Les besoins humanitaires record poussent le système d’aide onusien à ses limites
L’ONU s’attend à ce que les besoins humanitaires explosent l’année prochaine. Elle est cependant confrontée à un déficit de financement croissant qui compromet sa capacité à répondre à des crises sans précédent.
En 2022, les sécheresses et inondations extrêmes, la guerre en Ukraine, la pandémie et de nouvelles épidémies ont provoqué la faim et des déplacements massifs, et ont poussé des millions de personnes dans le monde dans une situation désespérée.
Dans son rapport annuelLien externe des besoins humanitaires projetés, publié jeudi, l’ONU estime qu’elle aura besoin d’un montant record de 51,5 milliards de dollars en 2023, pour répondre aux énormes besoins humanitaires anticipés. Une augmentation de 10,5 milliards de dollars par rapport aux projections de l’année dernière pour 2022.
«C’est une somme phénoménale et c’est une somme déprimante», a déclaré le chef du Bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations unies, Martin Griffiths, à un groupe de journalistes lors d’une conférence de presse à Genève.
Selon l’ONU, 339 millions de personnes dans 68 pays auront besoin d’aide humanitaire l’année prochaine, soit environ 4% de la population mondiale. Ce pourcentage a plus que doublé au cours des quatre dernières années. Plus de 100 millions de personnes sont actuellement déplacées dans le monde. D’ici la fin de l’année, plus de 220 millions de personnes se trouveront en situation d’insécurité alimentaire aiguë, 45 millions de personnes risquent de mourir de faim, estime encore l’ONU.
L’appel lancé jeudi par les Nations unies concerne les plans d’intervention par lesquels l’organisation et ses partenaires espèrent aider 230 millions de personnes en 2023. Il n’inclut pas ceux d’autres ONG internationales telles que le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge ou Médecins sans frontières (MSF). Séparément, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a lancé mardi un appel de 2,8 milliards de francs suisses pour financer ses activités en 2023. La Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (IFRC) et son réseau d’organisations nationales ont déclaré qu’ils auront besoin de 3,2 milliards de francs l’année prochaine.
La «tendance la plus préoccupante», a souligné Martin Griffiths, est la hausse du déficit de financement – entre les besoins humanitaires et les fonds mobilisés –, qui n’a jamais été aussi important qu’en 2022. À la mi-novembre, l’ONU avait reçu 24 milliards de dollars, laissant 53% de ses opérations prévues dans le monde sans financement. Cette situation a contraint les agences humanitaires à prendre des décisions difficiles quant au choix des personnes à aider.
Combler le déficit
«Nous avons besoin que les donateurs des pays les plus riches s’engagent davantage pour aider les personnes dans le besoin. Et ce financement doit être à long terme et flexible, afin que les organisations humanitaires puissent fonctionner efficacement», déclare Jan Egeland, secrétaire général du Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC). Selon lui, la générosité de la communauté internationale envers l’Ukraine doit être étendue aux crises négligées ailleurs.
Les plans de réponse d’urgence en Ukraine et d’aide aux personnes réfugiées dans les pays voisins sont parmi les programmes les plus coûteux et les mieux financés que l’ONU coordonne. Au 21 novembre, le plan d’intervention en Ukraine, qui se chiffre à 4,3 milliards de dollars, était financé à 73%, tout comme celui pour les réfugiés des pays voisins de l’Ukraine, qui s’élève à 1,3 milliard de dollars. En revanche, les programmes humanitaires onusiens pour l’Éthiopie, le Soudan et la Syrie étaient tous couverts à moins de 50%.
«L’augmentation des besoins et la montée en flèche des prix exercent une pression toujours plus forte sur les organisations humanitaires, ce qui les force à innover pour mettre en œuvre des programmes moins coûteux», indique Jan Egeland, qui a été à la tête de l’OCHA entre 2003 et 2006.
Plusieurs outils et approches permettent aujourd’hui aux organisations humanitaires d’agir de façon plus efficace. Parmi ceux-ci: l’action anticipée, qui consiste à mettre à disposition d’acteurs locaux des fonds avant qu’une catastrophe naturelle prévisible se produise, afin que les communautés locales puissent se préparer et éviter certains dommages. Les transferts d’argent liquide, qui peuvent être effectués en ligne à moindres frais et qui laissent un pouvoir décisionnel plus important aux personnes sur le terrain, sont un autre outil auquel les agences de l’ONU ont de plus en plus recours.
Mais la pression exercée par la hausse des prix des denrées alimentaires et des carburants, et les réductions des budgets d’aide au développement poussent aussi les organisations humanitaires dans de nouvelles directions. «L’aide au développement permet d’accomplir certains objectifs mieux que l’aide humanitaire. Par exemple, la fourniture d’infrastructures de base», a expliqué Martin Griffiths. Si les pays refusent, pour des raisons politiques ou économiques, de soutenir ce travail, la charge se reporte sur les acteurs humanitaires. L’accord sur les céréales de la mer Noire, qui a permis la reprise des exportations alimentaires ukrainiennes bloquées et la baisse des prix sur les marchés internationaux, un pacte négocié notamment par Martin Griffiths, est une autre illustration de l’étendue des actions que doivent mener les organismes humanitaires.
Réformes
«Le système humanitaire n’est plus en mesure de faire face à l’ampleur, à l’intensité et parfois à l’imprévisibilité des crises actuelles», déclare Karl Blanchet, directeur du Centre d’études humanitaires de Genève. «Il faut plus d’argent pour l’aide humanitaire», ajoute-t-il. Mais selon lui, des changements dans le mode de fonctionnement du système sont également nécessaires. S’il ne «remet pas en cause l’excellent travail» des organisations humanitaires internationales – telles que les agences onusiennes – Karl Blanchet estime que davantage de fonds doivent aller directement aux ONG nationales et locales.
Dans le cadre de réformes sectorielles initiées en 2016, les membres du Comité permanent interorganisations (IASC) – un organe regroupant les responsables des agences humanitaires onusiennes et indépendantes de l’ONU – se sont engagés, d’ici 2020, à canaliser au moins 25% de l’aide humanitaire internationale vers les acteurs locaux et nationaux, directement ou indirectement. Or l’année dernière, seulement 1,2% (302 millions de dollars) du financement total de l’aide humanitaire internationale a été versé directement aux organisations locales et nationales, selon Development initiatives (DI)Lien externe, une ONG basée au Royaume-Uni.
Martin Griffiths, qui préside également le IASC, a déclaré qu’à l’avenir le système humanitaire devra entretenir de «vraies relations» avec les communautés affectées, afin de «permettre à ces personnes de nous dire ce dont elles ont besoin et de nous donner des instructions sur la manière de dépenser l’argent qui leur est destiné».
Selon les spécialistes, les agences humanitaires locales sont les mieux placées pour répondre aux situations d’urgence, mais elles ne reçoivent pas suffisamment de fonds ni de formations. Les considérations politiques et l’aversion au risque sont les principales raisons pour lesquelles les pays donateurs sont souvent réticents à donner directement de l’argent aux structures locales et nationales.
«Nous devons leur donner les moyens de répondre rapidement et adéquatement en respectant les principes humanitaires. Ce serait un profond changement pour le système humanitaire, qui serait plus efficace et plus réactif», indique Karl Blanchet.
Texte relu et vérifié par Virginie Mangin
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