Le parcours hors normes d’Ardeshir Zahedi, flamboyant ambassadeur du Shah d’Iran
L’ancien ministre des affaires étrangères iranien et beau-fils du dernier souverain iranien, Ardeshir Zahedi, est décédé sur les bords du Léman à l’âge de 93 ans.
Il est mort en exil comme son beau-père, le Shah d’Iran réfugié au Caire pour échapper aux foudres des mollahs. Le destin d’Ardeshir Zahedi s’est rapproché de celui dont il fut le confident. Il a rendu son dernier soupir le 18 novembre dans sa Villa des Roses, aux portes de Montreux, après des mois d’hospitalisation à la suite d’une chute et d’une pneumonie.
Celui qui fut le beau-fils du Shah d’Iran s’était réfugié sur les bords du Léman en 1979 à la fin du régime impérial. Il habitait la maison de son père, le général Zahedi, qui fut le Premier ministre d’Iran de 1953 à 1955, ambassadeur auprès de l’ONU à Genève avant son décès en 1963. A Veytaux (Vaud), il vivait entouré de photos des grands de ce monde qu’il avait côtoyés: plusieurs Papes, des rois et des reines, de nombreux chefs d’Etat. Après le repas, il faisait visiter son musée où le jeu consistait à identifier les personnalités qui ont fait l’Histoire.
Les gros titres aux Etats-Unis
Alors que son décès est passé presque inaperçu en Suisse, la presse américaine en a fait ses gros titres, Elle parle du «flamboyant ambassadeur» et rappelle ses fêtes fastueuses à Washington, où le champagne coulait à flots et où le caviar de beluga se mangeait à la louche. Les grands quotidiens décrivent un «grand charmeur» qui a su conquérir le cœur de Liz Taylor après sa séparation d’avec Richard Burton. Il a été question de mariage, mais le Shah aurait vu d’un mauvais œil l’union de son ancien gendre avec une actrice convertie au judaïsme.
Décrit comme «le célibataire le plus recherché de Washington», il organisait des soirées où l’on pouvait croiser son autre amie Jackie Kennedy, Liza Minnelli, Barbara Streisand et bien sûr Elizabeth Taylor, rappelle la presse américaine. En gentleman, il parle dans sa biographie d’une «relation amicale» avec Liz Taylor jusqu’à sa mort en 2011. Les photos montrent une liaison nettement plus romantique.
Côté masculin, Gary Cooper, David Niven, Roger Moore, John Wayne, Frank Sinatra, Humphrey Bogart, Andy Warhol, Rostropovtich et Karajan furent ses amis et certains invités en Iran. Le Washington Post rappelle qu’il a été le dernier occupant de l’ambassade iranienne à Washington, restée vide durant 40 ans. Sa cave n’a pas survécu à la révolution: les représentants de la République islamique, qui ont brièvement occupé l’ambassade, ont dû déverser des heures durant 4’000 bouteilles de scotch, de champagne et d’autres boissons dans les égouts!
Armes contre pétrole
Derrière son image de playboy, l’ambassadeur Zahedi a joué un rôle central dans les années 1970 dans la consolidation du pouvoir du Shah.
Étroitement lié à des hommes d’affaires et à des politiciens influents, il a contribué au cours de ses différents mandats d’ambassadeur à faire signer de nombreux accords commerciaux. L’Iran a vendu ainsi de grandes quantités de pétrole pour des milliards de dollars contre des achats d’armes et de technologies américaines, ce qui a permis aux USA d’étendre leur influence à travers tout le Moyen-Orient. Au point qu’Henry Kissinger, le secrétaire d’État américain, en était venu à décrire le shah comme «la chose la plus rare dans les relations internationales, un allié inconditionnel».
A la fois ex-gendre et confident du shah, Ardeshir Zahedi était à ses côtés quand, atteint d’un cancer, il avait rendu son dernier soupir, le 27 juillet 1980: «Il avait suivi une éducation suisse riche de principes démocratiques, avec la mentalité d’un francophone épris de culture française. Il aimait la Suisse, le pays qui l’a construit. C’était mon ami, mon roi et mon patron », a-t-il écrit. Avec le président Sadate, il a procédé aux rites funéraires juste avant son inhumation.
