Les migrants européens, «parasites» du système social?
La libre circulation n’a pas seulement apporté en Suisse de la main-d’œuvre étrangère, mais aussi un nombre croissant de chômeurs, dénonce l’UDC. Si la droite conservatrice parle d’un «tourisme social», les autorités se veulent rassurantes et insistent sur l’impact positif de la migration sur le système social.
«La libre circulation des personnes était conçue pour permettre aux citoyens européens de venir travailler en Suisse. Mais aujourd’hui, il y a un nombre croissant de personnes qui, face à la crise, arrivent dans notre pays sans contrat de travail ou qui y restent même après avoir perdu leur emploi. Et cela aux frais de l’Etat social», observe le député Guy Parmelin, de l’Union démocratique du centre (UDC).
Ce que l’on appelle le «tourisme social» est l’un des thèmes sensibles de la campagne de l’UDC en faveur de son initiative «Contre l’immigration de masse», soumise au vote le 9 février. Ce phénomène provoque également un débat politique en Grande-Bretagne et en Allemagne, bien que ce soit sous une forme un peu différente.
En 2013, la Suisse a enregistré un taux de chômage moyen de 3,2%, contre 2,9% l’année précédente.
Suisses: 2,2% (+ 0,1)
Etrangers: 6% (+ 0,5)
Parmi les étrangers en provenance de l’UE, le taux de chômage était en moyenne de 5,2%, en augmentation de 0,7% par rapport à l’année précédente.
Portugais: 7,5% (+ 0,9)
Français: 6,1% (+ 0,6)
Espagnols: 5,8% (+ 1,2)
Italiens: 4,7% (+ 0,4)
Allemands: 3,6% (+ 0,4)
Source: Secrétariat d’Etat à l’économie
Le «tourisme social» n’existe pas
Examinons la situation suisse sur la base des chiffres. Depuis l’entrée en vigueur des accords bilatéraux, en 2002, la Suisse a accueilli plus de 700’000 étrangers supplémentaires sur son territoire, dont environ 60% en provenance de l’Union européenne. Outre le nombre de travailleurs, celui des chômeurs et des assistés européens augmente aussi.
Mais cette augmentation est-elle synonyme d’abus? Pour ceux qui travaillent dans ce domaine, ce terme est hors de propos. «Nous n’avons pas remarqué de véritable phénomène de tourisme social. La majeure partie des travailleurs européens disposent déjà d’un contrat de travail lorsqu’ils arrivent en Suisse», affirme Marcel Suter, président de l’Association des services cantonaux de migration (ASM).
Cet avis est partagé par Michel Cornut, directeur du Service social de Lausanne, l’une des villes les plus touchées par la migration et la pauvreté. «Les cas d’abus manifestes, par exemple des gens qui font venir toute leur famille et finissent à l’assistance, existent mais sont marginaux. Mais il est clair que l’augmentation de la présence de travailleurs étrangers a pour corollaire le fait que certains peuvent se retrouver en difficulté, notamment parce qu’ils occupent les postes les plus précaires. Ils demandent alors de l’aide.»
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Qui est bénéficiaire?
Nul besoin de se transformer en escroc pour faire appel à l’aide sociale. Les accords bilatéraux sont clairs. Un Français qui arrive en Suisse avec un contrat de travail d’une durée indéterminée a droit à un permis de séjour de cinq ans renouvelable. S’il perd son emploi, il peut avoir recours à l’assurance-chômage (s’il prouve qu’il a travaillé au moins douze mois au cours des deux années précédentes) et, en cas de besoin, à l’aide sociale.
Mais pour Guy Parmelin, ceux qui ne travaillent plus devraient assez rapidement rentrer dans leur pays, au lieu de «peser sur l’Etat social». «Mais ils n’ont souvent pas intérêt à le faire», juge le député.
En 2012, il y avait un peu plus de 35’000 ressortissants des 27 pays de l’UE à l’assistance, soit 3,1% des Européens présents en Suisse. L’indigence n’est cependant pas une raison suffisante pour résilier un permis de séjour, explique Marcel Suter, même si elle peut compromettre son renouvellement.
La situation est en revanche différente pour celui qui passe la frontière à la recherche de travail. Dans ce cas, le permis de séjour a une validité maximale de six mois et la loi ne prévoit pas de droit à l’assurance sociale, contrairement à ce qui est la règle au sein de l’UE. Certaines communes prévoient cependant une forme d’aide pour ceux qui sont le plus dans le besoin, une pratique qui est contestée par plusieurs partis et que le gouvernement a tout récemment annoncé vouloir combattre par l’introduction d’une loi ad hoc.
