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Les Philippines, terre des groupes armés

L'un des villageois armés de Reina Regente. Clémentine Mercier

Un homme d’affaires d’origine suisse a été enlevé ce week-end dans le sud des Philippines, sur l’île de Mindanao. Reportage dans cette île où les mouvements armés - musulmans, chrétiens, maoïstes - prolifèrent.

La police soupçonne Abu Sayyaf, le groupe islamiste le plus connu du pays, d’être derrière l’enlèvement de l’homme d’affaires suisse. Mais dans cette région, le groupe islamiste, lié à Al Qaida, n’est pas le seul mouvement armé en activité.

On y croise en effet des milices chrétiennes, des armées privées, une guérilla maoïste et une rébellion musulmane qui en font la région la plus dangereuse du pays.

A l’approche des élections présidentielles et législatives, le 10 mai prochain, le gouvernement tente d’y mettre de l’ordre, mais peine perdue…

Couvre-feu

«Bienvenue à Cotabato, la capitale mondiale des enlèvements!», rigole Ralph, notre chauffeur. Interdiction de sortir de la ville dès la tombée de la nuit. Même les policiers ne s’aventurent pas dans les rues.

«C’est trop dangereux de patrouiller de nuit: il y a un couvre-feu dans la région, le gouvernement fait couper l’électricité, on se fait régulièrement attaquer», explique le Colonel Lineses, chef de la police dans la province.

Sur son bureau: le rapport sur le dernier enlèvement en date, celui d’un journaliste pakistanais survenu deux jours plus tôt. «Un crime crapuleux: ses assaillants demandaient une rançon de 6 millions de pesos [soit 150’000 CHF]. L’otage a réussi à s’enfuir mais il a tout perdu: son matériel photo et les 800 dollars qu’il avait sur lui», précise le colonel.

La région qu’il contrôle est l’une des plus dangereuses du pays. A seulement six kilomètres de son commissariat a eu lieu le plus grand massacre de l’histoire des Philippines. Pour nous y rendre, l’armée nous a fourni une escorte: 12 hommes armés de M-16, le fusil d’assaut américain. «Ne vous en faites pas, avec nous, rien ne peut vous arriver!», hurle le lieutenant Humiwat qui tente de couvrir le bruit de la jeep lancée sur les chemins de terre.

Nous sommes au cœur de collines verdoyantes, un endroit en apparence paisible. C’est pourtant ici que le 23 novembre dernier, 57 personnes ont trouvé la mort. «Dans cette fosse, il y avait 6 corps, et dans la plus grande, là, 22, nous montre le lieutenant. Ils n’ont pas hésité à tuer des femmes, certains des corps étaient méconnaissables tellement leurs visages étaient criblés de balles.»

Les raisons de ce massacre? Un sombre règlement de comptes politiques (lire l’encadré «Le massacre du 23 novembre»).

Des seigneurs de guerre tout puissants

Dans cette région, plusieurs grandes familles – rivales – tiennent les postes-clés de l’administration. Ces clans se maintiennent au pouvoir en terrorisant la population grâce à leurs armées privées qui peuvent compter jusqu’à 2000 hommes. A l’origine, ces milices ont été créées par l’armée pour servir de soutien paramilitaire contre les groupes islamistes et maoïstes qui tiennent une partie de l’île.

Mais après le massacre d’Ampatuan, le gouvernement a dû réagir: il a ordonné le démantèlement des 112 armées privées que compte officiellement le pays. Manille a promulgué un décret rendant inéligible tout candidat qui entretiendrait une armée privée. Mais à 600 kilomètres de la capitale, à Mindanao, rares sont ceux qui ont l’intention d’obéir. La plupart des politiciens locaux se sont contentés de demander à leurs hommes de se faire discrets.

Pour rencontrer l’une de ses milices, nous nous adressons à «Bapa», le grand père, comme tout le monde le surnomme dans la région. Officiellement, il travaille pour une ONG qui milite pour la paix et la démilitarisation, mais le plus souvent, il sert d’intermédiaire et de négociateur entre le gouvernement, l’armée et les milices.

