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Le legs incertain de DSK au FMI

Christine Lagarde le 25 mai dernier, alors qu'elle s'apprête à annoncer sa candidature à la tête du FMI. Keystone

Pour remplacer Dominique Strauss-Kahn à la tête du FMI, les Occidentaux poussent la candidature de la Française Christine Lagarde. Un choix risqué selon deux experts suisses qui reviennent sur le bilan de DSK inculpé aux Etats-Unis pour tentatives de viol.

Le ministre français des Affaires étrangères, Alain Juppé, l’a déclaré ce dimanche: les dirigeants du G8 soutiennent à l’unanimité la candidature de Christine Lagarde à la direction générale du Fonds monétaire international (FMI)

De son côté, la Suisse a précisé la semaine dernière sa position. Berne n’entend pas se ranger automatiquement derrière Christine Lagarde, candidate déclarée des Européens.

C’est à l’issue du délai de dépôt des candidatures le 10 juin prochain que le gouvernement suisse fera son choix. Centré sur la compétence du ou de la candidate, plutôt que sur son appartenance géographique, le choix de la Suisse pourrait donc porter sur un prétendant du Sud, si ses qualités le justifient.

 

Une position cohérente

Professeur d’économie à l’Institut de hautes études internationale et du développement (IHEID), Cédric Tille salue ce point de vue qui a fait débat en Suisse: «L’atout de la Suisse, c’est son honnêteté. En soutenant sans autre l’Europe, Berne aurait perdu une part de sa crédibilité. Cette position peut renforcer son crédit auprès des pays émergents».

De fait, les pays du BRIC (Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine ) ont rappelé mardi dernier leur rejet d’une règle tacite décidée en 1944 qui veut que les Institutions de Bretton Woods (FMI et Banque mondiale) soient dirigées par un européen (FMI) et un américains (BM).

Dans un communiqué,  les directeurs du FMI représentant le BRIC et l’Afrique du Sud appellent à «un processus transparent, concurrentiel et basé sur le mérite» et non la nationalité, ce qui «sape la légitimité du Fonds».

Siège éjectable

Estimant également que l’option prise par Berne est parfaitement justifiée, Charles Wyplosz souligne l’inconfort de la position suisse: «Au FMI, la Suisse représente les républiques d’Asie centrale, des pays également très fâchés par ce protectorat occidental sur les institutions de Bretton Woods».

Et ce spécialiste de la finance à l’IHED de poursuivre: «Au FMI, elle doit défendre le groupe de pays (Helvetistan) qu’elle représente. En guise de concession aux pays émergents, les Européens peuvent très bien s’attaquer à ce groupe dirigé par un pays européen pour diminuer leur poids dans le conseil d’administration, où ils sont majoritaires avec les Etats-Unis. La Suisse est donc sur un siège éjectable».

Pour Charles Wyplosz, le forcing des Européens en faveur de la ministre française de l’Economie s’explique par le rôle direct qu’ils jouent dans les négociations du FMI avec les pays européens lourdement endettés, à commencer par la Grèce. Sous la direction de DSK, le FMI a accepté que les Européens fassent officiellement partie de la négociation entre le FMI et le pays européen endetté pour fixer le montant et les conditions du prêt accordé. Ce qui ne  s’était jamais fait auparavant.

«C’est le seul reproche que je fais à Dominique Strauss-Kahn, directeur démissionnaire du FMI, que d’avoir accepté de mauvais plans de sauvetage pour des raisons politiques (pression des Européens, ndlr) et dans une situation de conflits d’intérêt, puisqu’il était candidat probable et favoris à la présidentielle française », estime Charles Wiplosz.

Des plans trop drastiques

«Mon opinion est que les plans de sauvetage de la Grèce, de l’Irlande et du Portugal n’appliquent pas la bonne recette, comme on le voit aujourd’hui avec la Grèce. Influencées par  les intérêts électoraux d’Angela Merkel et de Nicolas Sarkozy, les conditions du prêt sont trop drastiques», ajoute Charles Wiplosz.

Un point de vue que partage Cédric Tille: «Il aurait  été plus rapide et moins cher que la Grèce traite directement avec le FMI».

Malgré les 110 milliards d’euros octroyés l’an dernier par le FMI et l’UE, la Grèce n’a en effet pas atteint ses objectifs de réduction du déficit et le risque d’un défaut de paiement de sa dette s’est fortement accru. Le ministre grec des Finances George Papaconstantinou s’est toutefois dit optimiste sur l’issue des négociations en cours à Athènes entre le gouvernement et la «troïka» formée par l’UE, le FMI et la Banque centrale européenne sur un nouveau plan d’aide financière.

