La Suisse, ce pays raisonnable qui vénère le travail
La presse internationale a suivi avec intérêt le scrutin suisse sur le revenu de base inconditionnel. Le rejet massif dans les urnes - près de 77% de «non» - ne surprend pas les médias étrangers, qui soulignent l’attachement profond des Helvètes à la valeur du travail.
Les principaux sites en ligne de la presse française ne se disent guère surpris par le «non» cinglant à l’initiative sur le revenu de base inconditionnel (RBI) qui est sorti dimanche des urnes. «Le gouvernement et la plupart des partis politiques dénonçaient un projet utopique et trop coûteux», rappelle Libération.
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Le revenu de base inconditionnel ne séduit pas les Suisses
Le Monde n’y voit également rien d’étonnant, relevant que le Parlement suisse avait recommandé fin 2015 «le rejet de l’initiative, jugée dangereuse à la fois en termes d’immigration et pour le système social suisse».
Le Nouvel Observateur se plaît à relever qu’en «2012, inquiets de voir leur compétitivité baisser au niveau international, les Suisses avaient déjà refusé de porter leurs congés payés de 4 à 6 semaines». Aux yeux du Figaro, cette décision s’inscrit profondément dans la mentalité helvétique: «Pour la majorité des Suisses qui vénèrent la valeur travail, recevoir de l’argent sans contrepartie est inconcevable».
Une attitude prudente
Une caractéristique soulignée par de nombreux médias à travers le monde. «La majorité des Suisses n’apprécient pas l’idée de recevoir de l’argent gratuitement car pour eux le travail est quelque chose de sacré», note ainsi Aljazeera.net.
Mais pourquoi les votants suisses se sont-ils montrés à ce point raisonnables, s’interroge tout de même une partie de la presse internationale? Professeur d’économie à l’Université de Qingdao, Yi Xian Rong estime dans les colonnes du Beijing Times que «si le peuple suisse a suivi la recommandation du gouvernement et des milieux économiques, c’est parce qu’il a développé une attitude prudente, l’habitude de réfléchir et la conscience de la globalité, grâce à sa longue tradition de participation politique».
«La majorité des Suisses n’apprécient pas l’idée de recevoir de l’argent gratuitement car pour eux le travail est sacré» Al Jazeera
News Sina met pour sa part cette décision sur le compte de la tradition de liberté, de gouvernance décentralisée et de respect de la propriété privée qui caractérise la Confédération. «Tout cela contribue au fait que les citoyens suisses contemplent la séduction du socialisme, l’extension du pouvoir et l’intervention gouvernementale sur l’économie avec une grande précaution», écrit le site en ligne chinois.
«Il est l’heure de retourner au travail»
Les quotidiens allemands se sont également largement intéressés à la votation qui avait lieu dimanche chez leurs voisins. «2500 francs pour tous? Non merci», titre ce lundi le quotidien allemand Die Zeit. «Non au revenu de base – c’est l’heure de retourner au travail», renchérit la Süddeutsche Zeitung. «Avec près de 20% de ‘oui’, on ne peut pas affirmer que les temps sont mûrs pour un changement de système», avance le quotidien munichois.
Malgré ce rejet massif, les initiants se sentent dans la peau des grands gagnants de ce vote, allant jusqu’à parler d’un «succès sensationnel», note pour sa part Spiegel online. «Pour eux, il ne s’agissait pas en premier lieu de remporter ce scrutin, mais surtout d’alimenter la discussion publique sur le revenu de base afin de remettre en question le lien traditionnel qui existe entre emploi et revenu».
«Le RBI a généré un débat dérangeant sur le futur du travail dans une période marquée par une progression de l’automatisation» El Paìs
Au Japon également, le journal économique Nikkei affirme qu’il s’agissait surtout de discuter de l’idée plutôt que de viser l’aboutissement du projet. Nikkei a également expliqué à ses lecteurs qu’avec 100’000 signatures, il est possible en Suisse de lancer une initiative et de provoquer un débat public.
Pas la fin du revenu de base
En Autriche, le Kronenzeitung relève que le débat sur la société du futur et le revenu de base occupent depuis longtemps les esprits dans de nombreux pays européens. «Aux Pays-Bas et en Finlande, des programmes pilotes parrainés par le gouvernement devraient d’ailleurs être mis en place prochainement», écrit le quotidien de Vienne.
Tout ceci dans un contexte marqué par une mutation profonde du monde du travail. «Bien que rejeté à une large majorité, le RBI a réussi à générer un débat dérangeant sur le futur du travail dans une période marquée par une progression de l’automatisation», souligne ainsi le quotidien espagnol El Paìs. En Italie, le quotidien communiste Il Manifesto parle d’un «rêve marxiste» envolé en fumée et rappelle également que le RBI, aux yeux de ses promoteurs, aurait permis de contribuer à résoudre «le problème du déclin drastique des postes de travail en raison de la numérisation et de la robotisation de l’économie».
En Grande-Bretagne, enfin, The Independant estime que le refus suisse «ne marque pas pour autant la fin de cette idée en Europe». Selon le quotidien britannique, s’«il était clair que les Suisses n’auraient jamais réformé leur système de protection sociale si radicalement», le débat autour du RBI permet d’ouvrir la voie au changement concernant l’organisation des systèmes financiers et des environnements de travail. En attendant une meilleure reconnaissance des activités non rémunérées, comme les tâches ménagères, le bénévolat ou l’aide apportée à des parents en fin de vie.
Malgré cette défaite claire et nette dans les urnes, le revenu de base universel représente-t-il encore une solution d’avenir? N’hésitez pas à nous faire part de vos commentaires ci-dessous:
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