Libre-échange: pourquoi le Japon a choisi la Suisse
Doris Leuthard, ministre suisse de l'Economie signe jeudi à Tokyo l'accord bilatéral de libre-échange avec le Japon. Jun Yokota, négociateur en chef du côté japonais, explique ce que son pays va y gagner. Interview.
Lorsqu’on demande à Jun Yokota si son alter ego suisse, l’ambassadeur Luzius Wasescha, a utilisé des ruses ou des stratagèmes dans les négociations lancées en janvier 2007 pour le forcer à aboutir, en septembre 2008, à un accord, ce mandarin de la toute puissante bureaucratie japonaise répond par une anecdote.
«Non. Mais il s’est toujours arrangé pour nous faire découvrir, à chaque round de négociation sur sol suisse , une région différente de votre pays. Et il n’a pas manqué de nous conduire dans un village des Grisons qui produit de la viande séchée. Un produit interdit d’importation au Japon pour des raisons de sécurité alimentaire ! Cela ne m’a pas dérangé. Bien au contraire. Car la viande séchée est l’un de mes plats suisses préférés.»
Jun Yokota ajoute qu’il connait Luzius Wasescha depuis longtemps. Et que leur amitié a survécu aux huit rounds de négociations qui ont eu lieu alternativement en Suisse et au Japon. Ce qui n’est pas toujours le cas entre négociateurs en chef d’accords commerciaux.
swissinfo: Quels sont, pour le Japon, les bénéfices d’un accord de libre-échange avec la Suisse ?
Jun Yokota: La Suisse et le Japon ont déjà une relation commerciale très soutenue. Et nous estimons que cet accord de libre-échange va renforcer cette relation, en abaissant les tarifs et en augmentant le nombre de projets communs dans divers domaines d’activité économique.
swissinfo: Quels sont les secteurs au Japon qui bénéficieront le plus de cet accord ?
J.Y.: On s’attend à ce que les bénéfices de l’accord s’étendent à toutes sortes de secteurs. Tout dépend de l’aspect du traité auquel vous vous référez. Si vous prenez, par exemple, l’accès au marché, l’accord de base réduit les tarifs, des deux côtés, pour 99% du commerce courant entre les deux pays.
swissinfo: Pourquoi le Japon a-t-il choisi la Suisse pour négocier un premier accord de libre-échange avec un pays européen ?
J.Y.: Il y a plusieurs raisons. D’abord c’est la Suisse qui nous a demandé avec persistance à ce que l’on négocie un tel accord !
Mais si vous examinez la relation commerciale bilatérale, vous remarquez que plus de 70% de nos exportations vers la Suisse sont soumises à des tarifs douaniers. En sens inverse, seuls 24% des exportations suisses vers le Japon sont confrontées à des tarifs douaniers. Tout naturellement, si l’on parle de réduire les tarifs douaniers, c’est pour le plus grand avantage du Japon.
Par ailleurs dans les forums internationaux comme l’Organisation mondiale du commerce, la Suisse et le Japon coopèrent très étroitement. En particulier, au sein de l’OMC, dans le cadre du G10 [ndlr: pays importateurs nets de denrées alimentaires qui s’engagent en faveur d’une libéralisation progressive du commerce agricole]. Pour nous, c’était donc une opportunité de cimenter encore plus cette relation avec la Suisse.
swissinfo: Vous êtes-vous servi de cette négociation avec la Suisse comme un banc d’essai avant de négocier, un jour, un accord de libre-échange avec l’Union européenne ?
J.Y.: D’abord, nous n’avons pas décidé si nous allons commencer une négociation avec l’Union europeenne ou non. Une chose est sûre: il n’y a pas eu, de notre part, une intention de nous servir de cette négociation avec la Suisse comme un banc d’essai ! (sourire.)
Néanmoins, certains aspects de notre négociation avec la Suisse nous seront utiles le jour ou, éventuellement, nous décidons d’entamer une négociation avec l’Union européenne.
swissinfo: Les patrons européens à Tokyo comme Richard Collasse, le président de la Chambre de commerce européenne (EBC) plaident en faveur d’une intégration économique entre le Japon et l’Union européenne. Qu’en pensez-vous ?
J.Y.: Tout dépend de ce que vous entendez par intégration.[ndlr: pour l’EBC elle suppose la définition de standards communs sur les produits et une réglementation unifiée notamment en matière d’environnement. Elle implique aussi la libre-circulation des biens et des services, ainsi que des capitaux].
Vous devez prendre en considération les conséquences qu’une telle intégration économique ne manquerait pas d’avoir pour d’autres économies. Si vous parlez d’une intégration de type préférentiel, vous devez réfléchir à deux fois aux effets négatifs qu’elle pourrait avoir pour d’autres économies. Ainsi qu’à son impact sur le système du commerce international.
Interview swissinfo, George Baumgartner, Tokyo
Le Japon est le premier partenaire commercial de la Suisse en Asie. 0,4% de ses exportations partent vers la Suisse, alors que 0,9% de ses importations en viennent.
En 2007 (dernier chiffres disponibles), la Suisse a vendu des marchandises au Japon pour 6,7 milliards de francs, principalement des produits chimiques et pharmaceutiques, des montres et des bijoux ainsi que des machines.
La même année, la Suisse a acheté pour 3 milliards et demi de francs de produits nippons, soit avant tout des voitures, des appareils électroniques, des métaux précieux et de la bijouterie.
Les investissements directs de la Suisse au Japon sont de l’ordre de 12 milliards de francs, alors qu’à l’inverse, les investissements japonais en Suisse représentent moins d’un milliard.
A fin 2006, 1397 Suisses vivaient au Japon et 4226 Japonais vivaient en Suisse.
Né le 26 juin 1947, il a fait toute sa carrière au sein du ministère des Affaires étrangères.
Diplôme de la faculté de droit de la prestigieuse université de Tokyo. Marié, trois enfants.
Avril 1994- Août 1997: ministre à la Mission permanente du Japon auprès des organisations internationales a Genève.
Janvier 2001: directeur général du département des affaires culturelles.
Juin 2002: consul général à Hong Kong.
Avril 2004: ambassadeur en Israël.
Septembre 2006: ambassadeur extraordinaire pour les relations économiques et commerciales internationales.
Juillet 2007: ambassadeur et représentant du gouvernement japonais pour les négociations d’accords de partenariat économique avec le Vietnam et la Suisse.
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