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Les exportations d’armes à nouveau sur la sellette

La production d'armes et de composants d'armes est de plus en plus globalisée et divisée entre les entreprises. Keystone

Le gouvernement suisse fait régulièrement l’objet de critiques quant à certaines pratiques en matière d’exportation d’armes. Une vente bloquée de composants de pistolets aux Etats-Unis a récemment mis en lumière un aspect moins connu du marché mondial des armes.

Le gouvernement suisse a mis son veto au mois de janvier à un contrat de ventes d’armes pour une valeur de plus de 400’000 francs, au motif que les armes de poing – assemblées aux Etats-Unis en vue d’être exportées en Arabie saoudite – auraient pu être employées en violation des droits de l’homme.

Par ailleurs, les dernières statistiques en date concernant les licences octroyées pour l’exportation d’armes et de pièces d’armes – équipement électronique, logiciels d’ordinateurs, oscilloscopes, tubes, vis, ressorts, etc. – ont conduit les organisations pacifistes et de défense des droits de l’homme à exprimer de sérieux doutes quant à la bonne application de la loi fédérale sur le matériel de guerre.

Au cours des douze dernières années, la proportion des composants dans les exportations d’armes a en effet plus que doublé – passant de 26 à 46% et un total de 925 millions de francs – au détriment des licences octroyées pour des systèmes de défense complets ou des armes prêtes à l’emploi.

Le premier traité international juridiquement contraignant de l’histoire sur le commerce des armes conventionnelles (TCA) a été approuvé le 2 avril 2013 par l’Assemblée générale des Nations unies.

L’accord a été signé après des années d’âpres négociations. Deux conférences ont été nécessaires ces dix derniers mois pour arriver à un consensus.

Le TCA réglemente un commerce annuel global des armes conventionnelles évalué à 70 milliards de dollars. Figurent dans le catalogue des armes conventionnelles chars, véhicules de combat, systèmes d’artillerie, avions de combat, navires de guerre, missiles, fusils et armes de poing.

Le traité couvre également les munitions et les composants d’armes. Les armes nucléaires, chimiques et biologiques ne sont toutefois pas inclues dans l’accord.

Le principe du traité veut que chaque pays évalue, avant toute transaction, si les armes vendues risquent d’être utilisées pour contourner un embargo international, commettre des «violations graves» des droits de l’homme, ou être détournées au profit de terroristes ou de criminels.

«Manque de transparence systématique»

Le Groupe pour une Suisse sans armée (GSsA) et Amnesty International pensent que certains fabricants ont délibérément réorienté leurs activités commerciales afin de contourner la législation, stricte, sur les exportations d’armes. Des allégations rejetées par le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO). «La Suisse a été à des maintes reprises saluée par une enquête indépendante pour son information transparente sur le commerce des armes de petit calibre et des armes légères. Je ne pense pas que nous soyons moins transparents en ce qui concerne d’autres types d’armes», affirme Simon Plüss, haut fonctionnaire de l’unité qui s’occupe du contrôle des exportations d’armes au SECO.

Jo Lang, figure de proue des pacifistes suisses, accuse néanmoins l’administration de «manque de transparence systématique». «Elle n’informe le public que lorsqu’elle est forcée de le faire», dénonce-t-il, ajoutant que l’exportation des biens militaires spécifiques et pouvant être utilisés à des fins civiles et militaires n’apparaît pas dans les statistiques régulières des exportations d’armes.

Du côté d’Amnesty International, Patrick Walder se montre plus prudent, reconnaissant que la Suisse figure parmi les pays les plus transparents en matière d’exportations d’armes. Mais «une politique d’information plus active de la part du SECO est imaginable, par exemple sur les moyens utilisés par l’industrie pour contourner les règlements».

Patrick Walder se demande quelle est la véritable efficacité des règles de contrôle concernant les utilisateurs finaux d’armes et de composants d’armes suisses. Il cite notamment une clause qui facilite les ventes à des entreprises privées à l’étranger lorsque le coût de production des composants représente moins de la moitié du total des coûts d’une arme.

