Immigration: le gouvernement opte pour une clause de sauvegarde
Le gouvernement suisse veut appliquer l'initiative contre l'immigration de masse grâce à une clause de sauvegarde, de manière unilatérale si nécessaire. Le Conseil fédéral continuera toutefois à chercher une solution consensuelle avec l'Union européenne, qui reste la solution privilégiée.
Le Conseil fédéral a décidé de poursuivre les consultations avec Bruxelles pour parvenir si possible à une solution respectant à la fois le vote des Suisses sur l’initiative «Contre l’immigration de masseLien externe» et l’accord sur la libre circulation des personnes. Cela sécuriserait la voie bilatérale très importante pour la Suisse.
Le gouvernement veut toujours appliquer le texte de l’UDC en soumettant les étrangers à des contingents dès quatre mois de séjour, mais les citoyens de l’UE pourront y échapper. Pour ces derniers, l’exécutif mise désormais sur une clause de sauvegarde qui permettrait une limitation temporaire et ciblée des autorisations de séjour.
Etudes
Le Conseil fédéral a pris connaissance de deux études scientifiques sur les conséquences économiques d’une extinction des Accords bilatéraux I et du rapport explicatif du Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO).
Les études révèlent que le produit intérieur brut cumulé jusqu’en 2035 serait inférieur de 460 à 630 milliards de francs. En d’autres termes, l’abandon des Bilatérales I coûterait, en moins de 20 ans, grosso modo l’équivalent d’un «revenu annuel» actuel de l’économie suisse.
Il faudrait en outre compter avec d’autres effets négatifs du fait que la place économique perdrait de son attrait et de l’incertitude entourant les relations de la Suisse avec son principal partenaire commercial.
L’initiative devant être mise en œuvre d’ici février 2017, il n’est pas certain que Berne et Bruxelles arriveront à se mettre d’accord à temps. L’UE a toujours dit que la libre circulation n’était pas négociable. Le climat s’est dégelé cette année et dix rencontres ont eu lieu, mais une solution n’est pas encore sur la table, a relevé devant la presse la présidente de la Confédération Simonetta Sommaruga.
Les deux parties essaient de trouver une interprétation commune d’une disposition de l’accord sur la libre circulation qui autorise des mesures spéciales en cas de difficultés économique et sociale sérieuses. Une entente éviterait à la Suisse de devoir renégocier le traité et d’obtenir l’assentiment des 28, a relevé le ministre des affaires étrangères Didier Burkhalter.
Les négociations continuent
Du côté de Bruxelles, on indique vouloir maintenir le dialogue avec la Suisse. «Nous continuons les discussions avec les autorités suisses pour trouver une solution. C’est difficile, mais nous continuerons les consultations, ainsi que l’ont convenu le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker et la présidente de la Confédération Simonetta Sommaruga lors de leur dernière entrevue, le 1er décembre. Ils doivent encore se rencontrer d’ici la fin de l’année, mais aucune date n’a encore été fixée», a indiqué un porte-parole de la Commission à swissinfo.ch.
L’Union européenne a jusqu’à présent à plusieurs reprises affirmé ne pas vouloir d’une limitation de la circulation des personnes, car il s’agit d’un «droit fondamental» au sein de l’Union européenne.
Passer en force
Les contours de la solution restent flous en raison des négociations en cours, mais le gouvernement pourrait aussi passer en force. Il a chargé le Département de justice et police d’élaborer d’ici début mars un projet pour le Parlement prévoyant une clause unilatérale de sauvegarde.
Les lignes directrices seront insérées dans la loi sur les étrangers. Un seuil d’immigration devra être fixé pour les ressortissants européens au-delà duquel des contingents seront introduits dès l’année suivante.
La décision de l’activer reviendra au Conseil fédéral, qui précisera à qui les plafonds s’appliquent et pour quels motifs de séjour. Le gouvernement devra tenir compte des intérêts économiques du pays et des recommandations d’une nouvelle commission de l’immigration. Des contrôles auront lieu dans ce cadre sur la préférence nationale et les conditions de travail et de rémunération, mais pas au cas par cas.
Pour l’immigration en provenance des pays tiers, le gouvernement veut s’en tenir au projet mis en consultation en février. C’est plus ou moins le système actuel, mais avec des quotas pour le regroupement familial, les personnes sans activité lucrative et celles relevant du domaine de l’asile.
