La montagne va-t-elle accoucher d’une souris?
La mise en œuvre de l’initiative «Contre l’immigration de masse» continue d’être un casse-tête pour la Suisse. La proposition de la commission parlementaire qui a préparé le dossier n’a pas apporté la solution espérée. Ce n’est pas étonnant: le nouvel article constitutionnel reste en contradiction avec l’accord sur la libre circulation des personnes conclu avec l’UE. Le politique risque bien de continuer à tourner en rond tant que cet accord ne sera pas remis en question.
Lorsque la Commission des institutions politiques du Conseil national a proposé, il y a quelques jours, de mettre l’initiative en œuvre par le biais d’une «préférence nationale» modérée, elle a d’abord recueilli les félicitations de pratiquement tous les partis politiques. Beaucoup croyaient même avoir enfin trouvé l’œuf de Colomb, estimant qu’il devenait ainsi possible de mettre l’initiative en œuvre tout en préservant la voie bilatérale.
Qui, avec qui, contre qui, pourquoi?
Mais depuis, la situation a de nouveau changé du tout au tout. A quelques jours du débat parlementaire sur la mise en œuvre de l’initiative, les manœuvres politiques ont atteint leur paroxysme. Le cœur du Parti démocrate-chrétien (PDC / centre-droit) balance entre une limitation de l’immigration avec ou sans contingents.
La Commission des institutions politiques du Conseil national s’est prononcée début septembre pour une solution qui permette de prendre des mesures coercitives dès que l’immigration dépasse un certain niveau. Le concept, retenu par 16 voix contre 9, a été défini comme un compromis par le président de la commission.
Le Conseil fédéral est d’abord appelé à arrêter des mesures visant à épuiser le potentiel qu’offre la main d’œuvre indigène. Il devra déterminer des seuils à partir desquels peut être introduite une obligation de communiquer les postes vacants.
Lorsque ces mesures ne suffisent pas et que l’immigration depuis l’Union européenne dépasse un certain niveau sur le plan régional ou national, le gouvernement pourra, en cas de problèmes économiques ou sociaux importants, prendre des mesures coercitives. Leur durée de validité et leur champ d’application devront être déterminés par le Conseil fédéral. Ces mesures devront être limitées au minimum indispensable et perturber le moins possible le fonctionnement de l’accord sur la libre circulation des personnes.
Si elles ne sont pas compatibles avec ce dernier, elles seront décidées par un comité mixte Suisse/UE. Les cantons pourront quant à eux proposer des mesures en cas de problèmes économiques ou sociaux importants causés par des frontaliers.
ATS
L’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice), qui avait lancé cette initiative populaire, campe sur ses positions et déclare que la proposition de la commission ne respecte «aucun point d’un mandat constitutionnel pourtant clair».
swissinfo.ch a demandé à Adrian Amstutz quels points devraient être obligatoirement remplis pour que le parti accepte une proposition de mise en œuvre. «Ce n’est plus simplement une demande de l’UDC. En acceptant l’initiative, le peuple et les cantons, les plus hautes instances de notre pays, ont donné au Parlement le mandat constitutionnel clair de l’article 121 a. Il revient donc désormais au Parlement de remplir totalement ce mandat», a indiqué le chef du groupe parlementaire UDC dans sa réponse écrite.
Avec neuf membres, l’UDC est le parti le plus fortement représenté au sein de la Commission des institutions politiques et en assume même la présidence. Nous avons donc encore demandé au chef du groupe parlementaire UDC si son parti avait fait lui aussi des propositions au sein de la commission. «Peu de temps après la votation, l’UDC a présenté à la commission un concept conforme à la Constitution, avec 27 demandes. Ces demandes ont été rejetés par le Parti socialiste, le Parti libéral-radical et le Parti démocrate-chrétien, trois partis inféodés à l’Union européenne. Or ces demandes remplissaient toutes les exigences constitutionnelles», écrit Adrian Amstutz.
Et celui-ci d’énumérer: «une gestion autonome de l’immigration, avec des plafonds et des contingents, une limitation du regroupement familial et des prestations sociales pour les immigrants, une véritable préférence nationale», pour ne citer que les points les plus importants. Et tout cela en «prenant en compte les intérêts économiques», précise encore le chef du groupe parlementaire UDC.