La Suisse, l’Iran et l’Égypte sont étroitement mêlés dans la destinée d’Ardeshir Zahedi. En 1957, il avait épousé la fille aînée du Shah, la princesse Shahnaz, née d’un premier mariage avec la princesse Fawzia, l’une des quatre sœurs du roi Farouk d’Égypte. Le couple a eu une fille, la princesse Mahnaz, qui vit à New York. Ils ont divorcé au bout de sept ans, les cultures égyptienne et iranienne étant trop différentes.
Ambassadeur d’Iran à Washington à deux reprises, il y a côtoyé huit présidents, de Truman à Bush, y compris Jimmy Carter dont l’administration lâcha le Shah, envisageant même de le livrer à Khomeiny en échange des otages américains. Il n’est pas tendre avec le président français Giscard d’Estaing et la BBC, qui ont été «les alliés les plus sûrs de l’ayatollah Khomeini». Torturé sous le régime de Mossadegh, un docteur en droit de l’Université de Neuchâtel renversé en 1953 par son propre père, Ardeshir Zahedi a été condamné à mort par contumace après la révolution iranienne. Il n’a jamais pu revoir sa patrie.
L’espoir d’une contre-révolution
Malgré les mollahs, le résident de la Riviera vaudoise a toujours soutenu le peuple iranien face aux errements de la politique américaine. Il a critiqué les revirements de Donald Trump, qui a pris le contre-pied d’Obama sur l’Arabie saoudite, avant de changer son fusil d’épaule moyennant de juteux contrats d’armement. Il a fustigé l’isolement du régime de Téhéran, marqué alors par la corruption du défunt président Rafsandjani: «Constater la corruption est une chose, la sanctionner en est une autre: il faut des documents.»
De son observatoire lémanique, Ardeshir Zahedi a soutenu les espoirs d’une contre-révolution à Téhéran: «Le peuple iranien est fier de sa tradition millénaire et de sa jeunesse très éduquée. Il compte près de 84 millions d’habitants contre 20 millions dans les années 1960. Sa population est très jeune: 28% ont moins de 15 ans. Hommes et femmes rêvent d’Occident, de liberté et d’ouverture au monde. L’Iran compte une cinquantaine d’universités qui accueillent 4,5 millions d’étudiants. L’une de ses spécialités, ce sont les hautes technologies.»
Il était fier de l’envol d’un satellite iranien dans l’espace. La Suisse a-t-elle été ingrate en ne laissant pas le Shah rejoindre son chalet de St-Moritz après sa chute? «Il n’avait jamais demandé officiellement d’y trouver refuge», assurait l’ancien diplomate qui détenait trois passeports diplomatiques arabes, jordanien, marocain, égyptien.
Une générosité légendaire
Sa biographie raconte aussi comment il s’est entremis pour trouver une nouvelle épouse au Shah – après la séparation d’avec Soraya – en lui faisant rencontrer Farah Diba, après l’échec d’une union arrangée avec la princesse Marie-Gabrielle de Savoie, fille du dernier roi d’Italie, une catholique résidant à Genève.
Il raconte aussi comment il a échappé à un attentat à la bombe à retardement (non explosée) dans un avion de la Panam rentrant à Téhéran. Et à d’autres bombes désamorcées à temps lors des festivités de Persépolis, où il reconnaît un luxe qui a dépassé les bornes.
Par son syndic Pierre Salvi, la commune de Montreux lui a remis en 2010 une médaille pour sa contribution au rayonnement de la Riviera. Son successeur Laurent Wehrli lui a conféré en 2019 le titre honorifique d’ambassadeur de Montreux. Il fréquentait assidûment les galas de charité, où sa générosité était légendaire. Dans les restaurants qu’il fréquentait régulièrement, conduisant lui-même sa Rolls-Royce bleue, il avait coutume de demander de la monnaie pour 200 francs et remettait à la sortie un billet à chacun des serveurs, même ceux qu’il n’avait pas aperçus de toute la soirée: «Il faut rendre un peu de ce que l’on a reçu», disait-il volontiers.
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