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Mobilisation naissante autour des otages de Kadhafi

Bruna Hamdani, épouse de l'un des deux otages retenus en Libye, a décidé de s'exprimer. tsr

Après le changement de ton et de stratégie du gouvernement à l'égard de la Libye, les proches des otages donnent de la voix, la société civile se mobilise et quelques pays affichent leur soutien à la Suisse.

Forte et déterminée. Tel est apparue sur les écrans de télévision l’épouse de Rachid Hamdani, retenu puis kidnappé en Lybie depuis le 19 juillet 2008. Bruna Hamdani est sortie de l’ombre après la conférence de presse la semaine dernière du président de la Confédération Hans-Rudolf Merz et de la ministre des Affaires étrangères Micheline Calmy-Rey. Une conférence durant laquelle le gouvernement suisse a parlé pour la première fois de kidnapping à propos des otages suisses et fait part de sa «colère face au refus systématique» de la Libye de coopérer.

Syndrome de Stockholm?

Lors de ses premières prises de parole sur les chaines de la télévision publique, Bruna Hamdani a, elle, rappelé que son mari et Max Göldi – l’autre otage suisse – n’avaient rien à voir dans la crise entre Berne et Tripoli

Bruna Hamdani s’en est aussi prise à Laurent Moutinot, le ministre en charge de la police genevoise, une cible également visée par Miguel Stucki, le patron de Rachid Hamdani. Selon l’homme d’affaires vaudois, les autorités genevoises doivent s’excuser pour les conditions de l’interpellation de Hannibal Kadhafi et de sa femme en juillet 2008, une exigence maintes fois exprimée par les Libyens eux-mêmes.

Alors, syndrome de Stockholm ou défense des intérêts d’une entreprise active en Libye? Hasni Abidi estime en tout cas que ces critiques sont déplacées, puisqu’un tribunal arbitral est précisément prévu par la Suisse et la Libye pour juger les conditions de cette arrestation. Et ce, même si cette option est pour l’heure en veilleuse.

S’inspirer de l’affaire des infirmières bulgares

Quoi qu’il en soit, Bruna Hamdani compte poursuivre ses apparitions pour mobiliser l’opinion publique et chercher les conseils de spécialistes.

Pour Emmanuel Altit, cette option est la bonne. «Les otages et leurs familles doivent occuper une place centrale. Et cela devrait faire partie d’une stratégie mondiale visant à sensibiliser les médias, mobiliser le grand public et mettre la pression sur les politiciens», estime l’avocat des infirmières bulgares détenues pendant 8 ans en Libye.

Pour l’heure, la famille de Max Göldi – l’autre otage – a décidé de rester dans l’ombre. Mais son employeur a, lui, décidé d’exprimer publiquement son inquiétude sur le sort de son directeur pour la Libye.

Dans un communiqué diffusé vendredi dernier, le groupe helvético-suédois ABB «exhorte les gouvernements libyen et suisse à poursuivre leurs efforts pour aboutir à une conclusion humanitaire satisfaisante de cette situation profondément préoccupante.»

Patron d’ABB, Joe Hogan a encore déclaré ce jeudi à propos de Max Göldi: «Nous n’avons plus entendu parler de lui depuis des semaines», après avoir réitéré son inquiétude pour le sort de son collaborateur retenu en Libye.

Ce jeudi toujours, 10 personnalités (politiciens, religieux et intellectuels) ont lancé chacun un appel au colonel Kadhafi pour qu’il libère les 2 otages suisses. Des lettres ouvertes publiées dans le quotidien romand Le Matin.

Soutiens internationaux

Et ça n’est pas tout. Le changement de cap du gouvernement suisse à l’égard de la Libye a également eu des retombées sur la communauté internationale.
L’ambassadeur américain en Suisse a ainsi affirmé que Washington pourrait aider Berne dans cette affaire.

«Mon gouvernement suit ce dossier avec préoccupation et nous saluerions un retour des deux Suisses», a déclaré Donald Beyer mardi dans le journal alémanique Südostschweiz.

L’ambassadeur a aussi indiqué sans plus de précision que le gouvernement américain n’était pas le seul à être disposé à aider la Suisse dans cette affaire.

