Les Suisses enterrent le salaire minimum
Contrairement à la majorité des pays européens, la Suisse refuse de se doter d'un salaire minimum légal au niveau national. La proposition, soumise par la gauche et les syndicats, a été balayée à plus de 76% des voix dimanche en votation populaire.
En matière de salaire minimum, la Suisse reste une exception en Europe: l’initiative intitulée « Pour la protection de salaires équitables (Initiative sur le salaire minimum) » a subi dimanche un cuisant désaveu dans les urnes. Seuls 23,7% des votants ont accepté ce texte qui prévoyait un revenu minimum légal de 22 francs de l’heure, ce qui équivaut grosso modo à une rémunération mensuelle de 4000 francs pour un temps plein de 42 heures par semaine (environ 3300 euros).
A l’heure actuelle, 21 des 28 pays de l’UE prévoient des salaires minimums fixés par la loi. Pour les quelques pays qui n’ont pas encore de salaire minimum interprofessionnel légal, comme l’Allemagne, l’Italie ou les pays scandinaves, des conventions collectives de travail (CCT) couvrent la majorité des emplois. Elles contiennent aussi des dispositions précises en termes de salaires. En Suisse, environ la moitié des salariés ne sont pas couverts par une telle CCT.
Le fossé qui se manifeste régulièrement lors des scrutins populaires à propos de thèmes économiques et sociaux entre Suisse latine et germanophone n’a pas été observé cette fois-ci: tous les cantons sans exception, même ceux du Jura et de Neuchâtel, qui avaient voté ces dernières années en faveur d’un salaire minimum sur le plan cantonal, ont rejeté la proposition à plus de 60% des voix. Le spectre d’un «SMIC suisse» brandi par les opposants a certainement joué un rôle important en Suisse romande, une région en plein essor économique qui entend se démarquer des difficultés que connaît son voisin français.
PLACEHOLDERRéduire la pauvreté
Durant la campagne qui a précédé le vote, on a assisté à une opposition classique entre les syndicats et la gauche d’un côté, le patronat et les partis bourgeois de l’autre. L’objectif des promoteurs du salaire minimum légal était de réduire la pauvreté et de lutter contre la sous-enchère salariale et les disparités salariales entre hommes et femmes.
Selon ses partisans, un salaire minimum de 4000 francs par mois aurait permis aux 330’000 personnes touchant actuellement une rémunération inférieure de vivre dignement de leur travail. Etant donné que les deux tiers des personnes qui touchent des bas salaires en Suisse sont des femmes, cette mesure aurait permis de réduire les inégalités salariales entre sexes. Par ailleurs, le salaire minimum aurait mis fin à la pression sur les salaires exercée par l’importation de main-d’œuvre à faible coût.
Les milieux économiques, le gouvernement et les partis de centre et de droite ont au contraire fait valoir que ce salaire minimum, «le plus élevé du monde», n’aurait pas été supportable pour de nombreuses entreprises. Celles-ci auraient été contraintes de se restructurer, de délocaliser à l’étranger voire même de mettre la clé sous la porte. L’initiative faisait ainsi craindre à ses opposants des dégâts importants sur l’emploi.
Dénonçant le salaire minimum légal comme «un Diktat de l’Etat sur l’économie privée», les adversaires de l’initiative estiment que le système de libre marché, avec des négociations salariales sectorielles et régionales sur une base volontaire entre partenaires sociaux, est la clé du succès de l’économie suisse et doit être préservé. Des arguments qui ont, semble-t-il, fait mouche auprès de l’électorat.
Les Valaisans ne veulent en aucun cas d’un salaire minimum, qu’il soit à 4000 ou à 3500 francs. A l’image du projet fédéral (82% de non), les citoyens ont clairement rejeté dimanche une initiative cantonale jugée par la droite et le patronat comme une «fausse bonne idée».
Plus souple que son homologue fédérale, l’initiative valaisanne pour un salaire minimum de 3500 francs n’a pourtant pas reçu un meilleur accueil dans le canton: elle a été rejetée par 100’221 voix (81%) contre 24’024.
Un élément de l’initiative valaisanne a sans doute fait basculer nombre d’indécis dans le camp du non: l’introduction d’un salaire minimum pour les apprentis, soit 700 francs versés treize fois pour la première année.
Source: ATS
Un «vote de raison»
«C’est un signal clair en faveur de notre place économique, de notre marché du travail et d’un partenariat social vécu», a jugé le ministre de l’économie Johann Schneider-Ammann dimanche après-midi devant la presse. En rejetant cette initiative, les Suisses ont procédé à un «vote de raison», a quant à lui estimé le président du Parti démocrate-chrétien (PDC / centre-droit) Christophe Darbellay. «Cette initiative était surtout néfaste pour ceux qu’elle entendait protéger», a poursuivi le député valaisan, qui espère que «la gauche et les syndicats vont enfin se rendre compte que la Suisse est un pays où les droits des travailleurs sont déjà solidement ancrés».
