Le sort des Ouïghours dépend du bras de fer entre la Chine et l’Occident à l’ONU
La République populaire de Chine continue de rejeter vigoureusement les critiques des pays occidentaux sur sa politique menée dans la province du Xinjiang. Les pratiques répressives voire génocidaires à l’encontre de la minorité ouïghoure sont devenues un enjeu majeur de la guerre diplomatique que se livrent la Chine et les pays occidentaux au sein des instances onusiennes.
«C’est trop tard, disent les Ouïghours», selon les derniers témoignages que la journaliste Sylvie Lasserre a pu recueillir depuis la sortie de son livre Voyage au pays des OuïgoursLien externe en mai dernier. «Une de mes sources dit que nous sommes très proches de l’éradication de l’ethnie ouïgoure, explique-t-elle à SWI swissinfo.ch. Selon certains témoignages, on ne voit quasiment plus d’Ouïghours dans les rues des villes du Xinjiang. Les seules qu’on l’on peut croiser sont les épouses de Hans, l’ethnie dominante, qui sortent en couple dans la rue.»
Les mesures de confinement instaurées après l’annonce, en août dernier, d’un foyer de personnes infectées au coronavirus, à Urumqi, capitale de la région autonome du Xinjiang, seraient particulièrement sévères, selon Sylvie Lasserre. «Tous les moyens de communication avec l’étranger sont coupés. Il est donc quasiment impossible de savoir ce qui se passe à l’intérieur du Xinjiang depuis deux mois», s’inquiète la journaliste, Pékin ayant dès lors toute latitude pour sévir comme il l’entend. «Selon certaines informations, 150 étudiants de la résidence universitaire d’Urumqi en parfaite santé auraient été emmenés dans un centre hospitalier pour servir de cobayes dans la recherche de vaccins contre la Covid.»
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Depuis ses débuts, au milieu de la décennie, la répression accrue contre cette minorité ethnique à la suite d’émeutes ou d’attentats terroristes aurait entraîné des disparations, des exécutions et des actes de torture dont l’ampleur est, bien sûr, difficile à évaluer. Un tiers de la population visée (de 13 à 18 millions d’Ouïghours) serait passée par un internement dans les camps de rééducation. Une politique répressive que tente de documenter un certain nombre d’organisations non gouvernementales (ONG).
Comme dans d’autres régimes fermés, ce sont les témoignages de victimes qui permettent de sonner l’alerte sur de possibles violations massives des droits humains. Dans le cas du Xinjiang, ces témoignages sont accablants depuis plusieurs années. Ils permettent de dessiner en pointillé les contours d’une politique d’assimilation violente des Ouïghours. Les campagnes de stérilisation forcée sont l’un des critères retenus dans la définition du génocide reconnue par le droit international.
Le Dictionnaire de droit international pénal, publié en 1998 par le Graduate Institute de Genève, définit le génocideLien externe comme une «infraction internationale portant atteinte à la personne humaine et qui s’entend limitativement de l’un quelconque des actes ci-après énumérés, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel: meurtre de membres du groupe, atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe, soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle, mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe, transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.»
Reste que ces prises de parole, de même que les enquêtes menées par des ONG ou des journalistes, ne sont pas des preuves irréfutables. Pékin peut donc régulièrement les démentir en parlant d’informations erronées, mensongères et manipulées politiquement.
Une mobilisation croissante depuis l’été
Une cinquantaine d’experts indépendants mandatés par les organes de l’ONU les ont estimées suffisamment sérieuses pour signer en juin dernier un appel commun appelant à prendre des mesures décisives pour protéger les libertés fondamentales en Chine.
Plus de 300 ONG ont de leur côté publié le mois dernier une lettre ouverteLien externe adressée au Secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres, à la Haut-Commissaire aux droits de l’homme Michelle Bachelet, ainsi qu’aux États membres de l’ONU. Elles en appellent à la création d’un mécanisme international chargé d’enquêter sur les violations des droits humains en Chine, notamment au Xinjiang.
Affrontement verbal à l’ONU
La scène diplomatique n’est pas en reste. Durant la session, en cours à New York, de la Troisième Commission de l’Assemblée générale des Nations unies, en charge des questions sociales, humanitaires et culturelles, s’est tenu un «débat houleuxLien externe» sur le respect des droits de l’homme en Chine, selon les termes du service d’information de l’ONU.
«Nous sommes extrêmement préoccupés par l’existence d’un vaste réseau de camps de ‘rééducation politique’, où des rapports crédibles indiquent que plus d’un million de personnes ont été détenues arbitrairement (…) Une surveillance généralisée continue de cibler de manière disproportionnée les Ouïghours et d’autres minorités et de plus en plus de rapports font état de travail forcé et de contrôle des naissances forcé, y compris la stérilisation», a lancé le 6 octobre à New York l’ambassadeur allemand Christoph Heusgen dans une déclaration conjointeLien externe signée par 39 pays, dont la Suisse.
Réplique cinglante de la diplomatie chinoise
Niant tout problème majeur au Xinjiang, l’ambassadeur chinois Zhang Jun a rétorquéLien externe: «Je dois également souligner que l’Allemagne, le Royaume-Uni et quelques autres pays, au mépris des faits, ont violé la justice et sapé la coopération. Face aux piètres résultats obtenus par vous-même et par les États-Unis en matière de droits de l’homme, vous choisissez de vous livrer à une cécité sélective et à une politique de deux poids, deux mesures, de suivre volontairement les États-Unis et de devenir leurs complices. Quelle hypocrisie! Permettez-moi de vous dire ceci: mettez de côté votre arrogance et vos préjugés, éloignez-vous du précipice, maintenant.»
«Il sera encore plus difficile à l’avenir de contrer l’action très organisée de la Chine et de ses alliés sur les questions des droits de l’homme, les pays occidentaux étant minoritaires dans cet organe de 47 membres»
Adrien-Claude Zoller, président du centre de formation Genève pour les droits de l’homme
Le ministère chinois des Affaires étrangères a, lui, soulignéLien externe que près de 70 pays ont soutenu la position de la Chine: «Ces pays apprécient que le Xinjiang ait pris une série de mesures conformes à la loi pour contrer la menace du terrorisme et de l’extrémisme et protéger les droits de l’homme des personnes de tous les groupes ethniques du Xinjiang.»
De retour au Conseil des droits de l’homme
La Chine n’entend pas modérer sa diplomatie offensive dans le système des Nations Unies. Elle vient d’être réélue comme membre du Conseil des droits de l’homme (CDH), même si le nombre de voix récoltées à l’Assemblée générale de l’ONU est plus faible qu’à son élection précédente dans cet organe basé à Genève.
Cuba et la Russie font également partie des nouveaux membres du CDH. «Il sera dès lors encore plus difficile de contrer l’action très organisée de la Chine et de ses alliés sur les questions des droits de l’homme, les pays occidentaux étant minoritaires dans cet organe de 47 membres», relève Adrien-Claude ZollerLien externe, président du centre de formation «Genève pour les droits de l’homme».
La mise au pas des différentes ethnies en Chine populaire remonte aux années 1950. «Dans les années 80 déjà, les organisations de droits de l’homme dénonçaient la politique de stérilisation et d’avortement forcés du pouvoir chinois au Tibet», rappelle Adrien-Claude Zoller.
Mais aujourd’hui, il est encore plus difficile d’intervenir en faveur des libertés en Chine et de ses violations massives. Après le Tibet, le Xinjiang est donc en passe d’être «normalisé» par un parti communiste chinois à la fois purgé et renforcé par le président Xi Jinping.
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