Le canton de Genève confirme son virage à droite
Dominé par la gauche ces quatre dernières années, l'exécutif du Canton de Genève vire à droite. Le parlement et le gouvernement ont désormais une majorité semblable. Ce qui ne garantit pas une meilleure gouvernabilité du canton, selon le politologue Pascal Sciarini. Interview.
Attendu et espéré par certains, le sursaut de la gauche aux élections du Conseil d’Etat (gouvernement) genevois n’a pas eu lieu. Laminé lors des élections législatives d’octobre dernier, le parti socialiste a perdu dimanche l’un de ses deux sièges au gouvernement.
Sans y entrer, le trublion de la politique genevois – le Mouvement citoyens genevois (MCG) – confirme sa percée, ses deux candidats au gouvernement obtenant plus de voix que lors des dernières législatives.
Directeur du Département de science politique de l’Université de Genève, Pascal Sciarini commente ces résultats.
swissinfo.ch: Ce scrutin genevois a-t-il une valeur nationale?
Pascal Sciarini: Je ne crois pas. Il s’inscrit bien dans une tendance générale de montée en puissance des Verts au détriment des socialistes. Mais Genève est le seul canton où les écologistes dépassent les socialistes. Ailleurs, les Verts sont toujours moitié moins forts que le PS.
La poussée du MCG, elle, ne devrait pas préfigurer un mouvement similaire dans d’autres cantons.
Quant au thème de la sécurité qui a marqué cette campagne, il montre surtout que Genève a tardé à empoigner ce problème. Et ce contrairement à d’autres cantons où ce thème est depuis longtemps à l’agenda politique, notamment parce que l’UDC (droite conservatrice) a contribué à l’y placer.
swissinfo.ch: Le gouvernement du canton change de majorité et vire à droite. Est-ce un accident de parcours ou un phénomène durable?
P.S.: Ce résultat marque plutôt un retour à la normale. Avec une majorité de gauche au gouvernement, la dernière législature était en effet une première depuis les années 30. Il faut bien voir que dans le rapport de force global, la droite est majoritaire à Genève, même sans les voix du MCG qui se proclame ni de droite, ni de gauche.
A eux seuls, les libéraux, les radicaux (droite) et les démocrates-chrétiens (centre) ont plus de voix que la gauche.
swissinfo.ch: Même s’il n’entre pas au gouvernement, le Mouvement citoyens genevois confirme sa montée en puissance. Peut-il à terme évincer l’UDC à Genève?
P.S.: Cette évolution qui se produit à Genève est inédite en Suisse, à l’exception peut-être du Tessin, bien que le parti de la Lega préexiste à l’UDC, contrairement au MCG à Genève.
L’UDC a débarqué au Grand conseil (parlement du canton) en 2001. Le MCG est, lui, arrivé quatre ans plus tard. Ce parti qui chasse en bonne partie sur les terres de l’UDC a pris l’avantage au Grand conseil et a fait un bon score lors des élections de dimanche.
Il est néanmoins difficile de dire si ce mouvement est durablement inscrit dans le paysage politique genevois. Les partis qui n’existent que dans un canton ont par définition une existence plus éphémère que les formations nationales.
Ce genre de mouvements dépend beaucoup des personnes qui l’animent. En l’occurrence, le succès du MCG doit beaucoup à l’engagement de son tribun Eric Stauffer.
swissinfo.ch: L’UDC et le MCG peuvent-ils alors se rapprocher, comme le préconise Christophe Blocher, vice-président du parti conservateur?
P.S.: Beaucoup va se jouer au niveau des personnes. Les programmes des deux formations sont identiques à 80%. Rejeté par l’UDC au début de sa carrière politique à Genève, Eric Stauffer jouit maintenant d’une bonne assise électorale. Le rapprochement des deux formations va donc être compliqué.
swissinfo.ch: Le parti socialiste sort affaibli de ce scrutin. Un échec dû à des choix erronés de candidats ou à la crise que traverse la social-démocratie en Europe?
