Le Gripen peine toujours à prendre son envol
Le choix de l’avion suédois Gripen comme nouveau jet de combat de l’armée suisse continue de faire des vagues. Face aux critiques, le ministre de la Défense Ueli Maurer s’est exprimé mardi pour justifier le choix du gouvernement. Mais ses explications ne convainquent pas vraiment la presse.
Le gouvernement avait annoncé le 30 novembre que le Saab Gripen serait le nouvel avion de combat des Forces aériennes suisses. L’appareil suédois a été préféré au français Rafale et à l’européen Eurofighter, car moins cher à l’achat et à l’entretien.
Des rapports sortis des tiroirs
Cette annonce avait immédiatement suscité de vives réactions politiques. Pour les uns, cet «avion Ikea» au rabais n’est pas en mesure de répondre aux exigences de l’armée suisse. Pour les autres, même meilleur marché, cet appareil reste inutile et trop coûteux en cette période de crise.
Mais l’affaire a rebondi le week-end dernier avec la publication par la presse dominicale de rapports d’évaluation confidentiels indiquant que le Gripen ne remplit pas les conditions minimales pour la police du ciel.
Suite à ces révélations, Ueli Maurer a encore semé un peu plus la confusion en déclarant ne pas avoir eu connaissance de ces rapports. Une déclaration qui a suscité un tollé et qui nécessitait une mise au point de la part du ministre.
«Déstabilisation»
Accompagné du chef de l’armée André Blattmann et du chef des Forces aériennes Markus Gygax, Ueli Maurer a réaffirmé mardi devant la presse que le choix du Gripen était pleinement justifié et que la procédure de sélection avait été transparente.
Concernant les documents dévoilés par la presse, le ministre a précisé qu’il s’agissait de documents partiels vieux de quatre ans et sans importance majeure. Par ailleurs, ces évaluations portaient sur une version antérieure du Gripen, la version retenue par le gouvernement ayant été améliorée depuis lors.
Ueli Maurer a également jugé que la divulgation de ces vieux rapports dans la presse constituait une tentative de «déstabilisation» opérée par des milieux déçus par le choix du gouvernement.
Commentateurs sceptiques
Dans la presse de mercredi, les commentateurs se montrent relativement sceptiques face aux explications d’Ueli Maurer. «La contre-offensive lancée hier ne lui aura pas permis de desserrer l’étau dont il est prisonnier», note par exemple le quotidien fribourgeois La Liberté.
L’Aargauer Zeitung enfonce encore un peu plus le clou: «Le Département de la défense voulait faire preuve d’unité et de détermination pour calmer le débat politique toujours plus vif autour de l’achat de 22 nouveaux avions de combats. Ueli Maurer et ses généraux n’ont que partiellement atteint cet objectif. La faute à leur double jeu. D’une part, ils justifient dans le détail la décision du gouvernement en faveur du Gripen suédois. D’autre part, le conseiller fédéral Maurer en particulier laisse une porte grande ouverte aux constructeurs d’Allemagne et de France pour faire de nouvelles offres plus avantageuses. Ce qui ne permet naturellement pas de maîtriser les turbulences.»
Pour le Tages Anzeiger, des questions cruciales restent ouvertes. «Où l’avion a-t-il été entretemps tellement amélioré qu’il répond maintenant aux exigences? Combien la Suisse devra-t-elle dépenser pour participer à la suite de son développement? Il est par ailleurs problématique que le constructeur soit petit comparativement aux autres. Personne ne sait si la Suède produira et développera encore des avions dans quarante ans», note le quotidien zurichois.
Il convient toutefois de relever que la presse ne se contente pas d’un procès à charge contre Ueli Maurer. Certains commentateurs trouvent aussi des points en faveur du ministre. Par exemple le quotidien bernois Der Bund qui écrit: «Ueli Maurer a aussi des arguments plausibles de son côté. Le Gripen est le seul avion que la Suisse peut se permettre pour le moment. Certes, le Rafale et l’Eurofighter seraient plus puissants, mais leur maintenance et leur exploitation sont si chères que l’armée pourrait s’étouffer dans les coûts.»
Pas prêt de décoller
Bref, après les «révélations» du week-end, le débat sur le futur avion de combat continue de plus bel. Et au vu de ces derniers développements, le débat semble bien loin d’être terminé et s’annonce rude au Parlement.
Mais hier comme aujourd’hui, une chose est sûre: ce n’est pas encore demain que le Gripen survolera la Suisse.
Et La Liberté de relever: «Il reviendra aussi au parlement de confirmer – ou pas – le choix de l’armée et du Conseil fédéral en faveur d’un appareil qui n’existe pas encore et dont la qualité première réside apparemment dans son prix. Mais à 3 milliards et des poussières, le bon marché est encore très cher. Surtout si cet achat doit être en partie compensé dans les transports publics et les assurances sociales. Comme quoi le Gripen n’est pas près de décoller en Suisse, surtout si son pilote politique s’avère aussi défaillant.»
L’armée de l’air suisse décolle en 1914 avec neuf pilotes (dont huit romands), qui volent sur leurs propres avions. Elle ne devient une arme à parte entière qu’avec la création du Service de l’aviation en 1936.
Au début de la Seconde Guerre mondiale, l’armée suisse dispose de 96 avions de chasse (principalement des Messerschmitt 109 allemands) et de 138 avions de reconnaissance et d’appui aérien. Les pilotes suisses sortent victorieux de quelques accrochages avec la Luftwaffe, mais pour des raisons de neutralité, Berne interdit rapidement les interceptions.
Pendant la Guerre froide, alors que la Suisse a une politique de défense mobile, les Forces aériennes participent à quelques missions hors du territoire. Dès 1995, leur mandat se recentre sur le contrôle de l’espace aérien national. En 2008, une initiative visant à interdire les vols d’entraînement au-dessus des zones touristiques est nettement refusée par le peuple.
Les 22 avions que la Suisse prévoit d’acheter doivent remplacer les 56 F-5 Tiger achetés entre 1976 et 1978. La Suisse dispose également de 33 F/A 18 Hornet, mis en service dès 1996.
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