Le rapport très attendu sur le Xinjiang toujours en stand-by à l’ONU
La haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme avait promis il y a un an la publication d’un rapport sur les traitements infligés à la minorité ouïghoure en Chine. Alors que Michelle Bachelet va quitter son poste, des ONG de défense des droits humains restent dans l’expectative.
Le point de presse de Michelle Bachelet le 25 août dernier à Genève aurait dû être l’épilogue d’un feuilleton tenant en haleine les organisations de défense des droits humains et les médias depuis un an. La livraison du rapport sur les conditions de vie imposées par la Chine à la minorité ouïghoure dans la province du Xinjiang (nord-ouest) est très attendue. D’autant que la haut-commissaire s’est engagée à le publier au terme de son mandat fin août. «J’essaierai de le faire à temps», a-t-elle dit, suscitant de la frustration.
«Michelle Bachelet doit tenir sa promesse car il serait honteux d’abandonner la population ouïghoure et de quitter son poste sans publier aucune évaluation, eu égard aux victimes de crimes contre l’humanité commis par la Chine. Elle doit réaffirmer l’intégrité de son Haut-Commissariat (HCDH) et démontrer qu’elle est du côté des victimes plutôt que de celui des auteurs de violations», a estimé le 25 août après ce point de presse John Fisher, directeur adjoint de Human Rights Watch.
Le rendu de ce rapport est en réalité une grosse pierre d’achoppement et une source de tension depuis plusieurs années déjà entre le Haut-Commissariat et des organisations de défense des droits humains. Pékin est accusé d’abus généralisés et systématiques à l’encontre de la minorité musulmane ouïghoure, laquelle doit se plier à des travaux forcés dans des camps de détention. La sonnette d’alarme a déjà été tirée plusieurs fois à propos de faits rapportés par des ONG, des rapporteur-es de l’ONU ou sinon relayés par des expertises indépendantes. Renvoyant jusqu’à présent ce rapport, Michelle Bachelet est attendue au tournant.
Il s’agirait d’un premier pas vers une officialisation de la responsabilité de la Chine qui, pour les ONG, commet dans cette province «un génocide culturel». Bien que non-contraignant, ce rapport pourrait avoir un impact d’ordre moral et ouvrir la voie à des enquêtes. Une résolution pourrait être votée lors de la prochaine session du Conseil des droits de l’homme.
Pour Sarah Brooks, directrice de programmes au Service international pour les droits de l’homme, une ONG basée à Genève, «en dépit du travail réalisé en amont par des rapporteur-es de l’ONU, il faut maintenant l’imprimatur du Secrétariat général de l’ONU, à savoir un rapport émis par une institution reconnue. C’est la grosse différence», dit-elle.
Depuis 2018, des enquêtes indépendantes ont déjà été menées par du personnel onusien. Et une déclaration a été publiée en 2020 par une cinquantaine d’expert-es et rapporteur-es de l’ONU, sous mandat du Conseil des droits de l’homme. Ce texte demande à Pékin de protéger les droits fondamentaux dans la province du Xinjiang. Un appel réitéré cette année encore. Mais ces enquêtes n’ont pas le poids d’un rapport officiel onusien.
Histoire sans fin
Cela fait déjà trois ans qu’il est question de le publier. Plusieurs médias suisses et internationaux et des ONG ont avancé des preuves de détention dans des camps, pratique que Pékin exercerait depuis 2017.
Michelle Bachelet a tenté pour sa part tant bien que mal de se rendre en Chine pour compléter ce rapport. Mais Pékin n’a jamais accepté les conditions posées pour qu’une mission d’enquête puisse être indépendante sur le terrain. Notamment en matière d’accès non entravé au Xinjiang. En septembre 2021, la haut-commissaire avait dit que son bureau finalisait une note d’évaluation avant la publication du rapport.
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Quelques mois plus tard, en décembre, elle avait encore indiqué que ce fameux document était à bout touchant et que sa publication n’allait pas tarder. Mais sans la moindre explication, son annonce est pourtant restée lettre morte. La communauté internationale a cependant appris quelques semaines plus tard que Michelle Bachelet allait pouvoir enfin se rendre sur place au lendemain des Jeux olympiques d’hiver de Pékin en février.
L’accumulation de ces retards a aussi ouvert la voie à des spéculations. Aux dires d’ONG, Michelle Bachelet aurait cédé à la pression exercée par le gouvernement chinois. D’autres sources ont allégué que la haut-commissaire aurait négocié cet accès à cette province dans le secret. Une confusion et un manque de communication qui noircissent son bilan.
