Le désespoir des agences humanitaires face au manque de carburant à Gaza
Alors que le système de santé de Gaza menace de s’effondrer faute de carburant, les organisations humanitaires appellent désespérément à un cessez-le-feu humanitaire.
«Nous sommes à court d’adjectifs pour décrire la situation humanitaire à Gaza. Elle est catastrophique», affirme John Entwistle, de la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (IFRC), depuis le siège du Croissant-Rouge palestinien à Ramallah, en Cisjordanie. «Gaza était déjà un lieu de désespoir, où les opportunités et les ressources manquent, où la mobilité manque. Le conflit n’a fait qu’aggraver la situation de manière exponentielle. Et pour couronner le tout, il y a une pénurie d’aide humanitaire.»
John Entwistle et ses collègues qui, précise-t-il, «travaillent jour et nuit» dans une «période très chargée et stressante», coordonnent les opérations d’aide du Croissant-Rouge palestinien en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Avec près de 4000 employés et quelque 13’000 bénévoles, le Croissant-Rouge palestinien est l’un des principaux acteurs humanitaires actifs dans les territoires palestiniens occupés, où il gère 15 hôpitaux.
«Ils [les employés du Croissant-Rouge palestinien à Ramallah] connaissent très bien tout le monde à Gaza. Ils connaissent les ambulanciers, le personnel, les bénévoles, et les directeurs d’hôpitaux. Et bien sûr, ils ont aussi des amis à Gaza», explique John Entwistle. «Il faut bien faire son travail. Mais il y a aussi un aspect humain qui pèse évidemment sur l’esprit de tout le monde.»
Manque de carburant
La nourriture, l’eau, les médicaments et le carburant – entre autres produits de première nécessité – manquent à Gaza. À tel point que l’Agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) a annoncé lundi qu’elle s’attendait à ce que les opérations d’aide au terminal de Rafah, entre l’Égypte et Gaza, cessent. «L’opération humanitaire dans la bande de Gaza s’arrêtera dans les prochaines 48 heures, car aucun carburant n’est autorisé à y entrer», a indiqué Thomas White, directeur des affaires de l’UNRWA à Gaza, sur X (anciennement Twitter). Et d’ajouter qu’aucun carburant n’est entré dans la bande de Gaza depuis le 7 octobre.
L’organisation a précisé qu’elle avait épuisé ses réserves de carburant et qu’elle ne pouvait plus faire fonctionner les camions et les machines nécessaires pour acheminer les marchandises depuis la frontière et les décharger dans la bande de Gaza. En conséquence, les distributions aux abris et aux cliniques étaient pour la plupart interrompues mardi.
L’UNRWA a également annoncé que deux de ses principaux distributeurs d’eau avaient cessé leurs activités lundi par manque de carburant, privant ainsi 200’000 personnes d’eau potable. Les entreprises de télécommunications devraient pour leur part cesser de fonctionner jeudi.
Mercredi, les autorités israéliennes ont toutefois autorisé, pour la première fois, l’entrée à Gaza d’une quantité limitée de carburant pour faire fonctionner les camions des agences humanitaires. Mais l’ONU estime qu’il ne s’agit que d’une fraction du carburant nécessaire pour les opérations humanitaires.
Cessez-le-feu humanitaire
Depuis des semaines, les responsables de l’ONU – du secrétaire général Antonio Guterres aux responsables des agences humanitaires telles que le Programme alimentaire mondial (PAM), le Fonds international des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) – appellent à un cessez-le-feu humanitaire afin d’éviter de nouvelles pertes civiles et de permettre l’acheminement de l’aide dans la bande de Gaza.
«Il faut un accès humanitaire durable et sûr. Selon nous, les combats doivent cesser maintenant, pour que l’aide humanitaire puisse être distribuée», souligne John Entwistle. «Le nombre de camions qui entrent à Gaza est tout simplement insuffisant.» A la suite des attaques du Hamas contre Israël le 7 octobre, la réplique de l’armée israélienne et ses bombardements sur Gaza ont endommagé les infrastructures du territoire palestinien. Les routes ont été détruites ou bloquées par des bâtiments effondrés. «Tout prend énormément de temps», ajoute-t-il.
