Le fichage risqué de hooligans sur Internet
La police st-galloise vient de mettre en ligne dix-huit photos de «hooligans» présumés. A Lucerne en 2007, le succès avait été immédiat, à St-Gall, un peu moins. Des doutes s'élèvent concernant la protection des données.
«Qui connaît ces hommes?»
L’appel lancé la semaine dernière par la police st-galloise, par le biais de dix-huit portraits diffusés sur Internet, a suscité des commentaires animés en Suisse alémanique. Ces dix-huit hommes, majoritairement jeunes, sont soupçonnés d’avoir participé le 20 mai 2008 aux violentes échauffourées qui avaient suivi la défaite du club de football local en match de barrage contre l’AC Bellinzone.
Certains sont reconnaissables. Pour d’autres, la photo est floue et, dans d’autres cas encore, un foulard cache la moitié du visage.
Danger de manipulation
Résultat quelques jours plus tard? «Trois personnes se sont dénoncées d’elles-mêmes et une quatrième est identifiée de façon sûre grâce à des informations indirectes, dévoile le juge d’instruction en charge du dossier Simon Burger. Nous avons encore des informations non encore définitives pour cinq autres cas.»
Des dix-huit photos, quatre ont donc été retirées de la liste. Durant le week-end, une cinquième image était «effacée».
Les autres sont toujours présentes sur le web. C’est ce qui dérange certains commissaires à la protection des données, comme Bruno Baeriswyl, responsable zurichois et président de Privatim, l’association des préposés. S’il rappelle que la diffusion de photos de malfaiteurs soupçonnés existe déjà, dans les journaux ou sur affichettes, «Internet ajoute une nouvelle dimension».
«Il est très facile de manipuler des images en les associant à d’autres contextes», craint Bruno Baeriswyl. Le problème est aussi, ajoute-t-il, que «le hooliganisme n’a pas de définition précise et qu’il recouvre une palette très large de délits».
«Crimes sérieux»
Bruno Baeriswyl rappelle que selon les codes de procédures pénales cantonaux, l’appel au public dans le cadre d’une enquête doit être «proportionnel». Il est justifié «pour autant que toutes les autres possibilités d’enquête aient été épuisées et que le crime soit sérieux.»
Pour Simon Burger, il ne fait pas de doute que ces conditions sont remplies. «Les dégâts causés par ces personnes s’élèvent à au moins 150’000 francs, rappelle-t-il, les débordements étaient graves et les forces de l’ordre ont subi des menaces massives.»
Huit personnes avaient été arrêtées en décembre, une a déjà été condamnée. «Nous étions au terme de nos possibilités, précise le juge d’instruction. Sans cette publication sur Internet, nous aurions dû classer l’enquête.»
Jusqu’ici, seule la police lucernoise avait recouru à la publication sur Internet de photos de hooligans présumés, en mai 2007. En 21 heures, indique Simon Burger, les cinq casseurs étaient retrouvés, dont trois s’étaient dénoncés eux-mêmes pour ne pas être reconnus.
Après coup, le délégué à la protection des données avait jugé le procédé «proportionnel» à la gravité des faits et aux besoins de l’enquête.
A St-Gall aussi, la déléguée à la protection des données a été informée après coup. Elle n’a pas encore rendu son avis.
Simon Burger décidera prochainement si les photos restent en ligne. «Tant que des informations de la population nous parviennent, je les laisse, mais le flot est en train de diminuer», dit-il.
Effet préventif
Le juge d’instruction précise que les personnes impliquées savaient non seulement qu’elles étaient peut-être filmées pendant leurs méfaits, mais aussi, depuis décembre, que la publication sur Internet aurait lieu. «Ces hommes avaient le temps de se dénoncer.»
Effet collatéral «agréable», aux yeux du juge d’instruction: il n’y a plus eu d’échauffourées lors de matches à domicile. «Mais notre but premier est d’abord d’empêcher une culture de la casse», conclut-il.
Quant au préposé à la protection des données, Bruno Baeriswyl, il avertit: «Nous devrons observer l’évolution de ces procédés avec grande attention».
Les internautes, de leur côté, sont majoritairement favorables au nouveau procédé, selon un sondage mené par le «St.Galler Tagblatt» sur son site Internet.
swissinfo, Ariane Gigon, Zurich
Violences. Le 20 mai 2008, de violentes bagarres éclataient au stade Espenmoos de St-Gall après la défaite de l’équipe locale de football lors d’un match de barrage.
Des dégâts de plus de 150’000 francs étaient causés par les casseurs.
Détention. En décembre, la police avait placé huit personnes en détention provisoire. Une a été condamnée. En décembre toujours, le juge d’instruction avait averti qu’il publierait les photos de participants présumés sur Internet durant le mois de janvier.
Inédit. La police lucernoise avait été la première à utiliser cette nouvelle procédure en 2007.
Cinq. En moins de 24 heures, les cinq casseurs recherchés étaient retrouvés, dont trois qui s’étaient dénoncés eux-mêmes pour ne pas être reconnus.
13. A St-Gall, en cinq jours, cinq personnes ont été identifiées. Il reste 13 des 18 photos placées sur Internet le 18 janvier.
Proportionnalité. Selon les Codes de procédure civile cantonaux, l’appel au public dans une enquête pénal doit respecter le principe de proportionnalité, survenir si tous les autres moyens ont été épuisés et si les faits sont sérieux.
Inquiétudes. Les commissaires à la protection des données s’inquiètent de possibles manipulations des portraits des hooligans présumés.
La police répond qu’il est impossible d’y associer un nom.
Après coup. A Lucerne et à St-Gall, les commissaires à la protection des données ont été informés après coup de la diffusion des photos de coupables présumés sur Internet. A Lucerne, la procédure a été jugée proportionnelle.
Privatim, l’Association des commissaires suisses à la protection des données, a mené un sondage représentatif pour connaître l’importance de ces questions dans l’opinion publique, 20 ans après l’apparition des premiers commissaires indépendants.
La protection des données est importante, voire très importante, pour 78% de la population.
Pas de garantie. «C’est un paradoxe, déclare Bruno Baeriswyl, président de Privatim, car le maniement inconsidéré de données personnelles est très répandu. Les réseaux sociaux sur Internet, qui ont beaucoup de succès, n’offrent souvent que de très faibles garanties que les données ne sont pas transmises à des tiers.»
Méfiance. Le sondage révèle aussi que les personnes interrogées n’ont que peu confiance dans les entreprises privées, émetteurs de cartes de crédit et prestataires télécoms en tête.
Vitimes. 15% des personnes sondées disent avoir été victimes d’abus.
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