En mai dernier, la haut-commissaire a finalement pu se rendre dans le Xinjiang. Une visite de six jours. De hauts responsables chinois ont insisté pour que celle-ci soit qualifiée alors «d’amicale». Le Haut-Commissariat a expliqué de son côté que cette incursion n’avait pas le poids d’une enquête. Reste que les médias n’ont pas été autorisés à la suivre. Et les conditions pour que cette visite soit rendue possible n’ont pas été publiées. Michelle Bachelet a confirmé «qu’elle n’avait pas pu parler avec des Ouïghours détenus ou au sein de leurs familles». Elle a concédé aussi avoir été accompagnée par des membres du gouvernement chinois.
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Lors de son intervention le 25 août devant les médias, elle a aussi dit avoir besoin de temps pour mieux digérer les informations recueillies sur le terrain afin de pouvoir les intégrer à son analyse. Également pour mieux passer au crible les observations faites par les autorités chinoises.
«Cela prend du temps au sein d’un organisme comme le HCDH de faire en sorte que chaque point de détail d’un tel rapport puisse être vérifié doublement», avance Sarah Brooks pour expliquer ces retards. Pour elle, il est primordial que ce document soit aujourd’hui crédible: «Si ce dernier est réalisé avec intégrité et méthodologie, il sera difficile dans ce cas-là de le contrecarrer, sinon au-travers de plaintes politiques».
Guerre des mots
Pour la Chine, l’enjeu est crucial. La seconde économie du monde entend en effet accuser l’Occident de salir dans ce rapport ses efforts de promotion de la paix et de lutte contre le terrorisme. A Pékin, le gouvernement estime que les mesures qui sont qualifiées de «répressives» par cette partie du monde favorisent au contraire la stabilité et la croissance économique de la Chine, tout en lui permettant de créer des emplois. Toujours selon Pékin, des femmes et hommes ouïghours seraient placés dans des camps dits de formation et non de détention, comme l’affirment les ONG. Ces dernières parlent d’environ un million de personnes qui seraient incarcérées, victimes de tortures, de stérilisations, de viols. Depuis 2017, près de 8 millions de membres de la communauté ouïghoure auraient subi un tel régime, d’après des enquêtes récentes.
Sous un angle diplomatique, la Chine fait en sorte que le HCDH enterre définitivement ce rapport. En juillet dernier, l’agence de presse Reuters a indiqué que Pékin avait fait circuler une missive parmi les missions diplomatiques à Genève pour appeler à sa non-publication. Le 25 août, Michelle Bachelet a confirmé qu’une lettre avait été paraphée par une quarantaine d’Etats, ajoutant que son bureau n’avait pas été influencé.
Plus le délai pour publier ce rapport approche et plus Pékin inonde – officiellement ou non – les médias sociaux de messages afin de présenter sa politique sous un jour favorable, se dédouanant de violation des droits humains. Le flou règne toujours sur le contenu de ce rapport. Des ONG craignent une version édulcorée et conforme au discours de Pékin.
Pour l’ONG Human Rights Watch mais pour d’autres aussi, «il est essentiel que ce rapport reflète avec précisions l’ampleur et la gravité de ces violations». Selon ces organismes, le niveau «de crimes contre l’humanité» serait ici atteint. «Nous attendons une évaluation indépendante et crédible de la haut-commissaire», a averti John Fischer.
Lors de ce point de presse à Genève, Michelle Bachelet a réitéré qu’elle n’entendait pas «freiner sa publication en dépit des pressions». A la mi-août, un expert indépendant nommé par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a de son côté publié une enquête indiquant qu’il était «raisonnable de conclure» que les Ouïghour-es étaient soumis-es au travail forcé, mais également d’autres minorités ethniques du Xinjiang.
Cette annonce a conduit le ministère chinois des affaires étrangères à réagir promptement pour dénoncer des affirmations qualifiées par Pékin de «mensonges et désinformation orchestrés par les Etats-Unis».
A quoi faut-il s’attendre?
Selon les ONG, un rapport qui porterait le sceau du Haut-Commissariat de l’ONU permettrait à l’avenir à un plus grand nombre de voix de s’exprimer sur ces violations présumées en Chine. Car nombreux sont les pays à avoir été jusqu’à présent plutôt réticents à vouloir critiquer publiquement la politique chinoise dans le Xinjiang. Notamment de nombreux pays du Moyen-Orient.
«Le président chinois Xi Jinping a pourtant déjà répété à plusieurs reprises qu’il souhaitait un système international régi par l’ONU. L’importance que Pékin accorde aux Nations unies rendrait pratiquement impossible pour le gouvernement chinois d’ignorer les critiques émises par cette organisation. Politiquement, un tel rapport ferait aussi autorité et offrirait la possibilité à de nombreux pays, notamment dans le Sud, d’exprimer leurs préoccupations. Ce que l’ONU présentera aura un impact énorme sur la vie des gens dans le Xinjiang», résume William Nee, coordinateur de recherche pour Chinese Human Rights Defenders, une coalition d’ONG chinoises et internationales.
Edité par Virginie Mangin, traduit de l’anglais par Alain Meyer
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