Aval du Parlement

Dans un article publié au mois de janvier, le quotidien zurichois Tages-Anzeiger a accusé le gouvernement et l’administration fédérale de dissimuler une pratique courante en matière d’exportations d’armes. Les autorités n’auraient pas mentionné assez explicitement les dérogations accordées pour faciliter les exportations vers un groupe de 25 pays bénéficiaires, des partenaires de longue date de la Suisse qui ont adopté des règles internationales similaires.

Cette liste comprend principalement des pays européens, de même que les Etats-Unis, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Japon et l’Argentine. Le SECO soutient que tout a été fait dans les règles, la Suisse appliquant les standards internationaux en la matière. «Des dérogations aux dispositions restrictives à l’exportation ont été approuvées par le Parlement. Par ailleurs, la loi stipule que le gouvernement informe le comité de contrôle du Parlement sur une base annuelle en matière d’exportations d’armes», souligne Simon Plüss.

Le représentant du SECO affirme que les exportateurs qui se sont vu accorder des conditions particulières doivent par ailleurs encore répondre à un certain nombre de critères.

En Suisse, l’importation, l’exportation et le transit de matériel de guerre sont soumis à l’autorisation des autorités fédérales.

La loi de 1996 a été renforcée à plusieurs reprises, afin d’interdire notamment les exportations vers des pays impliqués dans des conflits.

En novembre 2009, les citoyens helvétiques ont rejeté une initiative qui exigeait l’interdiction totale des exportations d’armes.

Les exportations de matériel de guerre ont atteint près de 700 millions de francs en 2012, en recul de 20% sur un an. L’Allemagne, les Emirats arabes unis, l’Italie, les Etats-Unis et l’Inde ont été les principaux pays de destination.

Le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) a approuvé un peu moins de 2400 demandes d’exportation d’armes l’an dernier.

Division du travail

Le gouvernement, l’industrie – et même les ONG – s’accordent tous pour dire que l’augmentation des licences d’exportation est principalement le résultat de la mondialisation de la production et du commerce tant dans le domaine civil que militaire.

«De moins en moins d’entreprises vendent des systèmes d’armes complets de nos jours, affirme Ivo Zimmermann, porte-parole de l’organisation faîtière de l’industrie des machines (Swissmem). Dans la même veine, le militant pacifiste Jo Lang souligne la division croissante du travail parmi les fabricants spécialisés. Un fait qui rend à ses yeux l’adoption de règles contraignantes plus urgente encore.

Le SECO met en garde contre les interprétations abusives qui circulent en matière d’exportations de composants d’armes. Le nombre de licences accordées ne correspond pas nécessairement aux ventes réelles effectués, souligne en effet Simon Plüss.

Traité historique

L’industrie rejette également les spéculations selon lesquelles l’essor des exportations de composants serait dû à un durcissement de la règlementation sur les exportations d’armes. Ivo Zimmermann affirme que l’industrie ne s’oppose pas aux restrictions sur les exportations d’armes en général. «Mais il est crucial que les pays européens soient traités sur un pied d’égalité, afin d’éviter une concurrence biaisée».

Le porte-parole de Swissmem ne confirme pas les informations qui font état d’efforts de lobbying menés par l’industrie afin d’assouplir les règles d’exportation suite à l’adoption du premier traité international sur la vente d’armes (voir encadré). Amnesty International craint que l’industrie n’utilise les résultats historiques de la récente conférence des Nations Unies à New York pour obtenir davantage de concessions. L’organisation de défense des droits de l’hommes estime que la Suisse a une responsabilité particulière en tant que pays neutre et disposant d’une longue tradition humanitaire.

Au SECO, Simon Plüss affirme que les fabricants d’armes n’exercent aucune pression sur l’administration. Il ne croit pas non plus que le traité international tout juste adopté aura un impact majeur sur la législation suisse. Néanmoins, un appel lancé en 2010 par le parlement pour demander au gouvernement un assouplissement des règles d’exportation du matériel de guerre semble avoir déclenché une certaine activité au niveau politique, note-t-il.

(Traduction de l’anglais: Samuel Jaberg)

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