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Les grandes nations entravent la justice internationale

Les durcissements de la loi sur l'asile en Suisse ne sont pas du goût d'Amnesty International. Keystone

Dans son rapport annuel, Amnesty International salue les avancées de la justice internationale dans le monde, mais regrette que les nations les plus puissantes ne montrent pas l’exemple. Par ailleurs, la Suisse est pointée du doigt pour la montée de l’islamophobie.

Un président soudanais en exercice poursuivi par la Cour pénale internationale (CPI), des responsables politiques jugés pour crimes contre l’humanité. Sans conteste, la toute jeune justice internationale marque des avancées incontestables, constate Amnesty International (AI) dans son dernier rapport annuel.

Pour l’organisation de défense des droits humains, 2009 se présente comme une année charnière. «Le mandat d’arrêt lancé contre Omar el Béchir marque un tournant historique dans la justice internationale, relève Manon Schick, porte-parole de la section suisse d’AI. Pour la première fois un président en exercice est inquiété et c’est un signal fort à l’encontre d’autres responsables qui commettent des crimes graves.»

Des jugements historiques

Cette même année, plusieurs enquêtes ont été relancées contre des auteurs de crimes protégés par des lois d’amnistie, et des jugements historiques ont été rendus contre d’anciens dirigeants. Parmi eux, l’ex-président péruvien Alberto Fujimori, condamné pour crimes contre l’humanité et le dernier président de la junte d’Argentine, Reynaldo Bignone, déclaré coupable d’enlèvement et de torture. A l’exception de l’ex-président du Liberia, Charles Taylor, toutes les procédures entamées devant le Tribunal spécial pour la Sierra Leone ont été menées à leur terme, se réjouit encore l’organisation.

Malheureusement, ces belles avancées sont entachées par l’immobilisme de certaines grandes puissances restées dans l’anti-chambre de la Cour Pénale Internationale. Et AI de citer les Etats-Unis, la Chine, la Russie, la Turquie, l’Inde, l’Indonésie et l’Arabie saoudite.

Double langage de l’ONU

«Ces Etats membres du G20 – qui prétendent à ce titre gouverner le monde au niveau économique et politique – se doivent de montrer l’exemple, affirme Manon Chick. Or ils n’ont pas encore adhéré aux statuts de Rome qui instituent la Cour pénale internationale.»

L’organisation internationale exhorte ces Etats à profiter de la Conférence de révision du Statut de Rome qui s’ouvre à Kampala le 31 mai prochain pour s’engager concrètement en faveur de la Cour. Une démarche qui trouverait toute sa mesure alors que le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, a décidé de se faire représenter au Soudan pour l’investiture, qui se tient ce jeudi-même, de Omar al Bechir, suite à sa réélection controversée en avril dernier.

«Ce double langage est dramatique, remarque Manon Schick. L’ONU est impliquée dans les décisions de la CPI, et à ce titre elle ne peut pas se dédire du mandat d’arrêt lancé contre Omar el Bechir. Or au lieu de se distancier du personnage, elle continue de le fréquenter comme personna grata.»

De fortes protections

La porte-parole déplore également la politique de «deux poids-deux mesures» qui persiste dans la justice internationale. «Il n’est pas acceptable que cette justice se penche principalement sur les pays d’Afrique qui bénéficient souvent de peu de soutien diplomatique», remarque-t-elle.

Et de rappeler l’exemple du Sri Lanka, protégé par la Chine et l’Inde, et qui a échappé l’année passée à une ferme résolution du Conseil des droits de l’homme. Ceci même alors que des crimes de guerre se déroulaient sur le terrain, durant l’offensive finale contre les Tigres tamouls.

« Il n’est pas juste que les pays qui bénéficient de protections fortes ne soient pas poursuivis. Mais ne pas poursuivre Omar el Bachir serait aussi préjudiciable pour la justice internationale qui en est à ses balbutiements», précise-t-elle.

Islamophobie de la Suisse

En ce qui concerne la Suisse, l’organisation internationale dénonce la campagne de 2009 sur l’initiative anti-minarets et la montée du climat xénophobe et islamophobe. «La Suisse est mal équipée pour y répondre, constate Manon Schick. Elle n’a pas de loi contre les discriminations, et l’article du code pénal contre le racisme est insuffisant.»

Pour la porte-parole, le phénomène est d’autant plus grave que l’initiative a créé un problème là où il n’en existait pas: «Cela a stigmatisé la population musulmane, faisant croire que toute la Suisse est envahie par des intégristes qui veulent imposer la burqa ou la sharia. La construction des minarets n’a jamais été source de conflits en Suisse. On a créé un problème alors que les choses se réglaient harmonieusement et dans le dialogue au niveau des communes ou des écoles.»

L’organisation relève aussi l’absence d’une institution nationale des droits de l’homme qui permettrait de veiller à la mise en œuvre au niveau des cantons et de la Confédération des recommandations des organes de l’ONU. Des inquiétudes qui ont aussi été relevées par plusieurs comités européens ou de l’ONU – la Suisse vient d’être épinglée ce mois par le Comité contre la torture – qui demandent la présence d’observateurs indépendants dans les vols spéciaux chargés d’effectuer les renvois forcés.

Carole Vann, InfoSud / swissinfo.ch

Rendre compte. Dans son rapport, Amesty International constate que ni Israël ni le Hamas n’ont encore donné suite aux conclusions du rapport Goldstone, présenté au Conseil des droits de l’homme, demandant que les auteurs des atteintes aux droits humains commises lors du conflit à Gaza soient amenés à rendre compte de leurs actes.

Funeste répression. La faille de la justice a rendu possible dans le monde entier une funeste répression, relève encore l’organisation. Amnesty International a recensé des cas de torture ou d’autres mauvais traitements dans 111 pays, des procès inéquitables dans 55 pays, des restrictions à la liberté d’expression dans 96 pays et la présence de prisonniers d’opinion dans 48 pays; de telles violations se produisent peut-être dans un plus grand nombre d’États encore.

Inacceptable. Amnesty International a aussi fait part de son indignation suite à la révision de la Loi sur l’asile telle que présentée mercredi par la conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf. Des durcissements inacceptables sont proposés, comme le refus de l’asile aux déserteurs (hommes et femmes), la suppression de la demande d’asile dans les ambassades suisses ou la réduction du délai de recours à 15 jours.

Satisfecit. Amnesty International se réjouit de la suppression de la procédure de non-entrée en matière, qu’elle avait toujours dénoncée comme contraire à la Convention sur les réfugiés.

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