«Comme le veulent les élites»
Même Bernhard Ehrenzeller, professeur en droit constitutionnel à l’Université de St-Gall, s’est frotté les yeux en voyant la proposition de la commission, comme il l’écrit dans un commentaire publié dans le quotidien «Neue Zürcher Zeitung». «On se demande ce que cette loi d’application a à voir avec le nouvel article constitutionnel. Visiblement, pas grand-chose», écrit-il. Etant donné que même le gouvernement, malgré un effort sérieux, ne parviendra probablement pas à adapter la libre circulation des personnes avec l’UE dans le délai de trois ans, le Parlement se trouve face à un indéniable dilemme. Soit il s’en tient à l’article constitutionnel et met à mal la libre circulation des personnes, soit il donne la priorité aux accords bilatéraux et ne tient pas compte de l’article constitutionnel, résume-t-il.
Andrea Caroni, du Parti libéral-radical (PLR / droite), émet aussi des doutes sur la compatibilité de la proposition de la commission avec l’article constitutionnel. Il se déclare en faveur d’une nouvelle votation populaire, qui déterminerait si le peuple et les cantons seraient prêts à accepter une loi d’application préservant les accords bilatéraux avec l’Europe. Adrian Amstutz ne veut pas en entendre parler. «C’est ainsi que l’on fait de la politique dans l’UE. On revote sur de fausses promesses, jusqu’à obtenir un résultat conforme à ce que veulent les élites. C’est le contraire de la démocratie à la Suisse», estime le chef du groupe UDC.
Outre les partis politiques, les organisations économiques ont aussi de la peine à accorder leurs violons. L’Union suisse des arts et métiersLien externe, habituellement proche de l’UDC, salue la proposition de la «préférence nationale light». Cela conduirait à une réduction de l’immigration, mais prendrait aussi en compte les demandes de l’économie, a expliqué le directeur de l’USAM Hans-Ulrich Bigler lors d’une conférence de presse. «Nous ne voulons pas de coûts de régulation inutiles. Du point de vue des entrepreneurs, plafonds et contingents n’entrent simplement pas en ligne de compte», selon lui.
L’Union patronale suisseLien externe et economiesuisseLien externe s’étaient jusqu’à présent prononcés en faveur d’un modèle prévoyant des contingents, au cas où l’immigration dépasserait un certain seuil. Mais même Petra Gössi, présidente du PLR, un parti proche des milieux économiques, est convaincue que cette proposition menacerait l’accord sur la libre circulation des personnes, ainsi qu’elle l’a déclaré à la «NZZ».
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Entretemps, les organisations économiques ont tempéré leur position. Certes, on salue le modèle avec une «préférence nationale modérée», mais on aimerait en plus «améliorer l’efficacité, comme le demande le PDC», indique Simon Wey, spécialiste de l’Economie du marché du travail auprès de l’Union patronale suisse. «L’orientation générale du modèle est bonne, mais certaines adaptations sont nécessaires. Il est judicieux de partir sur un modèle de base accompagné au besoin de mesures correctives édictées par le gouvernement», juge-t-il. Mais cela suffira-t-il à stopper l’«immigration de masse», comme le demandait l’initiative?
«Si l’on veut plus drastiquement réduire l’immigration, cela affectera la libre circulation des personnes. Si on ne veut pas, ou peu, réduire l’immigration, on verra qu’on ne respecte pas la Constitution. Cette contradiction ne peut pas être totalement résolue», estime Simon Wey.
Référendum en vue?
Bien que l’immigration échauffe les esprits dans d’autres pays européens également, cela ne signifie pas que l’UE va accepter des restrictions à la libre circulation des personnes dans un avenir prévisible, et certainement pas de la part de la Suisse, qui n’est pas membre de l’Union. Cela a encore été mis en évidence lors d’une rencontre, lundi à Zurich, entre le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker et le président de la Confédération Johann Schneider-Ammann.
Simon Wey est persuadé que la Suisse a toujours amplement profité des accords bilatéraux. «L’UE ne signe certainement pas un accord profitant exclusivement à la Suisse. Elle veut aussi en retirer quelque chose. Or c’était jusqu’à présent la libre circulation des personnes, une pierre angulaire que l’UE ne veut pas remettre en cause. Il ne peut pas être question que la Suisse brise cet accord», souligne l’économiste.
«C’est n’importe quoi, rétorque Adrian Amstutz. La Suisse n’a même jamais négocié avec l’UE sur une proposition concrète.»
swissinfo.ch a demandé au chef du groupe parlementaire UDC si son parti était prêt à saisir le référendum si le Parlement acceptait la proposition de «préférence nationale light» de la commission. Mais Adrian Amstutz ne veut pas prendre position. «Laissons d’abord le Parlement prendre ses décisions.»
(Traduction de l’allemand: Olivier Pauchard)
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