Les requérants ne sont toutefois pas concernés et il pourra y avoir des exceptions pour les réfugiés et les personnes dignes de protection, a précisé le secrétaire d’Etat aux migrations Mario Gattiker.
Eviter les abus
Le nouveau projet contiendra aussi des mesures pour éviter les abus à la libre circulation des personnes. Les étrangers séjournant en Suisse comme chercheurs d’emploi seront exclus de l’aide sociale. Ceux qui se retrouvent au chômage durant la première année de séjour devront quitter la Suisse au bout de six mois.
Ceux qui perdent leur emploi après 12 mois de séjour garderont leur qualité de travailleur durant six mois après la fin de leur activité ou de la perception d’indemnité de chômage. Le projet donnera une base légale à l’échange de données entre les autorités pour les demandeurs de prestations complémentaires.
Un message complémentaire concernera des dispositions relatives à l’intégration. Des facilités seront accordées aux réfugiés et aux personnes admises à titre provisoire pour leur permettre de mieux s’intégrer sur le marché du travail.
«Très sportif»
Un accord avec Bruxelles sur la clause de sauvegarde permettrait de ratifier le protocole d’extension de l’accord de libre circulation des personnes à la Croatie. C’est une des conditions pour que la Suisse puisse continuer à participer au programme de recherche européen «Horizon 2020» au-delà de 2016.
Si un accord était trouvé avec l’UE après la transmission du projet au Parlement, celui-ci serait adapté en cours de route. Selon le Conseil fédéral, il n’a pas été perdu de temps. Mais le calendrier reste «très sportif» selon Mme Sommaruga.
L’UDC dénonce
A l’origine de l’initiative, l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice) n’est pas satisfaite des déclarations du gouvernement. Pour le parti, il ne s’agit que d’un «exercice alibi». En fait, deux ans après le vote, le Conseil fédéral n’a toujours rien fait de concret pour mettre l’initiative en œuvre. L’UDC doute par ailleurs qu’il y parvienne un jour en empruntant cette voie. «On n’imagine pas vraiment comment la Suisse pourrait piloter l’immigration de manière autonome avec une clause de sauvegarde négociée à l’amiable avec l’UE et sans adaptation de l’accord de libre circulation des personnes», écrit l’UDC dans un communiquéLien externe.
Pour Toni Brunner, président du parti, le Conseil fédéral «joue une nouvelle fois la montre». «Je ne comprends pas comment, en introduisant un seuil dont on tiendrait compte uniquement l’année suivante, on compte limiter l’immigration», assure-t-il. Pour lui, le gouvernement n’a pas présenté de réel mécanisme, ni de solution que l’on peut mesurer. «La mission est pourtant claire: la forte immigration doit être réduite», martèle Toni Brunner, alors que la clause de sauvegarde du gouvernement «n’est qu’une construction théorique».
Critiques à gauche également
Le Parti socialiste est lui aussi très critique, mais pour d’autres raisons. Il estime que la clause de sauvegarde telle que proposée n’est qu’un «placebo pour la population», car elle ne résout en rien les problèmes qui ont conduit le peuple à accepter l’initiative.
Pour le PS, l’amélioration de la situation passe plutôt par un renforcement des mesures d’accompagnement qui empêchent les excès de la libre circulation. Quant à des mesures unilatérales, c’est «faire courir un risque majeur de rupture d’accords aux conséquences importantes pour les travailleurs, les étudiants et les entreprises», écrit le PS dans un communiquéLien externe.
Au centre de l’échiquier politique, le Parti démocrate-chrétien (PDC / centre-droit) se montre en revanche satisfait. Il noteLien externe que le gouvernement opte pour une solution que le PDC avait déjà préconisée en avril 2014.
Du côté du monde économique, l’Union suisse des arts et métiers, l’organe faîtier des PME, salue la volonté du gouvernement de vouloir conserver les accords bilatéraux pour assurer le futur. «Une dénonciation des accords bilatéraux aurait des conséquences fatales pour l’économie suisse», écrit l’usam dans un communiquéLien externe.
A gauche, l’Union syndicale suisseLien externe est plus partagée. Elle salue la volonté de trouver un accord avec l’UE, mais estime que retenir une clause de sauvegarde «revêt de gros dangers».
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