Les jeunes ne tournent pas (tous) le dos à la politique
Malgré un désintérêt marqué pour les scrutins populaires, la jeune génération ne manque pas d’imagination lorsqu’il s’agit de s’engager pour une cause politique. Reste que les nouvelles formes de mobilisation, facilitées par Internet, sont très souvent vouées à une existence éphémère.
Lors des élections législatives du 23 octobre dernier, 32% des jeunes Suissesses et Suisses âgés de 18 à 24 ans se sont prononcés sur le renouvellement de leur Parlement. A l’autre extrémité de la pyramide des âges, les plus de 75 ans se sont mobilisés à 70%. Un grand écart générationnel qui est également observé lors de la plupart des votations fédérales.
Le phénomène n’est pourtant pas nouveau et il a même plutôt tendance à s’atténuer ces dernières années. Alors que certains politiciens n’hésitent pas à parler de «gérontocratie» pour qualifier le modèle de démocratie participative suisse, une récente étude tord le cou à l’idée selon laquelle la jeune génération se désintéresserait de plus en plus de la chose publique.
«On ne peut pas réduire la participation politique uniquement aux votations et aux élections. Toute une série de nouvelles formes de participation non institutionnelles sont apparues ces dernières années, favorisées par l’émergence d’Internet et des réseaux sociaux», affirme Martina Rothenbühler, du Centre de compétences suisses en sciences sociales (FORS) et auteure de la toute première enquête sur la classe d’âge 18-24 ans.
Faux mariage
La mobilisation intelligente ou «smartmob» est un exemple marquant de ces nouvelles formes d’engagement politique. Convoquée via Internet ou SMS, elle rassemble des personnes qui ne se connaissent pas pour mener une action commune, rapide et spectaculaire.
Les initiatives sur l’interdiction des armes militaires à la maison et sur l’exportation de matériel de guerre ont donné lieu à de telles actions. Dans certaines grandes villes du pays, on a ainsi pu voir des groupes de personnes mimant l’actionnement de la détente d’une arme à feu puis se laisser tomber. Après être restés quelques minutes à terre, les militants se sont ensuite dispersés rapidement.
Etudiant en géologie à l’université de Fribourg, Piero Schmid (22 ans) est familier de ce type d’actions. A l’appel de l’association SOS Racisme, il s’est par exemple prêté à un faux mariage dans la rue pour dénoncer l’interdiction faite aux étrangers sans permis de séjour de s’unir à des citoyens suisses. «Les moyens de communication ont bouleversé la façon de penser et de faire de la politique. Ces actions où se mélangent art, ironie et valeurs politiques sont en pleine expansion», affirme ce Tessinois sans affiliation partisane, mais dont les idées sont résolument ancrées à gauche.
Pragmatisme
Collaborateur au Conseil suisse des activités de jeunesse (CSAJ), Micha Küchler observe: «Les jeunes s’engagent de manière dynamique et ponctuelle. Ils savent se mobiliser activement sur un sujet mais dès que l’événement ne fait plus l’actualité, la démobilisation est tout aussi soudaine. Je pense par exemple aux manifestations qui ont suivi la catastrophe nucléaire de Fukushima. Cette nouvelle réalité correspond à un monde plus fragmenté où les informations se succèdent à un rythme effréné».
Mis à part pour une poignée de militants et partisans dits traditionnels ou conventionnels, l’engagement sur le long-terme tend ainsi à décliner. «J’en suis l’exemple même, avoue sans peine Piero Schmid. Je n’ai ni le temps ni l’envie d’être constamment actif». Si Micha Küchler juge positif que les jeunes adultes soient aujourd’hui capables de prendre leurs distances vis-à-vis des institutions et des réponses toutes faites, il souligne toutefois que sans «ancrage institutionnel, il est difficile de mener à bien des changements durables».
Martina Rothenbühler relève que «les jeunes votants se mobilisent lorsqu’ils se sentent directement concernés ou que leurs proches le sont. Ce fut notamment le cas lors des votations sur l’expulsion des criminels étrangers ou l’interdiction des armes militaires à la maison».
Education politique insuffisante
En de nombreuses occasions cependant, et comme l’illustrent les faibles taux de participation aux différentes votations ou élections, les sujets complexes et souvent techniques font office de repoussoir pour les électeurs en herbe. «Par principe, je me rends toujours aux urnes même si j’ai parfois de la peine à comprendre tous les enjeux, affirme Piero Schmid. Les politiciens sont confus et se contredisent souvent. Par ailleurs, l’éducation politique est nettement insuffisante en Suisse».
