Le mariage civil pour tous franchit un «pas historique» en Suisse
La Chambre basse du Parlement helvétique s’est exprimée à une nette majorité jeudi en faveur du mariage pour les couples homosexuels, et de l’accès au don de sperme pour les couples lesbiens. La Suisse devrait ainsi rattraper son retard sur les autres pays européens, même si une votation populaire n’est pas exclue.
Le mariage pour tous a passé jeudi matin un premier cap à la chambre basse du Parlement suisse. Le Conseil national a accepté, par 132 voix contre 52 et 13 abstentions, un projet visant à accorder les mêmes droits aux couples, qu’ils soient homosexuels ou hétérosexuels. Issu d’une initiative parlementaire vert’libérale, le projet ficelé par la commission des affaires juridiques du National veut permettre aux couples de même sexe de se marier, de bénéficier de la naturalisation facilitée de leur conjoint.e et d’adopter des enfants.
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LGBTIQ: la Suisse rattrape son retard
Les débats avaient débuté mercredi dernier mais, faute de temps, les élus avaient dû s’interrompre avant d’avoir tranché. Tous les groupes, à l’exception de l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice), avaient déjà plaidé pour franchir ce «pas historique». Soutenu par toute la gauche, le projet a aussi reçu jeudi le soutien du Parti libéral-radical (PLR / droite) et d’une bonne partie des parlementaires démocrates-chrétiens (PDC / centre-droite). Il a été rejeté par l’UDC et quelques démocrates-chrétiens.
«Appliquer les droits existants à tous les couples»
Le député UDC genevois Yves Nidegger appelait à rejeter le texte en bloc, arguant notamment que «le mariage pour tous existe en droit suisse depuis 2007, sous le nom de partenariat enregistré». Selon ses termes, «cette modification rédactionnelle» pour «se procurer le mot ‘mariage’» n’apporterait aucun nouveau droit. Un argument vigoureusement contesté par la majorité des députés.
«Il ne s’agit pas d’une lubie progressiste de personnes en manque de revendications, mais bien d’une avancée sociétale à laquelle on assiste partout dans le monde»
Vincent Maître, député démocrate-chrétien
Pour Kathrin Bertschy, la députée vert’libérale bernoise porteuse du projet, «il ne s’agit pas de nouveaux droits», mais de faire en sorte «que les droits existants s’appliquent à tous les couples». Au PDC, le Genevois Vincent Maître a déclaré qu’ «il ne s’agit pas d’une lubie progressiste de personnes en manque de revendications, mais bien d’une avancée sociétale à laquelle on assiste partout dans le monde».
Actuellement, le partenariat enregistré que peuvent conclure les couples de même sexe ne leur accorde pas les mêmes droits que le mariage. Le projet accepté jeudi matin n’élimine pas toutes les inégalités, mais veut permettre aux couples homosexuels d’accéder à la naturalisation facilitée du conjoint et à l’adoption conjointe. Depuis 2018, les partenaires de couples de même sexe sont autorisés à adopter l’enfant de leur conjoint, mais la procédure est longue et risquée.
Don de sperme pour les couples lesbiens accepté
La chambre du peuple a également accepté l’accès à la procréation médicalement assistée pour les couples de lesbiennes, l’aspect le plus controversé du projet. La commission des affaires juridiques avait refusé en août dernier d’inclure cette question, afin de ne pas risquer de couler l’ensemble.
Jeudi matin, la ministre de la justice Karin Keller-Sutter a encore souligné que l’accès des lesbiennes au don de sperme soulevait des questions juridiques importantes pour l’enfant puisqu’en Suisse, «chaque être humain a le droit de savoir quelle est son origine». Sans y être fondamentalement opposé, le Conseil fédéral souhaitait que ce volet soit traité ultérieurement.
Mais pour les organisations de défense LGBT, ainsi que des parlementaires PS, Verts, PLR et Vert’libéraux, cette disposition était indispensable pour atteindre une véritable égalité. Au final, une majorité de députés sont allés à l’encontre de leur commission et du Conseil fédéral par 124 voix contre 72.
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«On ne me reconnaît pas le droit d’être mère avec une femme que j’aime»
Sur ce point, l’UDC s’est montrée particulièrement virulente. Selon le Genevois Yves Nidegger, autoriser les couples lesbiens à avoir accès à la procréation médicale assistée reviendrait à empêcher leur enfant d’avoir une relation avec son père. Il s’agit pour lui d’une démarche «absurde» et «diabolique» «puisqu’il s’agit au fond de poser le principe de la paternité de la femme sur l’enfant», a-t-il notamment déclaré. Ses collègues de parti Andrea Geissbühler et Verena Herzog ont pour leur part avancé que la parentalité homosexuelle constituait «une discrimination à l’égard de l’enfant».
«L’accès des couples lesbiens à la procréation médicalement assistée est une démarche absurde et diabolique puisqu’il s’agit au fond de poser le principe de la paternité de la femme sur l’enfant»
Yves Nidegger, député de l’Union démocratique du centre
«Pourquoi une femme mariée à un homme pourrait-elle être autorisée à recevoir un don de sperme d’une tierce personne, alors qu’une femme mariée à une femme ne le pourrait pas? Cela crée simplement deux classes d’épouses», a plaidé pour sa part la porteuse du projet Kathrin Bertschy.
Décision saluée par les associations LGBT
Cette première décision réjouit les associations LGBT et a été saluée par de nombreux parlementaires. «Les enfants des couples de même sexe auront, ainsi, accès aux mêmes droits que les enfants des couples de sexe opposé. Les familles ne devront en outre plus recourir à une procédure juridique, longue, pénible et coûteuse dont la durée met l’intérêt supérieur de l’enfant en danger en cas de décès ou divorce du parent biologique», réagit Matthias Erhardt, Vice-président du comité «Mariage civil pour toutes et tous», dans un communiqué de la Fédération genevoise des associations LGBT.
Sur Twitter, le libéral-radical neuchâtelois Damien Cottier y voit «un signal clair que l’Etat reconnaît chacun comme égal en droits et en dignité indépendamment de son orientation sexuelle». L’élue verte bernoise Aline Trede s’est réjouie quant à elle de ce «pas vers la modernité».
Mais le chemin est encore long. Le Conseil des Etats (Chambre haute) doit encore se prononcer, ce qui se fera après l’été. Si les sénateurs et sénatrices suivaient la voie de leurs collègues du Conseil national, l’UDC a déjà annoncé qu’elle lancerait un référendum. En fin de compte, il se pourrait donc que le peuple ait le dernier mot.
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