De son coté, le ministre espagnol des affaires étrangères Miguel Angel Moratinos, en visite la semaine dernière à Berne, a assuré face à la presse qu’il allait saisir toutes les possibilités offertes par sa fonction pour montrer sa solidarité envers la Suisse dans la crise avec la Libye, l’Espagne assurant dès 2010 la présidence de l’Union européenne (UE).

Des soutiens affichés qu’explique Hasni Abidi, directeur du Centre genevois d’étude sur le monde arabe (CERMAM): «Le changement de ton du gouvernement suisse couplé aux sorties publiques des familles des otages suisses ont été perçues par les chancelleries occidentales comme un feu vert pour s’exprimer.»

Avant de souligner: «Mais jusqu’à maintenant, il s’agit d’un service minimum de soutien sans grande fermeté. Ces prises de position ne vont ni fâcher les autorités libyennes ni contrarier la diplomatie suisse.»

L’OCI en question

Certains médias ont aussi placé leurs espoirs dans une offre de service de l’Organisation de la conférence islamique (OCI).

Selon la radio alémanique DRS, l’OCI serait en effet prête à offrir sa médiation. Source de cette information, son représentant à l’ONU a précisé sa pensée à swissinfo.ch. «En tant qu’organisation intergouvernementale, nous privilégions le règlement de cette crise par la voie bilatérale. Si l’une des parties juge utile une médiation de l’OCI, nous le ferons bien volontiers. La Libye est un membre fondateur de l’OCI et nous avons d’excellents rapports avec la Suisse. Mais ni la Suisse, ni la Libye nous ont demandé de jouer un tel rôle», relève Babacar Ba.

Rien d’officiel

Hasni Abidi commente: «C’est une annonce de disponibilité, sans plus. Il ne s’agit ni d’une proposition officielle, ni d’une disponibilité manifestée par le secrétaire général de l’OCI. L’organisation ne peut pas se permettre le luxe de fâcher l’un de ses membres, à savoir la Libye.»

Tripoli a en effet repoussé des offres précédentes de médiation dans la crise avec la Suisse. «Ces déclarations de pays tiers peuvent néanmoins obliger le clan Kadhafi à sortir de son rôle d’arbitre pour devenir acteur, un statut beaucoup plus intéressant pour la Suisse», assure le chercheur genevois.

Et de relever: «Ces offres peuvent montrer à Tripoli que la Suisse n’est pas seule dans ce bras de fer. Car il s’agit maintenant de faire comprendre aux Libyens que la Suisse est prête à aller jusqu’au bout dans la défense des deux otages et qu’elle ne fera plus de concessions.

Et le chercheur de conclure: «La Libye n’est pas prête à revenir aux années noires de l’embargo et à son statut de paria de la communauté internationale, ni faire face à une enquête internationale. La Suisse a donc plusieurs cartes à jouer.»

Frédéric Burnand, Genève, swissinfo.ch

La Suisse peut demander au Conseil de sécurité qu’il traite le cas, présenté comme une menace à la paix et à la sécurité internationale.

Mais le Conseil de sécurité de l’ONU ne s’occupe en général pas de prises d’otages individuelles. Il n’avait pas été saisi de l’affaire des infirmières bulgares détenues par Tripoli pendant huit ans.

La Suisse, comme chaque Etat membre, peut présenter une résolution à l’Assemblée générale de l’ONU, présidée cette année par la Libye. Une résolution, demandant par exemple la libération des otages et la normalisation des relations entre la Suisse et la Libye, ne serait toutefois pas contraignante.

La Suisse peut présenter une résolution au Conseil des droits de l’homme. Mais elle aurait de la difficulté à trouver une majorité sur un texte suffisamment ferme, alors que les groupes africain, arabe et islamique, dont la Libye fait partie, dispose d’une majorité dans cette enceinte, comme à l’Assemblée générale de l’ONU.

La Suisse peut saisir d’autres organes de l’ONU sur les droits de l’homme, comme les rapporteurs spéciaux et le groupe de travail sur la détention arbitraire. Celui-ci discute actuellement d’une visite en Libye en février, mais aucun accord n’a encore pu être finalisé.

Le 5 octobre dernier, le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon a déclaré qu’il allait «voir ce qu’il est possible de faire» pour aider à régler le contentieux entre la Suisse et la Libye.

Ban Ki-moon n’a cependant pas pris d’engagement ferme et ajouté qu’en pareilles circonstances «la diplomatie tranquille» est préférable.

Source: Agence télégraphique suisse

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