Le Tessin frileux face à l’Expo 2015 de Milan
Le 28 septembre, les électeurs tessinois ont refusé le crédit de participation du canton italophone à l'Exposition universelle de 2015 à Milan, mettant leur gouvernement sous pression. Le fort sentiment anti-italien qui sévit dans le canton est sans doute à l’origine de ce refus. Résultat: sa participation à l’Expo sera modeste et exclusivement privée.
Le verdict rendu par les urnes est clair: 54,5% des 51% de Tessinois qui ont voté ont dit «non» à la participation publique de leur canton à l’Exposition universelle de Milan en 2015Lien externe. Un résultat attendu après que la Ligue des Tessinois avait raflé environ 13’000 signatures pour leur référendum, là où 7000 auraient suffi.
Au centre de la contestation, le crédit de 3,5 millions de francs approuvé en avril par le parlement cantonal. En fait le montant avait chuté à 2,1 millions de francs après la renonciation à quelques projets prévus pour l’exposition. Mais le souverain n’a de toutes façons rien voulu savoir.
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Expositions universelles d’hier et d’aujourd’hui
Durant les jours qui ont suivi le vote, la lecture du résultat a donné lieu à plusieurs interprétations. Il en est surtout ressorti que ce n’est pas seulement la somme elle-même qui a été mise en cause mais aussi la participation du canton du TessinLien externe à cette manifestation. «Pas d’argent du contribuable pour l’expo et pour l’Italie» tel a résonné le verdict populaire rendu par les urnes.
Gouvernement sous pression
Le gouvernement cantonal s’est retrouvé sous pression. Avant la votation, il avait dit disposer d’une alternative qui lui aurait permis, en cas de rejet du crédit, de recourir au financement de privés ou au fonds de Swisslos, la loterie intercantonale, pour garantir les montants à couvrir.
Lugano fait cavalier seul
Lugano compte une majorité de représentants de la Ligue des Tessinois. La ville semble toutefois faire cavalier seul. Son maire Marco Borradori, lui-même léguiste, soutient fermement l’Exposition 2015 de Milan. Il l’a répété après la votation cantonale du 28 septembre.
Lugano, qui est située à moins d’une heure de Milan, espère ainsi que des délégations des pays hôtes de l’Exposition universelle descendront dans ses hôtels.
La Municipalité donc investir en vue de l’expo, mais pas en Italie. L’argent devra servir à financer le projet «Lugano – giardino del mondo»Lien externe (jardin du monde), dans l’espoir d’attirer les visiteurs de l’exposition universelle. Les investissements devront aussi être durables afin de servir aussi après l’expo.
Il y a quelques jours, l’Exécutif a indiqué qu’il renonçait à l’argent de Swisslos, car la subvention du fonds national est en fin de compte aussi de l’argent public. Le gouvernement tessinois veut éviter qu’on lui reproche de ne pas avoir respecté la volonté populaire.
Ceci étant, afin que le seul canton entièrement italophone de Suisse puisse garantir sa présence, même modeste, à Milan, il lui faut 1,1 million de francs. Près de 85% de la somme ont été promis par des privés, des associations économiques, les milieux bancaires et les commerçants. «Nous respecterons nos engagements», assure Enzo Lucibello, président des détaillants en gros.
Des privés à la rescousse
Cela semble pour le moins singulier que, en fin de compte, il faille recourir à des sponsors privés pour assurer la présence institutionnelle d’un canton à l’Exposition universelle de Milan. «Nous prenons acte de cette décision du Conseil d’Etat», déclare Andrea Arcidiacono, collaborateur du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) et responsable du programme pour l’exposition dans le cadre du pavillon de Présence suisse. Il se dit confiant que le canton du Tessin assumera son rôle institutionnel.
En fait le Tessin a souscrit une collaboration avec la Confédération et avec les cantons dits du Gothard, soit le Valais, les Grisons et Uri. Les représentants des gouvernements d’Uri et du Valais ont explicitement déploré qu’un scrutin populaire leur ait fait perdre leur «locomotive».
Quoiqu’il en soit, à la demande du gouvernement, le coordinateur du stand des cantons du Gothard, l’ex-conseiller d’Etat tessinois Luigi Pedrazzini, qui avait remis son mandat au lendemain de la votation, ne jettera finalement pas l’éponge. Il ne sera toutefois plus le délégué du canton à l’Expo.
Peu d’intérêt du côté italien
La votation populaire et les débats qui l’ont suivie n’ont rencontré que peu d’intérêt en Italie. Dans un bref article, le quotidien milanais «Corriere della Sera» a déploré ce résultat tout en se réjouissant du fait que, contrairement au Tessin, la Confédération accorde toute sa valeur à l’Exposition universelle.
L’Exposition universelle de Milan (Expo Milano) aura lieu du 1er mai au 31 octobre 2015.
La manifestation est placée sous le thème «Nourrir la planète. Energie pour la vie», avec la protection de l’environnement pour fil conducteur.
Les pays participants sont conviés à présenter leurs atouts dans les domaines de l’agriculture, de l’industrie de l’alimentation, du commerce et de la recherche scientifique afin d’assurer à l’humankité une alimentation saine, riche et durable.
Les organisateurs attendent environ 20 millions de visiteurs du monde entier: 75% d’Italie et 25% de l’étranger, dont 40% de Suisses.
Roberto Maroni, président de la Région Lombardie et membre de la Ligue du Nord, a commenté en ces termes l’issue du scrutin tessinois: «Je respecte la volonté populaire mais le résultat du Tessin n’a pas une grande importance pour nous puisque la Suisse sera de toutes façons présente à l’Expo de Milan. C’est le Tessin qui a tout à y perdre.»
Giuseppe Guzzetti, président de «Cariplo», fondation culturelle de la Caisse d’épargne de la province lombarde, se montre moins indulgent: «Cette votation est totalement insensée» a-t-il déclaré aux médias italiens durant une manifestation organisée au Château Sforzesco de Milan.
Climat anti-italien
Durant toute la préparation de l’Exposition universelle qui s’ouvrira dans environ 200 jours, la discussion provoquée par la décision de l’électorat tessinois va se poursuivre, tout au moins dans le canton.
Carlo Piccardi, ex-directeur de Rete 2, la chaîne culturelle la Radiotélévision de la Suisse italienne (RSI) estime que le référendum de la Lega contre le crédit cantonal pour l’expo s’est en fin de compte transformé en un plébiscite «pro ou contre l’Italie». Il considère le résultat comme catastrophique.
Car en fin de compte cette votation remet aussi en cause l’italianité du canton, que les Tessinois eux-mêmes ne manquent pas de balayer à chaque occasion. Le Tessin nie ainsi ses propres racines culturelles, regrette Carlo Piccardi. «C’est la première fois que cela arrive durant les deux cents ans de l’histoire de notre canton», a-t-il commenté dans le quotidien «La Regione».
Le sentiment anti-italien est en effet largement répandu au Tessin, surtout depuis ces dernières années. Ceci a été notamment le cas lors de la votation fédérale du 9 février sur l’initiative démocrate du centre (UDC, droite conservatrice) «contre l’immigration de masse», approuvée par 68,2% de l’électorat, le score le plus élevé de tous les cantons suisses. Les Tessinois ont transformé le scrutin fédéral en un vote de protestation contre la forte présence de frontaliers italiens dans leur canton.
(Adaptation de l’allemand: Gemma d’Urso)
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