«Le geste le plus audacieux de la présidence Obama»
Après plus de 50 ans de rupture diplomatique et d’embargo, les Etats-Unis et Cuba ont annoncé la normalisation de leurs relations. Un geste historique relevé par les éditorialistes des quotidiens de Suisse, avec quelques bémols.
«Todos somos Americanos.» C’est par cette formule que le président des Etats-Unis a commenté le rapprochement historique entre Washington et La Havane qui vont rétablir leurs relations diplomatiques rompues en 1961. Un cri de ralliement entendu cinq sur cinq par les dirigeants d’Amérique latine. A leurs yeux, cette initiative et l’échange de prisonniers qui l’accompagne vont permettre d’apaiser la bataille idéologique divisant le continent américain depuis des décennies.
C’est ce que souligne la Neue Zürcher ZeitungLien externe: «Les présidents et ministres des affaires étrangères de divers bords politiques ont parlé d’un évènement historique. Même le chef de l’Etat vénézuélien Nicolàs Maduro, qui a repris de Fidel Castro le rôle d’accusateur le plus véhément de l’impérialisme yankee, a loué le courage d’Obama d’avoir effectué un pas sans précédent», souligne la NZZ.
Un embargo vidé de sa substance
Dans son éditorial, Le TempsLien externe prend également la mesure de l’événement : «C’est un changement de paradigme comparable à l’ouverture de Richard Nixon vers la Chine, ou aux accords de Camp David conclus sous l’égide de Jimmy Carter. Libéré de toute considération électorale, Barack Obama a accompli, avec l’aide des Canadiens et du pape, le geste le plus audacieux de sa présidence.»
Correspondant du Temps à New York, Stéphane Bussard poursuit : «Le président démocrate part d’un constat. L’embargo imposé par Washington à Cuba depuis un demi-siècle est un cuisant échec, un relent de la Guerre froide. Les Castro sont toujours au pouvoir et l’île est toujours dirigée, malgré des réformes économiques prometteuses, de façon autocratique. (…) Barack Obama ne lève pas l’embargo, une prérogative du Congrès, mais il le vide de sa substance.»
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A pied à travers la Havane
La NZZ suit la même ligne. Pour les Etats-Unis, l’embargo s’est transformé en boomerang, écrit son correspondant à Cuba. Avec son attitude intransigeante, Washington s’est retrouvé bien seul. «Seul Israël s’appliquait encore à soutenir les Américains lors des mises en accusations annuelles de l’embargo devant les Nations Unies. Même en Occident, sphère d’influence historique des Etats-Unis, ce n’est pas La Havane qui était isolée, mais bien Washington. Les meilleurs amis des Etats-Unis avaient depuis longtemps renoué les relations diplomatiques avec l’Etat des Caraïbes», relève le quotidien de Zurich.
Le Cohiba de la paix
Comme le rappelle Le NouvellisteLien externe, «l’annonce d’Obama et Castro ne tombe pas du ciel: autorisations de voyage pour des Cubains, invitation de Cuba au Sommet des Amériques en avril 2015, quasi-ambassades déguisées en missions diplomatiques, relaxe de prisonniers politiques, poignée de main Raul-Barack lors des obsèques de Mandela: Washington et La Havane s’étaient fait des signaux de fumée bien avant hier. Mais ils n’ont pas encore fumé le Cohiba de la paix. »
De fait, les principales dispositions du blocus commercial instauré en 1962 par le président Kennedy sont maintenues, en attendant leur éventuelle levée par le Congrès. Mais une série de mesures a déjà été annoncée pour favoriser les échanges économiques entre les deux pays. Pour la première fois depuis des décennies, les Américains pourront désormais utiliser leurs cartes de crédit à Cuba et les institutions américaines pourront ouvrir des comptes dans les institutions financières cubaines.
Une bouffée d’oxygène pour l’économie privée embryonnaire autorisée ces dernières années par le régime des frères Castro et qui concerne aujourd’hui un demi-million de Cubains.
«Les Etats-Unis aimeraient avoir de dangereux ennemis dans le monde entier, mais Cuba n’en fait plus partie depuis bien longtemps», écrit le correspondant aux Etats-Unis du Tages-Anzeiger Lien externeet du BundLien externe. Selon lui, si un rapprochement a échoué ces dernières années, c’est surtout le fait des Etats-Unis. Et cela n’est dû qu’en partie aux exilés cubains intransigeants en Floride. «C’est surtout dû au fait que les faucons de Washington, façonnés par la Guerre froide, s’étaient habitués à l’image de l’ennemi communiste.»
Mais Obama court un risque, assure l’Aargauer ZeitungLien externe. La Maison Blanche a renoncé à réclamer de larges concessions de la part de La Havane. Washington mise essentiellement sur le poids des arguments, la force du dollar ainsi que la capacité des Castro à tirer des enseignements. Mais «La Havane, ces 50 dernières années, a souvent fait des pieds de nez aux Américains», prévient le journal alémanique.
Obama conforté
Un pessimisme dont ne fait pas preuve le correspondant du Tages-Anzeiger et du Bund. «Dans l’exemple de Cuba, Obama peut maintenant prouver qu’il a raison. Oui, le régime n’est pas démocratique et ne respecte pas les droits de l’homme – mais c’est aussi le cas pour bon nombre d’autres alliés, comme l’Arabie saoudite. Les Etats-Unis ne se mettent pas en danger s’ils précipitent l’ouverture de Cuba. Si cette ouverture devait comporter des risques, ce serait à la rigueur pour le régime de la Havane qui pourrait être touché par les forces du changement.»
Représentation diplomatique
La Suisse «salue ce pas historique et félicite le président américain Barack Obama et le président cubain Raúl Castro de cette décision déterminante pour l’avenir», selon la prise de position du ministère suisse des affaires étrangères qui n’était pas en mesure de s’exprimer sur les éventuelles conséquences de ces développements sur le mandat suisse.
Depuis 1961, l’ambassade de Suisse à La Havane représente en effet les intérêts américains et ceux de Cuba à Washington depuis 1991.
Une perspective que le président cubain a voulu cadrer mercredi. Après avoir salué le rôle du Vatican «et particulièrement le pape François, pour leur appui», Raoul Castro s’est montré inflexible en matière d’ouverture politique et de respect des droits humains. «Nous avons maintenu une profonde loyauté envers ceux qui sont tombés en défendant ces principes d’indépendance», a-t-il martelé mercredi, sans oublier de mentionner que la position de Cuba vis à vis de Washington n’avait pas varié d’un iota par rapport à l’époque de Fidel.
Cela dit, Cuba a annoncé la libération d’une cinquantaine de prisonniers politiques, le développement de l’accès à Internet et l’ouverture du pays aux visites des experts des Nations unies et du CICRLien externe, note Le Temps.
Barack Obama, lui, est en passe de faire mentir ses nombreux détracteurs, comme le relève Stéphane Bussard : «Après la victoire républicaine lors des élections de mi-mandat, beaucoup voyaient déjà Barack Obama comme un président impuissant. Avec Cuba, son décret sur l’immigration et peut-être demain un accord sur le nucléaire iranien, il prouve qu’il pourrait bien être le président ‘transformationnel’ dont on parlait en 2008.»
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