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Les médecins laissent éclater leur colère

Keystone

Mots d'ordre de grève pour le 1e avril, appel à la démission: les médecins suisses sont insatisfaits de leurs conditions de travail et de leur ministre de tutelle. Les explications de Jacques de Haller, président de la Fédération des médecins suisses.

Ces derniers jours, Jacques de Haller multiplie les attaques contre Pascal Couchepin, un ministre de la Santé qui serait arrogant, autoritaire et inapte à gérer le système de santé.

Le président de la Fédération des médecins suisses (FMH) justifie la virulence de ces propos.

swissinfo: Vos critiques virulentes de Pascal Couchepin portent essentiellement sur sa réforme des tarifs des analyses de laboratoire?

Jacques de Haller: La question des laboratoires est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase chez les membres de la FMH. Il y a trois ans, cette question était déjà au centre de notre manifestation (12’000 médecins) devant le siège du gouvernement. Revenir là-dessus, comme l’a fait Pascal Couchepin, est une provocation qui n’a pas manqué d’énerver les membres de la FMH.

Mais le problème est plus large. Il touche à la communication du ministère en charge de la santé et à sa manière de dialoguer avec les médecins. Cette décision concernant les laboratoires s’est fait au mépris complet des éléments à disposition, que ce soit les études, les données statistiques ou nos propres propositions. Tout a été ignoré. Ce n’est pas ainsi qu’on va construire un système de santé durable.

swissinfo: Pascal Couchepin ne vous écoute pas?

J. de H. : Nous ressentons un manque de respect qui n’est plus acceptable. N’importe quel groupe professionnel est en droit d’attendre du gouvernement un tel respect. Nous ne prétendons pas ainsi vouloir décider, une prérogative qui revient au monde politique. Mais l’ensemble des partenaires de discussion doit être pris en compte.

swissinfo: Pascal Couchepin estime qu’en décidant de se mettre en grève et en boycottant la table ronde prévue sur la médecine de proximité, les médecins refusent eux-mêmes le dialogue.

J. de H. : Considérer que notre dénonciation du manque de dialogue est une fermeture du dialogue est complètement absurde. Si les généralistes et les sociétés médicale du canton de Genève et de Vaud ont décidé de mener des actions spectaculaires (fermeture de cabinet, manifestations), c’est justement par manque de dialogue.

Nous avons été et nous sommes toujours prêts au dialogue.

swissinfo: Depuis la grande manifestation à Berne il y a trois ans, rien n’a bougé?

J. de H. : Des quantités de dossiers ont avancé dans le domaine de la santé, qu’ils concernent ou non les médecins. Mais depuis près d’une année, l’attitude du département de Pascal Couchepin s’est à tel point rigidifiée que les discussions ne peuvent plus être menées correctement, que ce soit pour les laboratoires ou pour d’autres questions.

swissinfo: Le point de vue des caisses maladies est-il trop privilégié par le ministère?

J. de H. : Non. Nous avons des difficultés avec les caisses. Mais elles sont dans leur rôle, comme partenaire du système de santé. Avec Pascal Couchepin, le problème n’est pas personnel. Il résulte de l’ambiance de dialogue et de la culture de communication de son ministère. C’est cela qui doit changer.

swissinfo: A coté des actions déjà décidées, comment comptez-vous vous faire entendre?

J. de H. : La FMH, qui représente 97% du corps médical, soit 35’000 médecins est en train de plancher sur une série de mesures politiques au niveau du parlement et des autres instruments démocratiques à disposition. Pour cela, nous allons prendre le temps de la réflexion (quelques semaines), afin d’élaborer des propositions adéquates qui soient soutenues par l’ensemble de la profession.

swissinfo: D’une manière générale, c’est bien le niveau de vie des médecins indépendants qui est de plus en plus critiques?

J. de H. : La situation n’est pas encore dramatique. Mais les salaires nominaux n’ont pas bougé depuis 20 ans. Le revenu réel est donc en chute constante. C’est le symptôme d’une profession qui a perdu son statut d’antan. Nous pouvons vivre avec ça et pratiquer une bonne médecine. Mais cette évolution impose une importante adaptation de la profession, un adaptation qui est d’ailleurs en cours.

Les tarifs des laboratoires n’est qu’une partie d’un problème global: le manque de médecins généralistes et de personnel soignant. En d’autres termes, il devient difficile d’assurer la relève. Une réalité que le moratoire (jusqu’à la fin 2009)sur l’ouverture des cabinets n’améliore pas.

De fait, on ne peut plus attendre aujourd’hui des médecins qu’ils acceptent ce qui était normal il y a 50 ans: travailler 80 heures par semaine, le week-end et le soir. Comme tout le monde, les médecins ont besoin d’une vie familiale, sociale et culturelle. Or dans les conditions actuelles, il devient difficile de convaincre des médecins de s’installer en périphérie, des régions qui connaissent déjà un manque important de médecins.

Au niveau des conditions de vie, que ce soit l’organisation des gardes, des cabinets de groupe, le temps de travail, beaucoup reste à faire, notamment par les autorités publiques cantonales et communales.

Il y a deux semaines, une étude a montré que dans le canton de Fribourg, la moitié des médecins généralistes a plus de 55 ans. Dans 10-15 ans, ils seront à la retraite, alors qu’aucune relève n’est assurée. Seuls 2 ou 3 cabinets s’ouvrent dans ce canton chaque année.

Il faut donc empoigner ce problème aujourd’hui, puisqu’il faut 15 ans pour former un médecin.

swissinfo: Ce problème touche aussi les autres pays européens?

J de H. : Il les concerne de façon tout aussi aiguë. Mais en Suisse, comme dans le reste de l’Europe, nous avons les moyens d’acheter des médecins et des infirmières dans les pays en développement.

Ce qui pose de très gros problèmes sur le plan éthique. Ces pays du Sud qui financent la formation du personnel soignant – au Nord, comme au Sud, il faut plusieurs centaines de milliers de francs pour former un médecin – se voient ensuite privés de ces médecins ou infirmières qui s’installent en Europe ou aux Etats-Unis.

Interview swissinfo: Frédéric Burnand à Genève

Fermeture. Les cabinets des médecins resteront fermés le 1er avril.

Marches. Ce jour là, la Société suisse de médecine générale (SSMG) propose à ses sections cantonales d’organiser une marche de protestation.

Officiel. Depuis 2006, le 1er avril est la Journée suisse des médecins de famille.

Genève et Vaud. De son coté, l’Association des médecins du canton de Genève (AMG) a décidé de faire grève le mardi 24 mars déjà. Les médecins vaudois ont décidé jeudi soir de se mettre aussi en grève le 24 mars.

Non! Les médecins s’opposent à la baisse des tarifs des analyses de laboratoire imposée par le ministère en charge de la santé.

Economie. Fin janvier, Pascal Couchepin a annoncé sa décision de revoir dès juillet 2009 la structure tarifaire des laboratoires. L’objectif est d’économiser à terme 200 millions de francs par an.

Rapidement. Les médecins estiment qu’ils seront forcés d’abandonner leur laboratoire pour cause de coûts trop élevés. Ils ne pourront dès lors plus effectuer les examens sur place. La qualité et l’efficacité des soins de premier recours en pâtiront, car certaines maladies doivent être diagnostiquées rapidement, selon les médecins.

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