«Le sacrifice de Mühleberg était le plus facile»
Les commentateurs de la presse suisse de jeudi ne montrent pas un grand enthousiasme après l’annonce de la fermeture de la centrale nucléaire de Mühleberg en 2019. Ils reconnaissent qu’il s’agit d’un premier pas concret vers la sortie du nucléaire, mais constatent aussi que les problèmes sont nombreux.
Les Forces motrices bernoises (FMB), qui exploitent la centrale nucléaire de Mühleberg (à une vingtaine de kilomètres de Berne), ont annoncé mercredi que l’installation serait déconnectée du réseau en 2019. Raison invoquée: les investissements nécessaires pour une poursuite de l’exploitation sont trop élevés.
Les éditorialistes relèvent que cette décision constitue le premier pas véritablement concret sur la voie de la sortie du nucléaire. «Enfin du concret pour tourner la page du nucléaire suisse. L’oraison funèbre des centrales atomiques avait été prononcée par le Conseil fédéral le 25 mai 2011. Ce jour-là, deux mois après Fukushima, le gouvernement décidait d’en finir avec l’atome. Mais ce n’était qu’une prière», rappelle le commentaire commun de 24 heures et de la Tribune de Genève.
Mais les deux journaux soulignent au passage que «la révolution est loin d’être achevée. Mühleberg était le premier sacrifice de l’après-Fukushima, le plus facile: la centrale fournit moins de 5% de la consommation électrique du pays.»
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Encore un problème de sécurité
En fonction depuis 1972, la centrale de Mühleberg est vieillissante. Et de nombreux dysfonctionnements ont été mis en évidence ces dernières années: fissures dans le manteau du réacteur, exposition trop élevée aux dangers sismiques et d’inondations ou encore insuffisance des moyens de refroidissement.
Mais plusieurs analystes insistent sur le fait que ce ne sont pas des questions de sécurité qui motivent la fermeture, mais des raisons économiques. «Avec les milliards de subventions pour les énergies solaire et éolienne et pour la réactivation d’anciennes centrales à charbon, les Allemands ont provoqué une surabondance d’électricité bon marché en Europe», explique le Tages-Anzeiger.
«Selon les experts, la Suisse n’est pas dépendante du courant de la centrale nucléaire de Mühleberg. C’est pourquoi les réactions des adversaires de l’atome sont compréhensibles. De leur point de vue, le citron est pressé aussi longtemps qu’il a du jus. Mais cela génère un risque, car il reste encore six années d’exploitation», déplore par exemple le Landbote.
Energie sale
Avec la fermeture, l’électricité produite par Mühleberg devra probablement être compensée – du moins dans un premier temps – par de l’énergie importée de l’étranger. Et pour les commentateurs, ce n’est pas forcément une bonne nouvelle.
«L’électricité achetée ne sera pas propre, relève la Berner Zeitung. Une grosse partie du mix énergétique européen provient de centrales à gaz, à charbon et nucléaires. De plus, le niveau de dépendance augmente. Après la fermeture de la centrale, les FMB seront confrontées à un risque d’une hausse des prix de l’électricité. A la fin, ce seront les consommateurs de courant – c’est-à-dire nous tous – qui payeront l’addition.»
«Cette décision n’est pas un signal positif. Même pour les opposants au nucléaire, s’ils réfléchissent véritablement en termes d’écologie», commente le Zofinger Tagblatt.
Le quotidien La Liberté écrit pour sa part: «La transition énergétique coûtera 100 milliards de francs d’ici 2035, à la charge de la collectivité. Et pour compenser la fermeture de Mühleberg, il faudra dans un premier temps importer du courant produit par des centrales nucléaires ou des centrales à gaz. La pilule d’iode prescrite par la doctoresse Doris Leuthard [la ministre suisse de l’énergie, NDLR] nous immunisera peut-être à terme des dangers de l’atome. Elle n’en aura pas moins un goût amer.
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Bouchées doubles
«La portée historique du premier pas concret franchi hier vers la sortie du nucléaire ne doit pas faire oublier le fossé immense qui sépare encore la Suisse de l’objectif fixé en 2011 par le Conseil fédéral», rappelle encore La Liberté.
Ce sentiment qu’il reste énormément à faire est partagé par la plupart des commentateurs. Mais au moins, la fermeture de Mühleberg permettra-t-elle d’avancer. «Certes, la part de Mühleberg dans l’énergie nationale reste mesurée, mais il serait faux de ne pas profiter de l’annonce faite par son propriétaire pour mettre les bouchées doubles. Le moment est venu d’enclencher la diversification énergétique que tout le monde appelle de ses vœux sur le papier mais que l’on peine à concrétiser sur le terrain», écrit par exemple Le Temps.
Et le quotidien romand de poursuivre: «La balle est désormais dans le camp du parlement, qui a reçu des mains de Doris Leuthard son projet de Stratégie énergétique 2050. La commission préparatoire s’est mise au travail. Mais le chemin est encore long et semé d’embûches.»
Mais quels que soient les problèmes, la fermeture d’une première centrale marque bel est bien un tournant, et pas uniquement pour le monde politique. «Malgré la logique économique, la fermeture annoncée de Mühleberg est difficile pour de nombreux partisans des centrales nucléaires. Pour eux, cela signifie prendre désormais concrètement congé d’une technologie célébrée pendant 50 ans et d’un modèle économique que beaucoup croyaient sans alternative. Le bon côté de la chose: les chefs des groupes d’électricité ont maintenant définitivement la tête libre pour s’adapter à l’avenir de la politique énergétique», écrit le Bund.
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