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Les défis africains de la procureure de la CPI

Fatou Bensouda se défend d'être la marionnette des Occidentaux. AFP

Depuis ses débuts, la Cour pénale internationale (CPI) est régulièrement accusée de néocolonialisme, une majorité de ses enquêtes touchant l’Afrique. De passage à Genève, la procureure du tribunal, la Gambienne Fatou Bensouda, répond à ces critiques.

Fatou Bensouda a pris ses fonctions le 15 juin 2012. Et ce après avoir occupé le poste de procureur adjoint chargé des poursuites de la CPI depuis 2004.

De passage à Genève à l’invitation de la Suisse, l’ancienne ministre de la justice gambienne explique l’importance de cette cour pour le continent africain.

swissinfo.ch: Beaucoup d’enquêtes menées par la CPI concernent des responsables africains. Ce qui fait dire à certains que la CPI est un instrument néocolonialiste. Que leur répondez-vous?

Fatou Bensouda: Certains me qualifient de marionnette des Occidentaux. Mais la réalité est différente. Ce sont les Etats africains qui demandent le plus l’intervention de la CPI, par rapport aux autres régions du monde. Et ce depuis le lancement de la CPI, il y a plus de 10 ans.

De plus, il est bien difficile de dire que les victimes ne sont pas africaines. Il y a des milliers et des milliers de victimes pour chacun des cas sur lesquels nous enquêtons. Il s’agit de crimes très graves. La CPI est quasiment la seule institution qui agit pour ces milliers de victimes.

Les leaders africains qui sont accusés pour ces crimes se posent maintenant en victimes de la justice internationale. C’est une insulte à l’égard des véritables victimes de ces atrocités.

Concernant la Libye et le Soudan, c’est le Conseil de sécurité de l’ONU qui a mandaté la CPI. Dans la plupart des autres cas, ce sont les Etats africains concernés qui font appel à nous, car ils estiment ne pas avoir la capacité de mener eux-mêmes ces enquêtes.

C’est ce qu’ont fait l’Ouganda, comme la République centrafricaine ou la République démocratique du Congo. Dans le cas de la Côte d’Ivoire, c’est la CPI qui a pris l’initiative. Mais dès 2003, sous la présidence de Laurent Gbagbo, la Côte d’Ivoire a officiellement déclaré qu’elle acceptait la juridiction de la CPI  et l’a appelée à agir. Une déclaration qui a été renouvelée par l’actuel président Alassane Ouattara.

Plus récemment, c’est aussi le Mali qui a invité la CPI à enquêter sur son territoire.

La CPI est une cour indépendante des Nations unies, fondée en 1998 par 120 Etats, sur la base du traité de Rome.

Sans force de police, la Cour dépend de la coopération des Etats pour interpeller ses suspects et juger les auteurs des crimes les plus graves, comme les crimes de guerre ou de génocide. Elle n’intervient pas si la justice nationale concernée entame une procédure judiciaire crédible . 

Le bureau du Procureur de la CPI enquête sur 7 affaires en Ouganda, en République démocratique du Congo, au Darfour (Soudan) en République Centrafricaine, au Kenya, en Libye, en Côte d’Ivoire.

Une série d’enquêtes préliminaires sont actuellement menées, notamment en Afghanistan, en Géorgie, en Guinée, en Colombie, au Honduras, en Corée du Sud, au Nigéria, au Mali.

 

Source: CPI

swissinfo.ch : Vous sentez-vous soutenue par la population, par la société civile des pays africains victimes de crimes de guerre?

F.B. : Oui, nous nous sentons soutenus. Dans toutes les situations que nous examinons, les personnes affectées et celles qui prennent soins d’elles soutiennent fortement la CPI. Elles savent que sans notre cour, elles n’obtiendraient jamais justice.

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swissinfo.ch: Concernant le président soudanais Omar el-Béchir, accusé de génocide au Darfour, avez-vous le moindre espoir de pouvoir le juger?

F.B. : L’arrestation du président soudanais ne dépend pas de la CPI. Nous n’avons pas le pouvoir d’arrêter. Notre mandat n’est que judiciaire. C’est le rôle et le devoir des Etats parties au Statut de Rome. Ils sont le bras armé de la CPI.

