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Le poids des mots contre la force des armes en Afrique

AFP

Si l'Afrique est ravagée par les conflits, ce n'est pas que les Africains aiment se battre. Ils cultivent au contraire une longue tradition de la négociation, comme l'a rappelé la conférence de la Division IV (Sécurité humaine) du ministère des Affaires étrangères.

Près de 400 personnes mardi dans les salons VIP du nouveau Stade de Suisse à Berne. Diplomates, fonctionnaires internationaux ou membres d’ONG, Suisses et Africains sont venus pour écouter et pour débattre de «la médiation dans les conflits africains», thème de cette conférence annuelle

Dans son allocution d’ouverture, la ministre des Affaires étrangères Micheline Calmy-Rey relève que la Suisse doit avant tout mettre son expertise à la disposition «des médiateurs africains, des organisations régionales africaines et de l’Union africaine».

Car avant d’être terre de conflits, l’Afrique est d’abord terre de débats. Ici, on cultive la tradition de la palabre, porteuse d’une culture de la résolution pacifique des conflits, comme le rappelle Djibirll Yipènè Bassolé.

En tant que médiateur en chef de l’Union africaine et des Nations Unies pour le Darfour, ce dernier est bien placé pour savoir que les solutions importées ne marchent pas. La médiation en Afrique doit se faire d’abord par les Africains.

La paix ou la justice ?

Et cette médiation ne doit exclure personne. «Si vous voulez obtenir quelque chose, vous devez parler avec celui qui vous cause le plus de problèmes», lance Julian Hottinger.

Médiateur aguerri, le Suisse a rencontré plusieurs fois Joseph Kony, seigneur de la guerre du nord de l’Ouganda, connu notamment pour kidnapper des enfants, les enrôler de force dans son armée ou les utiliser comme esclaves sexuels.

Faut-il vraiment négocier avec de tels personnages, que la Cour pénale internationale accuse de crimes contre l’humanité ? Pour la Suisse comme pour la plupart des orateurs de la conférence, la réponse est malheureusement oui. Car un accord de paix qui exclut une des parties à un conflit ne vaudra jamais rien. Et les «méchants» ne sont pas tous des rebelles. Parfois, ils sont à la tête des Etats.

Lenteur, modestie, humilité

Pour autant, les médiateurs ne doivent pas vendre leur âme. Pas question par exemple de soutenir une amnistie pour les criminels de guerre. D’ailleurs, Julian Hottinger est convaincu qu’il ne saurait y avoir de paix sans justice. «Mais cela prend du temps», avertit le médiateur.

«Lenteur», «modestie», voire «humilité», des termes qui reviennent souvent au fil des interventions. Quel que soit le conflit, personne n’a de solution miracle.

Sans oublier qu’un accord de paix n’est souvent qu’un «succès d’étape», comme le dit Micheline Calmy-Rey. Encore faut-il qu’il soit appliqué…

La Suisse exemplaire ?

Venant d’un petit pays neutre, sans passé colonial, sans agenda politique caché, les médiateurs suisses sont généralement très appréciés.

Le pays n’a pourtant pas toujours été exemplaire sur le continent noir, il a soutenu le régime d’apartheid en Afrique du Sud et il a ouvert ses banques aux fortunes douteuses de bien des dictateurs.

Tout cela serait-il déjà oublié ? «On me l’a rappelé, admet Julian Hottinger. Mais jamais reproché. C’était toujours pour rechercher la discussion, pour demander une explication. Et souvent, si vous prenez le temps et que vous vous excusez – parce qu’il a des choses pour lesquelles on doit s’excuser -, c’est accepté».

Les racines de la violence

Alors, finalement, la médiation, ça marche ? Les chiffres n’incitent pas vraiment à l’optimisme. Aujourd’hui, 21 pays d’Afrique (en gros la moitié du continent) vivent une ou plusieurs situations de conflit, le plus souvent des guerres civiles.

Malgré cela, et comme l’a rappelé Micheline Calmy-Rey, selon le «Human Security Report» de 2007, le nombre des conflits armés aurait diminué de moitié au sud du Sahara depuis 1999. De même, le nombre des victimes directes des guerres aurait chuté de 80%.

«Malheureusement pour l’Afrique, on a tendance à braquer les projecteurs sur qui ne va pas et à oublier ce qui va, regrette Julian Hottinger. Ce n’est pas que les gens aiment se battre. Ce sont les situations dans lesquelles ils ont été plongés qui ont contribué à cette violence».

Et de citer «un long processus de colonisation et un processus de décolonisation qui n’a pas nécessairement fonctionné». Sans oublier «l’empreinte de la Guerre Froide, quand l’Afrique était le théâtre de luttes d’influences politiques entre les deux blocs».

Simplement survivre

Cette époque est révolue. Aujourd’hui, on ne se bat plus pour une idéologie, mais simplement pour survivre.

«La majorité des groupes armés avec lesquels on négocie n’ont pas de longs discours marxistes-léninistes, pas plus que de grandes visions libérales. Ils ne veulent pas forcément changer le régime, ils veulent simplement que les élites qui accaparent le pouvoir, la richesse et la force partagent mieux. Et en fassent retomber une partie sur la société», conclut Julian Hottinger

swissinfo, Marc-André Miserez

Les conflits modernes se règlent plus souvent à la table des négociations que sur le champ de bataille. Ces sept dernières années dans le monde, 5 guerres se sont terminées par une victoire militaire et 17 par un accord négocié.

En tant que petit pays neutre, la Suisse est très appréciée comme médiatrice. Depuis l’an 2000, ses experts ont été impliqués dans une quinzaine de pays, dont, en Afrique, le Soudan, l’Ouganda, la République centrafricaine, la Somalie et le Burundi.

La première fois qu’elle a été torturée, Stella Sabiiti était encore étudiante en Ouganda. Alors que les sbires du dictateur Idi Amin Dada s’acharnaient sur cette jeune femme enceinte, elle a remarqué que leurs yeux ne trahissaient ni haine ni fureur. Se disant que parmi eux devait bien se trouver au moins un père de famille, elle a alors commencé à leur demander ce que leur femme leur avait préparé à manger la veille. Après une première réaction de surprise et d’agressivité, l’un d’eux a répondu, puis les autres. Et finalement, tout le monde s’est mis à rire et à fraterniser.

C’est parce qu’elle a toujours voulu voir l’humain derrière le guerrier que Stella Sabiiti est aujourd’hui, 30 ans après, responsable des activités de promotion de la paix au sein de l’Union africaine. Et son témoignage vaut bien des longs discours.

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