Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU lance une commission d’enquête sur l’Ukraine
Le Conseil des droits de l’homme (CDH) des Nations unies, réuni à Genève, a adopté vendredi une résolution condamnant l’agression de l’Ukraine par la Russie. Il appelle au retrait «rapide et vérifiable» des troupes russes et à la création d’un mécanisme d’enquête sur les violations présumées du droit international en Ukraine.
Sur les 47 membres actuels du Conseil, 32 ont voté pour, deux contre et 13 se sont abstenus. La Russie et l’Érythrée se sont opposées à la résolution présentée par l’Ukraine. La Chine et Cuba se sont abstenus.
La résolution prévoit la création «d’urgence d’une commission d’enquête internationale indépendante, constituée de trois experts des droits humains» pour enquêter sur les violations présumées des droits humains et du droit humanitaire international en Ukraine et préserver les preuves en vue de «futures procédures judiciaires».
La commission d’enquête est l’un des outils les plus puissants dont dispose le Conseil des droits de l’homme pour promouvoir la responsabilité et lutter contre l’impunité des violations graves des droits humains. Les conclusions d’une telle commission peuvent conduire à des sanctions politiques et pourraient aider les autorités compétentes dans la conduite de leurs enquêtes et poursuites – notamment parce que de plus en plus de tribunaux nationaux exercent une compétence universelle leur permettant de juger des crimes de guerre commis à l’étranger.
Les commissions d’enquête peuvent également recommander que le Conseil de sécurité des Nations unies renvoie une situation à la Cour pénale internationale (CPI). Les attaques contre des civils ou celles qui ne font pas de distinction entre les cibles militaires et les civils sont considérées comme des crimes de guerre par le droit international.
La Suisse se joint aux protestations
Le Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU dit avoir enregistré 802 victimes civiles (249 morts et 553 blessés) en Ukraine depuis jeudi dernier, mais estime que ce chiffre est sous-estimé. De son côté, la Russie affirme que son invasion en Ukraine est une «opération spéciale» visant à «démilitariser» et «dénazifier» le gouvernement ukrainien et qu’elle ne prend pas les civils pour cible.
La Suisse n’est pas actuellement membre du CDH mais soutient également la résolution, a déclaré son ambassadeur à l’ONU, Jürg Lauber, jeudi, lors du débat urgent sur l’Ukraine. Il a déclaré que la protection des civils devait être une priorité.
Le président de la Confédération, Ignazio Cassis, qui est aussi à la tête du Département fédéral des Affaires étrangères (DFAE), a également appelé mercredi à la protection des civils et à un accès humanitaire sûr et sans entrave.
Preuves pour un futur procès
La commission est une étape sur le long chemin visant à assurer la responsabilité des auteurs des crimes de guerre présumés commis par la Russie en Ukraine. Mais les résolutions du CDH n’étant pas contraignantes, les parties concernées n’ont aucune obligation de coopérer avec une telle commission.
La Commission d’enquête sur la Syrie, mise en place il y a plus de dix ans, n’a ainsi jamais été autorisée à se rendre en Syrie pour y obtenir des témoignages de victimes, ou examiner certaines preuves. Mais cela ne l’a pas empêché d’amasser une multitude de preuves de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Les défenseurs des droits humains affirment que, compte tenu des nouvelles technologies et des réseaux sociaux, il est désormais pratiquement impossible de commettre des violations majeures sans qu’elles soient mises à jour.
Le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Karim Khan, a annoncé mercredi que son bureau avait reçu des requêtes de 39 pays – dont la Suisse – pour ouvrir une enquête sur «toutes les allégations passées et présentes de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité ou de génocide commis sur toute partie du territoire de l’Ukraine par toute personne».
«Alors qu’une enquête est désormais en cours, je réitère mon appel à toutes les personnes qui participent aux hostilités en Ukraine pour qu’elles respectent strictement les règles applicables du droit international humanitaire. Personne ne peut, dans la situation actuelle en Ukraine, commettre des crimes relevant de la compétence de la Cour pénale internationale», a déclaré Karim Khan.
La résolution du CDH stipule que sa commission d’enquête devra également coopérer avec d’autres entités judiciaires selon les besoins. La Russie ne peut pas s’opposer à une enquête mandatée par le CDH ou menée par la CPI, mais traduire en justice les auteurs de ces actes, en particulier les dirigeants politiques, demeure un défi.
Pression à l’ONU
La résolution du CDH s’inscrit dans une série d’efforts menés par l’Ukraine et ses alliés aux Nations unies à Genève et à New York pour isoler la Russie au sein de la communauté internationale.
Mercredi, l’Assemblée générale des Nations unies (AG) a adopté une résolution condamnant l’invasion de l’Ukraine par la Russie et demandant le retrait de ses troupes. 141 des 193 États membres ont voté pour, cinq contre et 35 se sont abstenus. Les résolutions de l’AG ne sont pas contraignantes mais ont un poids politique car elles reflètent l’opinion de tous les États membres de l’ONU.
La session d’urgence de l’AG suivait le rejet, vendredi dernier, d’une résolution similaire au Conseil de sécurité, où la Russie dispose d’un droit de veto. Le ministre ukrainien des affaires étrangères a également demandé mardi la tenue d’une réunion spéciale de la Conférence du désarmement, basée à l’ONU à Genève, afin d’aborder la question de l’agression de l’Ukraine par la Russie et des armes de destruction massive.
La représentante permanente de l’Ukraine auprès des Nations unies à Genève, Yevheniia Filipenko, a remercié le Conseil pour la résolution adoptée vendredi, qui, selon elle, «a rassemblé les membres des Nations unies du monde entier». S’adressant à la presse après le vote, elle a déclaré qu’elle espérait que la commission d’enquête pourrait être établie dès que possible, étant donné l’urgence de la situation. La Russie a dénoncé le «caractère unilatéral» de la résolution, affirmant qu’il s’agissait d’un «gaspillage de ressources» qui pourraient être mieux utilisées pour aider les civils en Ukraine.
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