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L’avenir compliqué des Casques Bleus

Samuel Schmid
Lors d’une visite officielle au Mali en décembre 2005, le président de la Confédération Samuel Schmid s’est rendu dans un village du Pays Dogon de la région de Mopti, une zone ensanglantée par des affrontements et des massacres depuis 2015. Keystone / Monika Flueckiger

Que ce soit pour les maintenir ou les restaurer, la paix et la sécurité internationales sont la raison d’être de l’Organisation des Nations Unies. Marginalisée dans la résolution des conflits, l’ONU voit nombre de ses membres toujours plus réticents à financer les opérations de maintien de la paix ou à payer à temps les contributions promises. 

«Qui paye commande», dit l’adage. «Même quand il ne verse pas son dû», pourrait ajouter l’ONU. Que ce soit pour son budget ordinaire ou celui consacré aux opérations de maintien de la paix, l’organisation internationale connaît depuis des années des problèmes aigus de financement qui prétéritent l’accomplissement des mandats que les États membres lui confient.

Fin 2018, le budget des opérations de maintien de la paixLien externe affichait un arriéré de 1,4 milliard de dollars. Un trou qui est toujours loin d’être résorbé. Le sujet est actuellement sur la table de la Cinquième commissionLien externe qui, à New-York,est chargée des questions administratives et budgétaires de l’ONU. À cette occasion a souligné que plusieurs missions de maintien de la paix éprouvaient de graves difficultés de trésorerie. Pour éviter de les interrompre, l’ONU a dû suspendre les paiements aux pays fournisseurs de contingents ou de personnel de police, selon le Secrétaire général de l’ONU.

Le sang du Sud, l’argent du Nord

Or plus de 90% de ces fournisseurs sont des pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine, alors que les (parfois mauvais) payeurs sont pour l’essentiel encore les pays occidentaux.  

Plus de Casques Bleus dans le centre du Mali. «Le gouvernement demande une présence accrue de la Minusma dans les régions du centre du Mali», a déclaré mercredi 12 juin le ministre malien des Affaires étrangères Tiébilé Dramé. «Cette présence accrue est la condition du succès du processus politique que nous allons engager dans les prochains jours», a ajouté le ministre lors d’une réunion du Conseil de sécuritéLien externe consacrée au Mali.

L’organe exécutif de l’ONU doit décider du renouvellement du mandat de la Minusma (environ 15’000 militaires et policiers), qui arrive à échéance fin juin.

Depuis l’apparition en 2015 dans le centre du Mali du groupe jihadiste du prédicateur Amadou Koufa, recrutant prioritairement parmi les Peuls, traditionnellement éleveurs, les affrontements se multiplient entre cette communauté et les ethnies bambara et dogon, pratiquant essentiellement l’agriculture, qui ont créé leurs groupes d’autodéfense.

«Les responsabilités sont inégalement réparties entre les États du Sud global qui fournissent la majorité des troupes et les États du Nord qui financent les missions mandatées par le cercle fermé du Conseil de sécurité», confirme Lucile MaertensLien externe,Lien externe maître assistante en relations internationales à l’Université de Lausanne. Depuis 2010, préciseLien externe l’hebdomadaire Jeune Afrique, les cinq missions les plus meurtrières sont situées en Afrique, la Minusma (Mali) étant la plus frappée avec 153 tués depuis 2013.

Imbroglio au Mali

«Créée par une résolution du Conseil de sécurité datée d’avril 2013, la Minusma, dont le mandat est axé sur la sécurité et la protection des civils, ne parvient toujours pas à mettre fin à l’insécurité qui s’étend au centre du Mali», souligne Jeune Afrique le 6 juin dernier dans le même article. Un constat confirmé trois jours plus tard de la plus sinistre des manières avec un nouveau massacre, toujours au centre du Mali. Un groupe armé a tué 34 habitants du village dogon de Sobanou-Kou, dont 24 enfants, selon Bamako.

Pour Lucile Maertens, les difficultés que traverse la MinusmaLien externe posent une question de fond: comment faire coexister les missions visant le maintien de la paix et les actions de guerre? «Sur ce théâtre d’opération, les acteurs de paix – les casques bleus – côtoient les acteurs de guerre [l’armée française et la force conjointe du G5 Sahel, ndr] qui interviennent dans des actions de contre-terrorisme. La limite entre ces deux mandats devient floue», relève la chercheuse.

Légalement, les opérations de maintien de la paixLien externe de l’ONU ne peuvent se déployer qu’avec l’aval des parties au conflit. «Mais qui représente les intérêts des populations locales dans un État au gouvernement instable?», s’interroge Lucile Maertens.

Une difficulté que l’on retrouve dans la plupart des conflits armés, en particulier sur le continent africain où sont déployés 7 des 14 opérations de maintien de la paix de l’ONU.

Les failles d’un système

D’où le constat de la chercheuse: «Ce sont souvent les pays qui sont le moins outillés pour porter le poids politique d’une mission de la paix qui la mettent en œuvre, sans qu’ils aient prise sur le budget et le mandat.»

Une situation que n’a pas manqué de pointer Ma Zhaoxu le mois dernier à New York. «La communauté internationale doit prêter attention aux besoins réels des pays fournisseurs de troupes, et plus particulièrement aux pays en voie de développement. Elle doit renforcer la construction des capacités dans le domaine du maintien de la paix, et garantir la disponibilité de formations et de ressources ciblées pour ces pays», a déclaréLien externe le représentant permanent de la Chine auprès des Nations Unies.

Montée en puissance de la Chine

Un avis qui pèse, la Chine étant la seule grande puissance à payer (2e contributeur) tout en étant le 11e fournisseur de troupes pour les opérations menées par les Casques Bleus. Ce alors que le premier contributeur – les États-Unis – accuse un retard de plusieurs centaines de millions de dollars dans la couverture des dépenses des Casques Bleus.

Comme chaque membre de l’ONU, la Suisse verseLien externe une contribution obligatoire au budget des opérations de maintien de la paix, soit 77,4 millions de francs en 2018.

Berne fournit aussi des agents. Ils sont actuellement 28, repartis dans les opérationsLien externe au Sahara occidental, au Mali, en RDC, au Soudan du Sud, en Inde et au Pakistan et au Moyen-Orient, selon les chiffresLien externe de l’ONU.

L’été dernier, l’Assemblée générale de l’ONU a pourtant réduit de 1,47% le budget des opérations de paix couvrant la période de juillet 2018 à juin 2019, pour atteindre 6,7 milliards de dollars. Une baisse affectant les missions au Soudan du Sud, en RDC, en Centrafrique et au Mali. La décision avait été saluée par l’ambassadrice américaine auprès de l’ONU, Nikki Haley à l’époque: «Le nouveau budget de maintien de la paix de l’ONU représente une réduction responsable des dépenses. Le monde a besoin d’une ONU disciplinée, efficace, qui puisse rendre des comptes et qui soit axée sur les résultats.»

Sur les traces de la Société des Nations?

Lucile Maertens fait part de ses doutes: «L’ONU reste indispensable comme seule arène universelle pour la promotion de la paix et de la sécurité internationales. Mais a-t-elle encore suffisamment de moyens pour intervenir dans les situations de conflits? A-t-elle encore les ressources symboliques, le capital politique, la légitimité pour le faire, alors qu’il y a une défiance à l’égard du multilatéralisme?»

De son côté, l’ONU relève que le budget consacré aux Casques Bleus représente moins de 1% du total des dépenses militaires mondiales, estimées à 1800 milliards de dollars en 2018.

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