Européens suisses» vont aller voter, car cela dépend aussi du système électoral du pays d’origine: si l’on peut voter par correspondance, si l’on doit se rendre dans le pays d’origine pour le faire ou encore si on ne peut pas voter si on ne réside pas dans l’UE.

Mais ce que l’on peut dire, c’est que les gens qui sont venus en Suisse grâce à la libre circulation des personnes ne font vraisemblablement pas partie des opposants à l’UE. Ils auraient plutôt tendance à renforcer les forces qui plaident pour l’intégration européenne et à être sceptique vis-à-vis d’une Suisse qui veut les faire tomber.

(Traduction de l’allemand: Olivier Pauchard)

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