Président de l’Union suisse des arts et métiers (USAM) et député UDC au Parlement helvétique, Jean-François Rime a quant à lui relevé que «les Suisses restent favorables au partenariat social». Pour economiesuisse, l’une des plus importantes organisations patronales helvétiques, le refus du salaire minimum est «un signe clair que les Suisses ne veulent pas d’une intervention de l’Etat sur le marché du travail».
A gauche, la députée socialiste Ada Marra a également souligné que le vote montre l’attachement des Suisses aux CCT. La peur, brandie par les opposants, d’un effondrement de l’économie, a également atteint son objectif auprès des votants, selon elle. Pour la Vaudoise, la campagne a toutefois été utile puisque «des distributeurs comme Aldi, Lidl ou H&M ont adapté leurs salaires» minimaux aux conditions de l’initiative.
UNIA, le plus grand syndicat du pays, a regretté que «la chance de mettre fin au scandale des bas salaires dans la riche Suisse et de prévenir le dumping salarial n’a pas été saisie». L’organisation a assuré qu’elle interviendra désormais auprès des entreprises ou organisations du commerce de détail n’ayant pas encore signé de CCT, «pour les prier d’entamer rapidement des négociations à ce sujet».
Fin d’un cycle
Le vote de ce dimanche marque la fin d’un cycle de trois initiatives lancées au niveau fédéral dans le sillage de l’indignation populaire manifestée à l’égard des rémunérations des top-managers des grandes sociétés ainsi qu’à l’accroissement continu de l’écart salarial entre le haut et le bas de l’échelle. Le vote sur le salaire minimum a été précédé le 24 novembre 2013 de celui sur l’initiative «1:12 – Pour des salaires équitables». Lancé par la Jeunesse socialiste, le texte avait été rejeté par plus de 65% des votants et par tous les cantons. L’initiative prévoyait que dans toute entreprise, le salaire le plus élevé pouvait être au maximum douze fois plus élevé que le plus bas.
Avant cela, le 3 mars 2013, l’initiative dite «contre les rémunérations abusives», promue par l’entrepreneur schaffhousois Thomas Minder, avait en revanche été plébiscitée par plus de deux électeurs sur trois et tous les cantons. Ce texte prévoit que l’assemblée générale des actionnaires vote chaque année la rémunération des membres du conseil d’administration, de l’organe consultatif et de la direction des sociétés cotées à la Bourse suisse. L’initiative interdit de manière absolue les indemnités de départ et les cadeaux de bienvenue.
Son application, partiellement en vigueur depuis le début de l’année, ne satisfait cependant pas Thomas Minder. Le sénateur schaffhousois a déjà menacé du lancement d’une nouvelle initiative pour corriger le tir, si la loi d’application n’était pas conforme à ses exigences. D’autres sujets touchant aux salaires ou à la répartition de la richesse sont dans le pipeline, comme le revenu universel ou l’impôt sur la succession. Le débat est donc loin d’être clos. «Pour que ces sujets passent, il faudra que la droite et le centre s’en emparent», reconnaît toutefois Ada Marra.
Plusieurs votations cantonales ont également eu lieu dimanche en Suisse. Au terme d’une campagne émotionnelle, les citoyens du canton de Vaud ont balayé une initiative de l’écologiste Franz Weber en faveur d’un plan de protection strict de la région viticole du Lavaux, au bord du lac Léman. Ils ont donné leur préférence à un projet moins restrictif proposé par le gouvernement cantonal.
Pour lutter contre les « bétonneurs » et la pression immobilière, « Sauver Lavaux III » prévoyait l’interdiction presque totale de toute nouvelle construction. Elle était combattue par la plupart des partis et des vignerons de cette région classée au patrimoine de l’UNESCO.
« L’important c’est que Lavaux reste protégé. C’est ce qui m’a toujours préoccupé. C’est le plus beau vignoble d’Europe et c’est l’un des combats de ma vie », a déclaré à l’ats Franz Weber, 87 ans, à l’origine de trois votations populaires au sujet de Lavaux. Le gouvernement vaudois a pour sa part estimé que la protection du site sera garantie sans que son dynamisme en soit affecté.
Dans le canton de Berne, les citoyens ont rejeté une initiative lancée par un groupe de citoyens demandant l’arrêt immédiat de la centrale nucléaire de Mühleberg, près de la capitale Berne. L’installation, la 2e plus vieille au monde, devrait ainsi être mise hors service en 2019 comme l’a promis la société exploitante, BKW.
Cette initiative populaire déposée en 2012, soit avant l’annonce de l’exploitant de débrancher Mühleberg, était combattue par le gouvernement à majorité rose-verte et par le Grand Conseil (parlement cantonal).
Source : ATS
(Avec la collaboration de Sonia Fenazzi)
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