Une orientation durable?

L’avenir dira si les négociations élargies introduites par DSK se généraliseront aux autres régions du monde. Quant aux autres changements apportés au FMI par le socialiste français,  ils ont l’avantage, eux, de s’inscrire dans un mouvement profond.

Dominique Strauss-Kahn a en effet su profiter au mieux de la conjoncture du moment pour redresser le FMI. Un organisme perçu alors comme obsolète par certains pays du Sud, en particulier en Amérique latine.

«DSK est arrivé à la tête d’un Fonds monétaire en perte de vitesse, celui-ci semblait en décadence. Mais cette marginalisation s’explique par l’absence de grandes crises financières depuis celle de l’Argentine (1998-2002). Le FMI était alors un peu désœuvré et dans une situation financière difficile, puisque ses ressources proviennent largement des prêts accordés aux pays endettés», rappelle Charles Wiplosz.

Dès son arrivée en 2008, DSK a donc mis en place un plan d’économie avec des encouragements au départ. L’économiste genevois souligne tout particulièrement les changements au sommet de la hiérarchie du FMI, avec la nomination de plusieurs directeurs généraux, de grande qualité, et moins dogmatiques en matière de restructuration que par le passé.

Une idéologie à bout de souffle

«Au nom du Consensus de Washington (une approche ultralibérale adoptée par le FMI dès 1990, ndlr) les pays devaient s’ouvrir aux mouvements de capitaux le plus vite possible et adopter sans tarder des taux de changes flexibles. Aujourd’hui, les contrôles de capitaux sont redevenus respectables, et les taux de changes flexibles ne sont plus la panacée», explique Charles Wiplosz qui salue une plus grande sensibilité  du FMI à l’égard des pays du Sud sous la direction de DSK.

Selon nos deux experts, ce dernier a su profiter au mieux des circonstances imposées par la crise financière de 2009 et l’ouverture consécutive aux pays émergents, matérialisée par le passage du G8 au G20.

«DSK a réussi à redonner une forte visibilité à l‘institution dans le cadre du G20, en lui trouvant un rôle que l’institution cherchait», souligne Cédric Tille.

Son collègue Charles Wiplosz ajoute:  «Décidée avant  son arrivée, il a réussi à traduire en acte une redistribution mineure des voix au sein du Conseil d’administration du FMI en faveurs des pays émergents . Mais il a montré un vrai talent politique pour concrétiser cette redistribution qui était une épine dans le pied du FMI».

En poussant la candidature de Christine Lagarde, les Européens freinent donc le changement de direction en faveur du Sud amorcé par DSK. «Si la Française  est choisie, les risques de blocages des pays émergents  seront  élevés», juge Cédric Tille.

Une candidature au poste de Directeur général peut être présentée par un Gouverneur ou un Administrateur au cours d’une période de nomination qui sera close le 10 juin 2011.

Le Secrétaire du FMI maintiendra le nom des candidats confidentiel jusqu’à la fin de la période de nomination.

Si les candidats sont plus de trois, le Conseil d’administration maintiendra leur nom confidentiel jusqu’à ce qu’il ait établi une liste restreinte de trois candidats en tenant compte du profil décrit plus haut, sans préférence géographique.

Bien que le Conseil d’administration puisse adopter une liste restreinte à la majorité des voix exprimées, il s’est fixé pour objectif d’adopter une liste restreinte par consensus. Cette liste restreinte sera publiée par le FMI.

Le Conseil d’administration s’est fixé pour objectif de sélectionner le Directeur général par consensus et d’achever le processus de sélection le 30 juin 2011 au plus tard.

 

Source : FMI

La Suisse est devenue membre du FMI le 29 mai 1992. Lors de son adhésion, elle a pris la direction d’un nouveau groupe de vote, qui comprenait à l’époque six autres pays.

Elle s’est vu attribuer de ce fait l’un des 24 sièges du Conseil d’administration, l’organe directeur du FMI, obtenant ainsi la possibilité de collaborer activement à l’élaboration de la politique du FMI.

Le groupe de vote dirigé par la Suisse  est formé par l’Azerbaïdjan, le Kazakhstan, le Kirghizistan, la Pologne, la Serbie, le Tadjikistan et le Turkménistan. Ce groupe représente un poids électoral de 2,82 % au sein du Conseil d’administration du FMI (dont 1,57 % pour la Suisse).

 

Source: ministère suisse des finances

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