Le président soudanais a voyagé et peut-être continue-t-il de voyager sur le territoire d’Etats parties à la CPI, comme le Tchad qui l’invite régulièrement, alors que son gouvernement a le devoir et la responsabilité de l’arrêter et de le déférer devant la CPI.

A l’évidence, cela n’a pas fonctionné dans le cas d’Omar el-Béchir, un président qui teste constamment les limites de la justice internationale. Raison pour laquelle je presse les Etats de s’assoir autour d’une table afin de chercher d’autres voies pour s’assurer que nos procédures se concrétisent.

swissinfo.ch: Constatez-vous un changement dans l’attitude des Etats concernés dans cette affaire?

F.B. : Ce cas est très particulier. Car l’Union africaine (UA) a adopté une résolution demandant de ne pas coopérer avec la CPI pour l’arrestation du président soudanais. Mais l’UA n’a pas appelé à un boycott général de la CPI. Certains Etats africains, par exemple le Tchad, pensent devoir suivre cette résolution. D’autres pensent que ce texte ne peut pas se superposer aux obligations internationales du Statut de Rome.

Mais j’ai l’espoir que la situation critique que vivent les victimes du Darfour depuis plus de 10 ans finira par prendre le dessus par rapport aux protections dont jouissent les responsables de ces atrocités.

En vertu de l’article 13 du Statut de Rome sur lequel repose la Cour pénale internationale (CPI), il existe trois modes de saisine de la Cour:

– un Etat partie défère au Procureur une situation dans laquelle des crimes relevant de la compétence de la Cour paraissent avoir été commis (art. 14);

– une même situation est déférée au Procureur par le Conseil de Sécurité agissant en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies;

– le Procureur lui-même décide d’ouvrir une enquête sur un tel crime (art. 15).

 

Source : ONG suisse TRIAL

swissinfo.ch: Les ONG demandent que les enquêtes de la CPI se fassent de manière plus vigoureuse. Quelles sont les plus grandes difficultés que vous rencontrez sur le terrain?

F.B. : Il faut comprendre que les enquêtes menées par la justice internationale sont loin d’être faciles. La plupart du temps, elles se déroulent dans des régions toujours en conflit. Nous devons assurer la protection des témoins, des victimes et de nos équipes. Il est également essentiel de trouver les témoins dans ces zones très peu sûres et de récolter le plus d’informations possibles pour pouvoir présenter des dossiers solides devant les juges de la CPI. Nous savons que les témoins ont peur, qu’ils subissent parfois des intimidations, des menaces issues des communautés où ils vivent. Certains témoins se voient proposer suffisamment d’argent pour leur permettre de sortir de leur situation. Et ils l’acceptent.

Il est donc très difficile pour nous de contrôler toutes ces interférences. Même de simples problèmes logistiques deviennent des casse-tête. Nous devons par exemple trouver des interprètes, des traducteurs fiables, qui ne changent pas la traduction des paroles des gens issus de la même communauté.

Souvent, nous devons chercher un endroit suffisamment sûr pour conduire nos interrogatoires de manière à ne pas exposer nos témoins. Parfois, nous devons mener ces interrogatoire hors de la région concernée.

Rassembler des preuves, les analyser est pour nous un immense défi.    

La Suisse a activement soutenu la mise en place de la Cour pénale internationale (CPI) en 1998.

  

En octobre 2001, Berne a ratifié le Statut de Rome qui définit les compétences et les règles de fonctionnement  de la CPI.

  

L’ambassadeur de Suisse à La Haye (siège de la CPI) occupe l’un des deux postes de vice-président de l’Assemblée des Etats parties au Statut de Rome, l’organe directeur de la CPI. A cette fonction, il préside le «Hague Working Group», au sein duquel les États parties discutent par exemple du budget ou de la coopération des États entre eux et avec la CPI.

  

Quant à l’ambassadeur de Suisse auprès des Nations Unies à New York, il préside le «Working Group on Amendments», qui gère les développements du Statut de Rome.

Source: DFAE

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