Le Sud-Soudan compte les jours jusqu’à son indépendance
Le 9 janvier, quatre millions d’électeurs sud-soudanais se rendront aux urnes pour répondre à une question simple: veulent-ils la séparation ou l’unité avec le nord du Soudan? A la clé, la pacification d’un pays saccagé par un demi-siècle de guerre civile. Reportage à Juba.
En ce mois de décembre, l’aéroport de Juba, capitale du Sud-Soudan, est en effervescence. Dans une apparence de chaos, les départs et arrivées de voyageurs se succèdent à une cadence inconnue jusqu’ici. Une effervescence qui s’explique par l’approche de Noël et ses réunions familiales.
Mais cette année, il y a plus: le 9 janvier, des millions d’électeurs sud-soudanais se prononcent sur l’avenir de leur patrie. Ils rentrent chez eux plein d’espoir, tandis que les étrangers, Ougandais et Kenyans pour la plupart, quittent le pays. Et ne reviendront qu’une fois la situation politique clarifiée.
Le résultat du référendum sera sans surprise: les Sud-Soudanais choisiront la séparation avec le Nord. Ce choix de l’indépendance n’est pas sans risque. Bien que le mot «paix» soit sur toutes les bouches, du chauffeur de taxi au représentant du gouvernement, les accrochages à la frontière sont monnaie courante entre les forces armées du Nord et du Sud. Ce 9 janvier 2011 est néanmoins ressenti comme le moment historique de tout un peuple. «Nous sommes confiants en l’avenir, témoigne Betty, 29 ans, employée de bureau à Juba. L’indépendance permettra à notre pays de se développer économiquement.»
L’épreuve du recensement
Dans un Etat en devenir, à l’administration embryonnaire, un recensement de la population tient de la gageure. Et pourtant, malgré les difficultés, «l’enregistrement des électeurs qui s’est clôt le 8 décembre est une réussite totale», se réjouit Alfred Lokuji, responsable de la Commission référendaire pour la région Central Equatoria, à l’extrême sud du pays. On estime le nombre de personnes enregistrées pour le vote à 4 millions. Mais «ce chiffre n’est pas important, explique-t-il. L’essentiel, c’est que 60% des inscrits participent au référendum, afin de valider le résultat. Ce qui est spécifié dans le Referendum Act 2009, établi en accord avec Khartoum.»
«Les gens sont conscients de l’importance de ce vote historique. Le quorum de 60% sera donc atteint, estime un observateur international. Je pense même que la séparation avec le Nord sera plébiscitée par près de 90% des votants.» Un optimisme que ne partage pas Salva Kiir, président du Sud-Soudan: il craint que Khartoum n’achète des votes. Probablement. Mais certainement pas suffisamment pour faire basculer le résultat. A ce stade, le seul problème viendrait de l’entreprise britannique chargée d’imprimer les bulletins de vote. Les rotatives tournent à plein régime, mais le temps est compté. Au pire, les Sud-Soudanais voteront avec deux ou trois jours de retard. Le référendum n’est finalement qu’une formalité. De nouveaux défis viennent ensuite.
Le pétrole, facteur de paix?
Le pétrole, voilà le vrai enjeu du problème. Au sud, des ressources pétrolières en abondance; au nord, des infrastructures – pipelines, raffineries et accès à la mer – permettant leur commercialisation. Le pétrole représente près de 95% des revenus du Sud et 60% du Nord. «Khartoum et Juba n’ont pas d’autre choix que de se mettre d’accord, explique Alfred Lokuji. Le CPA (Comprehensive Peace Agreement*) a offert cinq années de paix qui ont permis un développement économique des deux parties du pays. Qui serait assez fou pour renoncer à cela?»
Le CPA, un accord de paix signé en 2005 entre le Nord et le Sud, régit notamment un partage équilibré des ressources pétrolières. Il prendra fin le 9 juillet 2011. Des tractations sont en cours afin d’assurer la stabilité du pays. Elles devraient aboutir à un accord qui rende possible une existence pacifique de deux Soudans indépendants.
La guerre, une voie sans issue
Bien que très facile à provoquer en jouant sur les tensions ethniques, la guerre n’est pas un scénario retenu. La population est à bout et ne soutiendrait pas leur gouvernement dans ce choix. Si conflits il y a au Sud-Soudan, c’est plutôt entre la capitale et sa périphérie. «Le système fédéral sud-soudanais est défaillant, commente Joe Vieira, responsable d’un réseau de stations de radio communautaires. Les pouvoirs politique et économique se concentrent à Juba, qui redistribue bien peu aux autres régions. Cela entraîne des frustrations susceptibles de se transformer en conflits ouverts.» Une analyse qui vaut également pour le nord du Soudan, empêtré dans un conflit bien connu au Darfour, mais pas seulement: l’extrême Est du pays est instable ainsi que la région des Nuba Mountains à la frontière avec le Sud. Les deux capitales doivent donc se donner les moyens d’une politique décentralisée.
Et ces moyens ne manquent pas. Il y a 5 ans, Juba n’était qu’un village au milieu de la brousse. Aujourd’hui, c’est une ville en pleine expansion où les loyers sont aussi élevés que dans les métropoles européennes. Partout où se porte le regard, ce n’est que construction de routes, de bâtiments ministériels et de campus sécurisés pour expatriés et VIP locaux. Des urbanistes un peu foldingues projettent même de donner une forme de rhinocéros à la ville. C’est Google maps qui sera content. Espérons que la 54e capitale africaine apportera mieux à sa population qu’une belle carte postale vue du ciel.
Janvier 1956: déclaration d’indépendance du Soudan sous domination britannique. Début de la guerre civile entre le nord à majorité arabe et musulmane et le sud à majorité noire et chrétienne.
1972: fin de la première guerre civile. Création d’un gouvernement régional au sud.
1983: deuxième guerre civile. Le conflit est d’une extrême violence : plus de 2 millions de morts et 4 millions de déplacés. Famine.
Avril 2002: signature d’un cessez-le-feu. Pourparlers de paix.
9 Juillet 2005: signature de l’accord de paix, dit CPA (Comprehensive Peace Agreement). Stabilité et développement.
9 janvier 2011: référendum sur l’indépendance au Sud-Soudan.
9 juillet 2011: fin de la période de transition du CPA. Une déclaration d’indépendance du Sud-Soudan est possible.
Main dans la main, plusieurs départements fédéraux offrent leurs bons offices au Soudan. La DDC (Direction du dévelopement et de la coopération) allège les souffrances des populations déplacées par la guerre grâce à un programme d’aide humanitaire (eau, alimentation, hygiène, soins médicaux).
La division politique IV du DFAE (Département fédéral des affaires étrangères) est également engagée et soutient le Soudan dans ses efforts de paix – elle a notamment joué un rôle actif dans la signature d’un cessez-le-feu en 2002. Elle stimule également la création d’une législation assurant une bonne gouvernance locale: en organisant des échanges d’expériences et en favorisant le dialogue entre le gouvernement central et la périphérie, elle aide à la construction d’un Etat fédéral tenant compte des spécificités de toutes les régions du Sud-Soudan.
Le DDPS (Département de la défense, de la protection et du sport) apporte quant à lui son expertise afin de réformer au mieux les forces armées sud-soudanaises. Il s’agit de transformer un ancien mouvement rebelle en une armée disciplinée au service d’une nation démocratique.
Deux officiers suisses participent aussi à une mission d’observation militaire onusienne dans le cadre de la MINUS.
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