P.S.: Les deux phénomènes ont sans doute joué. C’est bien le parti socialiste qui a fait une mauvaise élection. J’ai été frappé de voir le faible score des listes socialistes, contrairement aux listes des Verts. Le score du ministre socialiste sortant Charles Beer n’est pas très bon non plus, alors que la candidate Véronique Pürro (dont le choix était contesté au sein même du parti, ndlr) ne s’en sort pas si mal.
Le recul général de la social-démocratie joue certainement un rôle. Mais il faut aussi tenir compte de la spécificité genevoise avec un PS oscillant ces quatre dernières années entre opposition et soutien au gouvernement dont il faisait partie.
swissinfo.ch: L’éclatement du paysage politique genevois pose le problème de la gouvernabilité du canton. Le nouveau gouvernement peut-il surmonter ce mal genevois?
P.S.: Un gouvernement qui a la même couleur politique que la majorité relative du parlement n’est pas forcément gage d’une meilleure gouvernabilité du canton.
De fait, les gouvernements qui ont le mieux fonctionné étaient ceux qui avaient pris le soin d’obtenir des majorités larges pour leurs projets, parce qu’ils étaient contraints de le faire. Le gouvernement sortant majoritairement de gauche, alors que le parlement penchait à droite, a bien illustré ce fonctionnement. Même quand des oppositions sont apparues – et il y en a eu beaucoup – l’équipe sortante a le plus souvent gagné au parlement ou dans les urnes.
Les phases de cohabitation semblent donc permettre une meilleure gouvernabilité du canton. En tous les cas, j’invite la majorité de droite à ne pas faire preuve d’arrogance en gouvernant à la hussarde, comme elle a pu le faire dans le passé.
Frédéric Burnand, Genève, swissinfo.ch
Avec 53’617 voix, le Vert David Hiler arrive en tête de l’élection au Conseil d’Etat genevois de dimanche.
Il devance le radical sortant François Longchamp (49’193 voix) de 4424 suffrages.
En 3e position, le démocrate-chrétien Pierre-Francois Unger a recueilli 47’178 voix, alors qu’il avait été le conseiller d’Etat le mieux élu en 2005.
Les autres sortants Mark Muller (libéral) et Charles Beer (socialiste) ont décrochés, avec 4195 suffrages de moins pour le 1er (42’983 voix), suivi à 490 suffrages près par le 2e (42’493 voix).
Les deux nouvelles élues, la libérale Isabel Rochat (41’849 voix) et la Verte Michèle Künzler (39’743 voix), font à nouveau entrer les femmes au gouvernement.
Non élue, la socialiste Véronique Pürro suit avec 38’579 voix, soit 2810 de plus que le tiers nécessaire pour obtenir la majorité qualifiée.
Les deux candidats du Mouvement Citoyens Genevois (MCG) n’ont pas atteint le quorum de 33%. Avec 31’886 voix, Mauro Poggia devance le président du parti Eric Stauffer (29’414 voix) de près de 2500 suffrages. Quant à l’UDC Yves Nidegger, il arrive loin derrière avec 18’875 voix.
La participation a atteint 46,44%.
Après Neuchâtel au printemps, Genève a vu son Conseil d’Etat basculer à droite lors des élections de dimanche.
La Suisse ne compte désormais plus que deux exécutifs cantonaux à majorité rose-verte: Berne et Bâle-Ville.
Les élections complémentaires qui auront lieu d’ici Noël à Zurich, Schaffhouse et Obwald ne devraient pas changer cet état de fait.
Quant aux parlements cantonaux, seul celui de Neuchâtel est composé à majorité d’élus de gauche et des verts. A Berne, il est majoritairement à droite tandis qu’à Bâle-Ville, des petits partis du centre empêchent la droite et la gauche d’imposer leurs vues.
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