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Le Sri Lanka dans les tenailles politiques de l’ONU

Selon l'Onu, près de 300'000 déplacés internes ont trouvé refuge dans des camps gérés par le gouvernement. Keystone

La session spéciale du Conseil des droits de l'homme consacrée à la situation au Sri Lanka a tourné en valse politique entre pays du Nord et du Sud. La crédibilité de l'ONU est compromise. Pendant ce temps, 300'000 civils continuent de souffrir dans des camps.

Pas d’enquête sur les violations des droits de l’homme au Sri Lanka. Colombo a pu imposer le principe de non ingérence lors de la session spéciale consacrée au Sri Lanka mardi et mercredi au Conseil des droits de l’homme de l’ONU à Genève.

Les Etats ont voté à une majorité de 29 contre 12 – dont la Suisse – et 6 abstentions une résolution extrêmement complaisante à l’égard de ce pays.

«Il est vraiment décevant que cette session spéciale qui aurait dû être consacrée au Sri Lanka ait dégénéré en affrontement entre le Nord et le Sud», regrette Peter Splinter, d’Amnesty International. Sa remarque résume la valse diplomatique qui s’est poursuivie au cours de ces deux jours.

Les Etats s’étaient réunis à l’appel des pays occidentaux et latino-américains pour une session spéciale sur la situation gravissime dans laquelle se trouvent les civils suite à l’offensive finale de l’armée gouvernementale contre la guérilla des séparatistes tamouls qui vient de prendre fin au Sri Lanka.

La session spéciale avait pourtant débuté avec un discours d’ouverture sans équivoque de la Haut Commissaire de l’ONU pour les droits de l’homme. Navi Pillay réclamait dans un enregistrement vidéo «une enquête internationale, indépendante et crédible pour vérifier les circonstances, la nature et l’ampleur de violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire», tant par l’armée sri-lankaise que par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE).

«Il y a de fortes raisons de penser que les deux parties ont grandement bafoué les principes fondamentaux de l’inviolabilité des civils», a-t-elle ajouté.

Piégés entre l’armée et les Tigres

«Près de 300’000 déplacés internes se trouvent dans des camps gérés par le gouvernement. Ces civils se trouvent piégés entre l’armée et les Tigres tamouls, a déclaré l’expert de l’ONU sur l’extrême pauvreté, Magdalena Sepúlvada Carmona. Il est clair que les LTTE agissent contre les normes internationales, en utilisant les civils comme boucliers humains.»

Et de poursuivre: «Mais quand le gouvernement tient dans les camps des femmes et des enfants dans des conditions qui ressemblent à de la détention arbitraire, il est capital de les libérer le plus vite et de leur donner accès à de l’eau potable, des logements décents, des soins.»

La rapporteuse de l’ONU a aussi regretté que le personnel humanitaire se soit vu refuser l’accès à certaines zones qui aurait permis de vérifier les allégations graves de victimes sur des actes de torture, des internements extra-judiciaires, des enlèvements. Selon l’ONU, 7000 civils auraient péri en quatre mois. Les organisations humanitaires accusent l’armée gouvernementale d’avoir bombardé à l’artillerie lourde les populations civiles.

Mais Colombo, largement appuyé par les pays non alignés, asiatiques et musulmans, a rejeté toute condamnation et n’a pas voulu entendre parler d’enquête internationale ni d’un bureau du Haut Commissariat sur son territoire. «C’est un NON catégorique! Il n’y a aucune raison pour ouvrir une enquête. Nous ne voulons pas d’ingérence étrangère», a répondu Rajiva Wijesinha, le bras droit du ministre sri-lankais aux droits de l’homme dans une réunion organisée mardi par Human Rights Watch (HRW) en marge de la session.

Enquête internationale

«Des milliers de personnes torturées, disparues, tuées… et le gouvernement se borne à parler de plans de reconstruction. On ne peut tourner la page sans qu’une enquête sérieuse soit faite sur ces décennies d’impunité. Les témoins et leurs familles quittent le pays par peur de représailles. Il est impossible, dans le climat actuel, de connaître sérieusement les responsabilités sans une intervention internationale.»

