Les familles des prisonniers de guerre ukrainiens exhortent le CICR à en faire plus
Des familles de prisonniers de guerre en Ukraine étaient présentes jeudi à Genève. Leur but: crier leur désespoir et en appeler à un renforcement de l’action des organisations internationales.
«J’ai vécu l’enfer. C’est une douleur et un désespoir qui ne vous quittent pas et qui vous accompagnent toute la journée», a déclaré la mère d’un soldat ukrainien détenu lors d’une conférence de presse. Celui-ci a été capturé par les forces russes il y a cinq mois, lorsqu’il a quitté l’aciérie Azovstal de Marioupol. Depuis, plus de nouvelles.
La délégation se composait de quatre femmes – deux mères, une épouse et une fille de prisonniers de guerre ukrainiens – qui n’ont pas souhaité être identifiées pour des raisons de sécurité. L’objectif de leur visite à Genève était de rencontrer des responsables du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) et du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), afin de «leur faire part de leurs histoires et de les appeler à l’action», a déclaré Hanna Zamazieva, cheffe du conseil régional de Mykolaïv, qui accompagnait la délégation.
Cette visite a mis en évidence la frustration d’une partie de la population en Ukraine quant à ce que la communauté humanitaire à Genève est capable de faire de manière réaliste concernant le traitement des prisonniers de guerre.
«Nous voulons que les gens comprennent notre douleur et nous voulons aussi qu’ils nous aident et nous assistent dans cette situation», a déclaré l’épouse d’un soldat ukrainien capturé. Depuis sept mois, elle est sans nouvelles de son mari. «Je ne sais pas où il est détenu, je ne sais pas dans quelles conditions il est détenu, je ne connais pas son état de santé. Je suis très inquiète de l’arrivée de l’hiver, du froid, et du fait qu’il n’aura pas accès à des vêtements chauds ni à des chaussures», a-t-elle ajouté.
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Attentes
Les familles ont présenté plusieurs propositions et demandes aux organisations internationales de Genève. Elles insistent notamment sur le transfert des prisonniers de guerre ukrainiens vers un pays tiers, la libération des non-combattants retenus en captivité, la mise en place d’un mécanisme de communication avec les détenus et l’acheminement de fournitures médicales et humanitaires aux soldats emprisonnés.
Hanna Zamazieva exhorte le CICR à rendre visite à tous les prisonniers de guerre ukrainiens, dans les territoires occupés par la Russie ainsi que dans la Fédération de Russie, et veut faire pression sur l’organisation pour qu’elle négocie de toute urgence l’accès à ces prisonniers. Elle souhaite en particulier voir les demandes que le CICR a envoyées aux autorités russes.
«Nous n’avons pas accès aux informations concernant le nombre de demandes qui ont été envoyées et refusées, a expliqué Hanna Zamazieva. C’est donc la première chose que nous souhaiterions savoir. Et dès que nous saurons quelles actions ont déjà été entreprises, nous pourrons réfléchir et travailler sur les prochaines étapes.»
Le CICR a récemment été critiqué par certains officiels ukrainiens, qui ont accusé l’organisation d’«inaction» dans la défense des droits des prisonniers de guerre ukrainiens. Il y a deux semaines, Kiev a envoyé un ultimatum au CICR pour qu’il effectue une mission dans une prison près d’Olenivka, dans l’est du pays occupé par les Russes, où des dizaines de prisonniers ukrainiens sont morts à la suite d’une explosion en juillet.
Réalité
En réponse, le CICR a publié une déclaration expliquant qu’une équipe était prête depuis des mois à contrôler les prisonniers dans la région, mais qu’il ne pouvait pas imposer une visite sans l’autorisation des autorités locales et des garanties de sécurité minimales. Le personnel du CICR n’est pas armé et ne voyage pas avec une sécurité armée. L’organisation a souligné que, malgré «près de huit mois de demandes persistantes», ses équipes ne s’étaient pas vu offrir un accès libre et répété à tous les prisonniers de guerre.
En vertu des Conventions de Genève, les pays ont l’obligation de permettre au CICR d’accéder aux prisonniers de guerre, afin qu’il puisse vérifier les conditions et le traitement des détenus, leur apporter des fournitures essentielles et tenir leurs familles informées. Il incombe également aux États de veiller à ce que les prisonniers de guerre soient traités humainement.
«Nous partageons la frustration de ne pas avoir encore eu accès à tous les prisonniers de guerre. Nous savons que derrière cela se cache l’angoisse des familles qui ne savent pas ce qu’il advient de leurs proches», a écrit le CICR dans un communiqué avant la réunion de jeudi avec la délégation ukrainienne.
Ce n’est pas la première fois depuis le début de la guerre en Ukraine que le CICR est mis sous pression. En mars dernier, des informations erronées et des désinformations sur son action se sont propagées sur Internet et ont poussé l’organisation à expliquer ce qu’elle fait. Des photos du président du CICR de l’époque, Peter Maurer, souriant aux côtés du ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, avaient suscité l’indignation sur les médias sociaux.
Beaucoup de gens ne pouvaient accepter que le CICR continue de parler à la Russie après son agression de l’Ukraine. Mais c’est précisément la neutralité et l’impartialité du CICR qui lui permettent de venir en aide aux victimes de la guerre. Jeudi, le CICR a réitéré son message: «Nous ne cesserons jamais d’exiger l’accès à tous les prisonniers de guerre détenus dans le conflit armé international entre la Russie et l’Ukraine jusqu’à ce que nous puissions les voir à plusieurs reprises, où qu’ils soient détenus».
Traduit de l’anglais par Olivier Pauchard
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