Micha Küchler juge indispensable de renforcer les cours d’éducation civique dans les écoles, souvent sacrifiés sur l’autel des économies budgétaires, et de cibler davantage les adolescents en provenance de milieux défavorisés ou culturellement plus éloignés. L’étude du FORS pointe d’ailleurs du doigt le gouffre profond qui se creuse entre les jeunes disposant d’un haut niveau de formation et les autres en matière de participation politique, alors que la différence entre hommes et femmes n’est désormais plus déterminante.
Mais le représentant du CSAJ a cependant le sentiment que «les adultes sont parfois tout aussi dépassés» sur certains sujets, notamment en matière de politique économique. Selon lui, «les jeunes pensent qu’ils doivent tout comprendre avant de se positionner sur une thématique, alors qu’ils sont en réalité rapidement aussi bien informés que leurs aînés».
De l’utilité du vote électronique
Puisque la barrière entre monde réel et monde virtuel n’est plus vraiment pertinente, Martina Rothenbühler estime que le vote électronique peut contribuer au renforcement de l’engagement politique des jeunes adultes: «A Genève, on a pu démontrer que les jeunes participent davantage et ne sont plus sous-représentés dans les résultats lorsqu’ils ont la possibilité de voter en ligne».
Si Micha Küchler n’est pas convaincu par l’argument selon lequel le vote électronique drainera à l’avenir des cohortes de jeunes aux urnes, Piero Schmid s’y oppose carrément: «Voter est un acte qui réclame du temps et de l’engagement. Il ne s’agit pas simplement de cliquer ‘j’aime’ sur un statut Facebook. De plus, les risques de manipulation et de propagande sont importants sur la toile.»
Point de vue partagé par plusieurs jeunes élus. Quant au Parti pirate nouvellement créé il n’hésite pas à parler de risque de «dictature numérique». Un débat loin d’être clos, qui démontre s’il le fallait que la génération 2.0 sait aussi se montrer critique face à son environnement numérique et sa façon de concevoir la politique.
Les enquêtes Selects réalisées à la suite des élections fédérales démontrent que la participation des électeurs âgés de 18-24 ans est en hausse depuis le début des années 90. «Jusqu’à cette époque, la politique était très ritualisée en Suisse. Le système était très stable et il n’y avait pas débat autour de la composition du gouvernement. La polarisation croissante a changé la donne et a eu un effet de mobilisation chez les jeunes», affirme le politologue Georg Lutz.
Reste que même si l’écart se réduit, il reste important. «Plus on vieillit, plus on vote», résume Georg Lutz. «Les personnes âgées votent par habitude et par devoir. Les jeunes, au contraire, se rendent aux urnes uniquement lorsqu’ils se sentent concernés par des enjeux concrets.» La multitude des scrutins, que ce soit au niveau fédéral, cantonal ou communal, ne facilite pas non plus la mobilisation des jeunes électeurs, souligne le politologue.
En collaboration avec le secrétariat d’Etat à l’éducation et à la recherche, le Centre de compétences suisses en sciences sociales (FORS) de Lausanne a interrogé 1360 Suissesses et Suisses âgés de 18 à 25 ans pour mieux cerner leurs manières de participer à la vie politique.
D’après les conclusions de l’étude, les jeunes privilégient les formes de participation occasionnelles, informelles, individuelles et ne s’engageant qu’à court terme.
Les mobilisations dites «intelligentes», les boycotts de produits, les collectes de signatures pour des pétitions en ligne et les adhésions à des groupes Facebook d’ordre politique jouent ainsi un rôle de plus en plus important.
Les auteurs estiment que ces nouvelles formes de participation politique, pas encore pleinement reconnues, représentent de nouvelles voies d’accès à la politique pour les jeunes adultes.
Ils considèrent également que la possibilité de participer en ligne à des votations ou à des élections pourra contribuer dans une mesure importante au renforcement de la participation politique des jeunes adultes.
Enfin, les chercheurs relèvent que l’intérêt pour la politique dépend fortement du niveau de formation et que les jeunes ont tendance à trouver la formulation des objets de votation trop complexes.
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