Selon un rapport de l’Office fédéral des assurances sociales, de 2001 à 2010, la contribution des citoyens européens à l’AVS – le premier pilier du système suisse des retraites – est passée de 18,5 à 22% et celle des Suisses de 75,2 à 72,8%.
En 2012, les citoyens européens ont bénéficié de seulement 15% des prestations du premier pilier.
A l’heure actuelle, toutefois, les autorités fédérales jugent «impossible de faire un pronostic fiable et précis» par rapport aux effets de l’immigration sur les coûts futurs des rentes.
Source: Office fédéral des assurances sociales
Contrats fictifs
Mais il y a un bémol sur lequel s’appuie l’UDC: ce que l’on appelle les cas de totalisation. Théoriquement, explique le Secrétariat d’Etat à l’économie, un citoyen européen pourrait n’avoir travaillé qu’un seul jour en Suisse et toucher l’assurance-chômage, pour autant qu’il ait contribué pendant au moins un an à l’assurance-chômage d’un pays de l’UE.
«Ces cas sont tous à la charge de la Confédération et le bilan pour les assurances sociales est donc clairement négatif», dénonce Guy Parmelin, pour qui le soupçon de contrats fictifs est justifié.
Toutefois, selon les chiffres du Secrétariat d’Etat à l’économie, seulement 1800 personnes ont profité de cette possibilité en 2013, soit 2,5% des 73’318 nouveaux arrivés. Les cas sont en augmentation, mais restent sous contrôle. La Confédération a notamment augmenté le nombre de contrôles et la collaboration entre les différents offices afin de découvrir d’éventuels contrats fictifs et abus dans les assurances sociales.
En 2012, 250’333 personnes ont bénéficié des prestations de l’aide sociale, soit 3,1% de la population résidente en Suisse.
Les personnes de nationalité étrangère sont davantage confrontées au risque de précarité, car elles ont souvent un niveau de formation plus bas, une famille plus nombreuse et un emploi plus précaire.
Selon l’Office fédéral de la statistique, 6,3% des étrangers et 2,6% des Suisses bénéficiaient de l’assistance sociale.
Source: Statistique suisse de l’aide sociale 2012 – Office fédéral de la statistique
Quel impact?
Le Secrétariat d’Etat à l’économie se veut donc rassurant. L’augmentation du chômage reste dans la norme et l’impact global de la migration sur les assurances sociales est positif. «L’immigration européenne a permis de ralentir le vieillissement de la population et donc d’atténuer le problème du financement des assurances sociales», écrit sa porte-parole Isabel Herkommer. Sans la migration, le premier pilier du système des retraites, l’AVS, serait déficitaire depuis 1992.
En ce qui concerne l’assurance-chômage, poursuit-elle, on note un «équilibre substantiel» entre les cotisations versées et les rentes perçues.
N’y a-t-il dès lors aucune raison de se préoccuper? Pas exactement, souligne Michel Cornut. «Chaque augmentation du nombre de personnes à l’assistance sociale, qu’elles soient suisses ou étrangères, est préoccupante. Selon le gouvernement, la libre circulation a apporté plus d’avantages que de désavantages. Mais il y a aussi des effets collatéraux, comme l’augmentation nette de la pauvreté; il ne faut pas le nier.»
Sceptique, Guy Parmelin estime que ces chiffres ne reflètent pas la réalité et qu’ils ne prennent pas en compte le scénario d’une possible récession en Suisse. «Nous sommes face à une bombe à retardement, dit-il. D’ici 30 ou 40 ans, les migrants européens qui contribuent à financer nos retraites auront droit à une rente. Qui va payer? En réalité, la migration ne fait que retarder les mesures nécessaires pour faire face au vieillissement de la population.»
Pour l’heure, la Suisse semble donc être le pays qui a le plus profité de la libre circulation des personnes. C’est tout du moins ce qu’affirme une étude de l’Organisation pour la coopération et le développement économique en Europe (OCDE) citée par le journal dominical NZZ am Sonntag. Si l’on met en balance les coûts générés par les immigrés (administration, infrastructures, assurances sociales) avec les gains (impôts), le bénéfice net serait de 6,5 milliards de francs. La bataille des chiffres, en somme, n’est pas encore terminée.
(Traduction de l’italien: Olivier Pauchard)
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