Comment un projet sur l’immigration devient une réglementation sur le chômage
Depuis bientôt trois ans, la mise en œuvre de l’initiative populaire dite «Contre l'immigration de masse» domine l’agenda politique en Suisse. Après plusieurs navettes entre les Chambres, le Parlement s’est mis d’accord ce lundi sur une loi sans grand rapport avec la lettre de l’initiative. Le texte doit contribuer à mieux utiliser la main-d’œuvre indigène et freiner ainsi indirectement l’immigration.
«Si un architecte me donne un plan dont la réalisation va faire s’effondrer la maison, je ne peux pas exécuter le mandat en suivant strictement le plan». Par cette image, le sénateur libéral-radical (droite) Philipp Müller a tenté, lors d’un des nombreux débats houleux sur la mise en œuvre de l’initiative, d’illustrer le fait que suivre celle-ci à la lettre mènerait à la catastrophe. Le texte concocté par l’Union démocratique du centre (droite conservatrice), et désormais inscrit comme article 121aLien externe de la Constitution fédérale, prescrit «des plafonds et des contingents annuels» pour les étrangers. Et comme cette exigence viole l’accord de libre-circulation des personnes (ALCPLien externe) entre la Suisse et l’UE, celui-ci devrait être renégocié. Mais Bruxelles s’y refuse.
Face à ce dilemme, le Parlement s’est finalement décidé – après cinq débats dans les deux Chambres qui ont à chaque fois duré des heures – pour une loi d’application eurocompatible, par laquelle l’immigration se laissera dans le meilleur des cas indirectement contrôler. Les nouvelles dispositions doivent contribuer à améliorer les perspectives d’embauche pour les chômeurs indigènes. Concrètement: si le taux de chômage dans un certain groupe professionnel ou une région économique est supérieur à la moyenne, les employeurs doivent annoncer leurs places vacantes à l’Office régional de placement (ORP). De plus, ils sont obligés de convoquer les candidats adaptés au poste que leur propose l’ORP pour un entretien d’embauche. Ils doivent ensuite communiquer le résultat à l’ORP, sans être obligés de motiver une éventuelle décision de refus.
Au cours des débats, les élus UDC n’ont cessé de dénoncer des «pseudo-solutions», des «solutions zéro», un «mépris de la volonté populaire», une «trahison», voire d’user de termes plus fleuris. Ils ont tenté en vain de s’en tenir strictement aux plafonds et aux contingents, sans pour autant présenter une solution qui soit compatible avec les engagements internationaux de la Suisse. Au lieu de cela, le parti a reproché au gouvernement son attitude de «soumission» dans la négociation avec l’UE, qui n’a rien voulu entendre d’une renégociation de l’ALCP, spécialement après le Brexit.
Malgré cela, l’UDC ne va pas attaquer la nouvelle loi par référendum. Le Parlement, qui a montré qu’il était prêt à «violer la Constitution», ne l’appliquerait pas plus correctement après un vote référendaire, a dit le président du parti Albert Rösti à la télévision publique alémanique SRF. Par contre, il a averti que si l’immigration continuait à augmenter, l’UDC pourrait lancer une initiative pour l’abolition de la libre-circulation.
La droite à gauche et la gauche à droite
D’autres parlementaires, particulièrement à droite, dont Kurt Fluri et le déjà nommé Philipp Müller, ont consenti à une entorse à leurs principes «libéraux» pour plaider fortement en faveur d’interventions sur le marché du travail au profit des chômeurs indigènes.
Quand plus de 10’000 personnes du secteur de la construction et plus de 17’000 dans l’hôtellerie sont inscrites au chômage et qu’en même temps, on fait venir de l’étranger 10’000 travailleurs de ces deux branches, cela va trop loin pour les deux libéraux-radicaux. Des mesures contre de tels développements sur le marché du travail n’ont rien à voir avec de la xénophobie, mais relèvent de la protection des travailleurs indigènes, a plaidé Philipp Müller.
Le peuple a le dernier mot
Fallait-il vraiment passer par une initiative populaire pour aboutir à quelques interventions sur le marché du travail? Certains citoyens ne vont pas manquer de se le demander quand ils seront à nouveau appelés prochainement aux urnes pour se prononcer sur l’initiative RASALien externe. Sous-titrée «Sortons de l’impasse!», celle-ci demande en effet de biffer purement et simplement de la Constitution fédérale l’article 121a, introduit par l’initiative de l’UDC. Le gouvernement a déjà annoncé qu’il présenterait un contre-projet à RASA si le Parlement se prononçait pour une mise en œuvre de l’initiative sur l’immigration qui s’éloigne clairement du mandat donné par le peuple.
Les propositions libérales-radicales ont été plusieurs fois soutenues par le camp rose-vert, qui s’est servi au besoin également d’arguments économiques. A gauche, on a bon espoir qu’un employeur puisse engager un chômeur suisse de plus de 50 ans si la nouvelle loi l’oblige à la convoquer à un entretien et à le regarder dans les yeux, a ainsi dit le Vert Balthasar Glättli. Et le socialiste Cédric Wermuth a demandé à ses adversaires s’ils voulaient vraiment abolir le marché du travail libéral avec leurs idées.
On a limité les dégâts
Ministre en charge du dossier, Simonetta Sommaruga croit elle aussi que cette loi d’application de l’initiative a évité à la Suisse une résiliation des accords bilatéraux avec l’UE. Et le gouvernement compte bien que dès 2017, le pays puisse à nouveau participer pleinement au programme de recherche Horizon 2020, dont la Suisse avait été partiellement exclue après l’acceptation de l’initiative de l’UDC. Une condition à cette participation était que la Suisse ratifie le protocole d’extension de la libre-circulation à la Croatie avant le 9 février 2017. Mais pour le Parlement, cette ratification ne devait être envisagée que si une solution conforme au droit suisse était trouvée avec l’UE sur la question de l’immigration.
Une victoire pour la gauche, mais surtout pour les Libéraux-Radicaux, véritables artisans de la solution (Téléjournal de la RTS du 12 décembre 2016.
(Traduction de l’allemand: Marc-André Miserez)
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