«On prend ma voiture, tout le monde la connaît, au moins vous êtes sûrs qu’ils ne nous prennent pas comme cible», précise Bapa. Après une heure de route, il faut changer de moyen de transport et prendre… une pirogue. Quand nous accostons, on se croirait dans un western de Sergio Leone: une vingtaines d’hommes en armes sortent les uns après les autres de derrière les arbres. Fusils d’assaut dans les mains, ils nous attendaient.

L’engrenage

Ces anciens paysans ont été forcés de prendre les armes pour défendre leurs terres et leurs récoltes. Le hameau de Reina Regente se situe à la frontière entre les territoires catholiques et musulmans.

Ici, la guerre est née de la rivalité politique entre les deux chefs de clan, mais aussi des vendettas incessantes entre guérilla musulmane et groupes d’auto-défense catholiques. «Oui, le gouvernement veut qu’on dépose les armes, mais on ne peut pas, répond Yun, le plus âgé parmi les miliciens. Qui me garantit que les autres vont déposer les armes? Si on démobilise et les autres pas, ils vont en profiter pour nous éliminer!»

A quelques mètres d’eux, comme pour confirmer leurs dires, des habitations en ruines: les restes du premier village où habitaient Yun et ses hommes. «Ceux d’en face nous ont attaqués, ils ont brûlé nos maisons! On a été obligés de tout reconstruire plus loin.»

Les autorités estiment qu’il y a deux millions d’armes légères illégales en circulation dans le pays. A Reina Regente comme partout à travers le pays, les premiers à souffrir de cette militarisation extrême sont les civils.

Ironie du sort, depuis que Manille a décidé de mettre fin aux armées privées, certains hommes politique ont mis leurs troupes au chômage technique. Impayées, celles-ci rackettent les villageois et se sont lancées dans le moyen le plus rapide pour gagner de l’argent: les enlèvements.

Clémentine Mercier, Mindanao, swissinfo.ch

Située dans le sud des Philippines, Mindanao, est la deuxième île de l’archipel, avec une superficie d’environ 95’000 km2 et une population de plus de 20 millions d’habitants.

Elle abrite une forte minorité musulmane traditionnellement en rébellion contre le gouvernement.

Suisse. Un homme d’affaires d’origine suisse âgé de 70 ans, a été enlevé dimanche à son domicile dans le sud des Philippines par huit ravisseurs déguisés en policiers et soldats.

Zamboanga City. L’enlèvement à eu lieu à Zamboanga City, l’une des plus grandes villes des Philippines. Elle se trouve sur l’île de Mindanao.

Passé récent. L’an dernier, des rebelles avaient enlevé trois collaborateurs du CICR, dont le Suisse Andreas Notter, sur l’île de Jolo, au sud-ouest de Mindanao. Deux d’entre eux ont été libérés en avril, le troisième en juillet.

Maire. Andal Ampatuan Junior, le maire de la petite ville de Datu Unsay sur l’île de Mindanao, voulait se débarrasser de son rival politique. L’homme, qui appartient au clan le plus puissant des Philippines, allié de la présidente actuelle Gloria Arroyo, possède une armée privée à son service.

Menaces. Se croyant au-dessus des loi, l’an dernier, il avertit son adversaire politique qu’il l’éliminera s’il décide de se présenter contre lui.

Exécutions. Malgré les menaces, le 23 novembre 2009 ce dernier envoie une partie de sa famille et des sympathisants pour déposer sa candidature. Le convoi, suivi par une trentaine de journalistes, est détourné par un groupe de cent hommes armés qui les conduisent dans les collines. Là, les membres du convoi sont abattus un à un.

Massacre. 57 personnes sont assassinées, dont 32 journalistes, la femme, la sœur et la fille du candidat de l’opposition. Les assassins tentent de camoufler leur crime: ils commencent à enterrer les corps et les véhicules qui composaient le convoi dans des fosses communes. L’armée, alertée, survient. Les miliciens prennent la fuite.

Inculpations. Depuis, six membres du clan Ampatuan ont été arrêtés. Ils sont en attente de leur jugement. Au total, 197 personnes sont inculpées de meurtre dans cette affaire. La plupart des hommes de main courent toujours.

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