Avant le début de la guerre, environ 500 camions entraient chaque jour dans la bande de Gaza. Mardi, 91 camions transportant de l’aide humanitaire y sont entrés depuis l’Égypte. Depuis le 21 octobre, date de la réouverture du terminal de Rafah, 1096 camions, soit moins de 46 par jour en moyenne, sont entrés dans la bande, selon l’ONU.
Vendredi dernier, un porte-parole du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) a déclaré aux journalistes à Genève que l’ONU n’était pas en mesure d’apporter de l’aide au nord de la bande de Gaza, que les forces israéliennes encerclent. Plus de 1,5 million de personnes sur une population de 2,2 millions ont été déplacées. De nombreuses personnes ont fui le nord pour rejoindre le sud, mais des centaines de milliers de personnes restent dans le nord, selon l’ONU.
Un système de santé au bord de l’effondrement
«Il est très important que l’aide puisse être acheminée vers le nord», indique John Entwistle. «Il y a encore des milliers de personnes à l’hôpital Al-Quds, y compris des patients, et ils ne peuvent pas être déplacés. Le personnel et les bénévoles du Croissant-Rouge palestinien restent sur place pour s’occuper d’eux.» L’hôpital Al-Quds, le deuxième plus grand de Gaza, a cessé ses activités dimanche en raison de la pénurie de carburant et n’accueille plus de nouveaux patients. Les personnes souffrant de maladies chroniques, devant être dialysées, souffrant de diabète, de cancer ou de maladies cardiaques n’ont pas pu être soignées.
L’armée israélienne a demandé l’évacuation des hôpitaux du nord de la bande de Gaza. Selon l’OMS, il s’agirait d’une «condamnation à mort» pour eux, car les hôpitaux du sud ne peuvent pas accueillir davantage de personnes. Mardi, une porte-parole de l’OMS a réaffirmé aux journalistes que les patients ne pouvaient pas être déplacés en toute sécurité: «Avec un si grand nombre de personnes, qui ont toutes besoin d’un soutien critique pour rester en vie, il serait très difficile de le demander même dans les meilleures circonstances.»
L’ONU a mis en garde contre l’intensification des hostilités à proximité des hôpitaux de Gaza ces derniers jours et s’est déclarée préoccupée, mercredi, par les informations faisant état de raids militaires israéliens à l’intérieur de l’hôpital Al-Shifa, le plus grand de Gaza. Israël a déclaré que l’armée avait lancé ce raid parce qu’elle soupçonnait le Hamas de disposer d’un centre de commandement sous l’hôpital et d’utiliser les tunnels qui y sont reliés pour détenir des otages. Israël réfute les accusations selon lesquelles son armée s’en prendrait aux civils.
Mardi, 22 des 36 hôpitaux de Gaza ne fonctionnaient pas en raison du manque de carburant, des dégâts, des attaques et du manque de sécurité, selon l’OMS.
En raison de la pénurie de carburant, le personnel médical a dû travailler dans des conditions difficiles. «Mon équipe m’a montré une image insensée de l’équipe chirurgicale de l’hôpital Al-Quds en train d’opérer à la lumière de téléphones portables. Pouvez-vous imaginer une opération avec trois ou quatre collègues qui utilisent leur téléphone pour l’éclairage, avec des équipements médicaux et des médicaments en quantité insuffisante? C’est tout simplement atroce», déclare John Entwistle.
Depuis le début de la guerre, 102 membres du personnel de l’UNRWA ont été tués et au moins 27 blessés. Il s’agit du nombre le plus élevé de travailleurs humanitaires tués en si peu de temps dans l’histoire de l’ONU.
Lors d’une conférence internationale sur l’aide humanitaire qui s’est tenue à Paris jeudi dernier, plusieurs pays – dont la France – et organisations humanitaires ont exprimé leur soutien à la mise en place de pauses humanitaires, qui pourraient déboucher sur un cessez-le-feu. Mais à ce jour, le gouvernement israélien rejette l’idée d’un cessez-le-feu.
«Il faut cesser de tourner autour du pot [cessez-le-feu humanitaire] et passer à l’action, et ce dès maintenant, car si ces ressources ne sont pas acheminées, il y aura encore plus de blessés et de morts. […] Et ce que l’on voit maintenant, ce sont d’autres impacts: des épidémies de maladies diarrhéiques, des infections respiratoires, et cela ne fera qu’empirer si les conditions en matière d’eau, d’assainissement et d’hygiène continuent à se dégrader», avertit John Entwistle.
Texte relu et vérifié par Virginie Mangin
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