Invitée à Genève par la plate forme d’ONG asiatiques FORUM-ASIA, l’avocate srilankaise Ramani Mttettuwegma a dénoncé sans distinction les exactions commises par l’armée gouvernementale, les Tigres tamouls (LTTE) et les autres groupes paramilitaires. Egalement invité par FORUM-ASIA, Sunanda Deshpriya, journaliste indépendant, a dénoncé les conditions inacceptables de travail pour les médias.

«Pour le gouvernement, il y a soit les terroristes, soit ceux qui les combattent. Ceux qui essaient de rendre compte de manière critique de ce qui se passe dans le pays sont traités de terroristes. Et lorsqu’un journaliste porte cette étiquette, toute sa famille est en danger. Le gouvernement et les LTTE sont dans une guerre des chiffres. Aucun des deux camps ne veut admettre qu’il puisse exister une autre vérité. Les journalistes sont interdits d’aller dans les camps de réfugiés. Le gouvernement ne veut ni d’yeux ni d’oreilles sur ce qui se passe réellement.»

Humanitaires à bicyclette

Des propos que Rajiva Wijesinha a réfuté en bloc, tout comme il a nié que les organisations humanitaires n’ont pas accès aux camps de réfugiés. «Nos camps sont ouverts à quiconque veut les visiter, a-t-il affirmé. Si nous interdisons les véhicules dans les camps, c’est par égard pour les civils qui se déplacent à pied et à bicyclette. Les humanitaires n’ont qu’à utiliser aussi des vélos».

Pour Peter Bouckaert, de HRW, une pareille réponse défie le bon-sens. «Imaginez un instant que l’on transporte sur des grandes distances des tonnes de nourriture et de soins à bicyclette! 280’000 personnes sont coincées dans ces campos militaires, sans eau potable, ni soins adéquats. Les mots utilisés par le CICR (Comité international de la Croix Rouge) pour décrire la situation sont sans précédent. Chaque jour compte.»

Carole Vann, InfoSud/swissinfo.ch

La session spéciale sur le Sri Lanka s’est tenue à la demande de l’Allemagne au nom de l’Union européenne (UE).

Les alliés. Les pays suivants ont soutenu la demande: Allemagne, Argentine, Bosnie-Herzégovine, Canada, Chili, France, Italie, Maroc, Maurice, Mexique, Pays-Bas, République de Corée, Royaume-Uni, Slovaquie, Slovénie, Suisse, Ukraine et Uruguay. Soit 18 membres du Conseil qui en compte 47. Il s’agit de la onzième session spéciale du Conseil depuis sa création en 2006.

Les pays «amis» du Sri Lanka. Menés par l’Inde, la Chine, le Pakistan, l’Arabie saoudite, Cuba, ces pays ont concocté une résolution intitulée «Assistance au Sri Lanka dans la promotion et la protection des droits de l’homme». Le texte insiste sur «le respect de la souveraineté» et «le principe de non-ingérence» dans les affaires intérieures stipulé par la Charte des Nations Unies.

Résolution suisse. De son côté, Berne, soutenue par une trentaine de pays, avait déposé lundi un contre projet de résolution demandant une enquête sur toutes les violations commises lors du conflit, la mise en place de mécanismes de lutte contre l’impunité, le libre accès des humanitaires aux populations civiles, notamment dans les camps de déplacés, et la liberté de mouvement pour ces derniers.

Mercredi, l’Allemagne au nom de l’Union européenne a fait une série de propositions d’amendements, allant dans le sens de la Suisse, au projet de résolution des pays «amis» du Sri Lanka.

Europe. L’UE a demandé notamment que soit retiré le principe de non ingérence, que soit réaffirmée l’importance des responsabilités sur les violations des droits de l’homme et du droit humanitaire et la nécessité d’une enquête et d’une justice selon les normes internationales. Ces demandes ont été refusées.

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