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Nouvel exode des riches Français vers la Suisse?

François Hollande fait moins peur aux millionnaires français que François Mitterrand il y a 30 ans. Il est vrai que les temps ont changé. AFP

La fuite massive des capitaux qui avait suivi l’élection de François Mitterrand en 1981 ne se reproduira pas. Aujourd’hui, pour les contribuables tentés par l’exil en Suisse, l’élection d’un président socialiste ne constitue qu’un critère parmi d’autres.

En tête dans tous les sondages, le socialiste François Hollande, s’il est élu en mai à l’Elysée, fera-t-il fuir les riches contribuables français vers des terres fiscalement accueillantes comme le Royaume-Uni, la Belgique et surtout la Suisse?

Côté helvétique, des avocats fiscalistes constatent un frémissement chez certains de leurs clients français. «Alors qu’en 2011, j’ai facilité entre vingt et trente délocalisations fiscales, le seul mois de janvier m’a apporté entre quinze et vingt dossiers sérieux», témoigne Philippe Kenel, avocat fiscaliste chez Python & Peter, à Genève. Des clients «possédant une fortune allant de 10 à 50 millions d’euros» qui souhaitent bénéficier des forfaits fiscaux proposés par de nombreux cantons suisses.

Au secours!

Depuis quelques jours, les médias français relaient le «vent de panique» qui saisirait de nombreux millionnaires français. «Au secours, la gauche revient!», titre, avec une pointe d’ironie, Le Monde. «A moins de trois mois de l’élection présidentielle, le business de délocalisation des Français se porte à merveille, écrit le quotidien français. En Suisse ou au Royaume-Uni, conseillers fiscaux, avocats et banquiers s’activent pour les aider à s’exiler.»

On se souvient de l’afflux de capitaux vers la Suisse qu’avait provoqué en mai 1981 la victoire de François Mitterrand. Dès le lendemain de son élection, des Français paniqués franchissaient la frontière avec des valises pleines de billets, avant de rentrer chez eux.

Les temps ont changé. L’abandon partiel du secret bancaire dissuade désormais les Français de planquer leur argent en Suisse. «Les sanctions contre la fraude fiscale se sont récemment alourdies», rappelle l’avocat genevois Nicolas Zambelli, spécialiste des questions fiscales franco-suisses. Seule solution pour échapper au fisc: s’installer en Suisse.

Les chiffres manquent pour mesurer l’ampleur réelle du phénomène. On sait que sur les quelque 5500 étrangers bénéficiant en Suisse de forfaits fiscaux, environ 2000 sont français. 2009 fut une année charnière: préoccupés par la nouvelle convention de double imposition franco-suisse, entrée en vigueur le 1er janvier 2010 et qui instaurait l’échange d’informations à la demande, des Français détenant des comptes outre-Jura ont choisi l’exil pur et simple.

«On ne peut pas parler, aujourd’hui, de vent de panique, estime Me Zambelli. Les contribuables tentés par l’expatriation se renseignent, hésitent. Certains seulement finiront par franchir le pas.»

Il s’agit moins d’une rupture que d’une continuité, ajoute l’avocat. «Cela fait deux ans que la pression fiscale s’accroît en France sur les plus riches.» L’abandon en 2011 du bouclier fiscal, qui plafonnait les impositions à 50% des revenus, la réduction de l’exonération des plus-values immobilières ont accru l’«insécurité fiscale» et convaincu quelques dizaines de contribuables aisés à s’exiler en Suisse.

Place aux jeunes

«Depuis deux ou trois ans, on voit apparaître une nouvelle catégorie d’expatriés fiscaux, moins riches, plus jeunes qu’auparavant, note Me Zambelli.» Aux retraités richissimes s’ajoutent désormais des actifs soucieux d’échapper à la taxation des plus-values de cession de participations, note Le Monde.

Une victoire de Hollande le 5 mai prochain pourrait renforcer cette tendance. Son programme augmente la pression fiscale. Il prévoit une nouvelle tranche d’impôt sur les hauts revenus, un élargissement de l’impôt sur les grandes fortunes (ISF) ainsi qu’une taxation plus sévère des successions.

De quoi faire fuir les millionnaires français ? «En France, les riches payent moins d’impôts que les autres en proportion de ce qu’ils gagnent, justifie Laurent Baumel, responsable des questions internationales au parti socialiste. C’est cette injustice que nous voulons réparer.»

L’équipe de Hollande craint-elle un exode de capitaux vers la Suisse ? «On ne peut pas concevoir une politique sous la menace de ce genre de chantage», estime Laurent Baumel. Lequel ajoute: «Je ne crois pas que les personnes tentées par le départ soient de grands créateurs d’emplois.»

Si ces départs se confirment, ils auraient un effet très limité sur l’économie française, assure Tomasz Michalski, professeur à l’Ecole des hautes études commerciales (HEC) de Paris. L’impôt sur le revenu ne représente que 5 à 6% des recettes globales. Il y a plus grave: «En taxant plus fortement les grandes entreprises, la gauche risque de provoquer des délocalisations vers Genève, par exemple», estime Tomasz Michalski.

Exagéré

«Exode», «fuite de capitaux», «panique»: «Ces termes sont très exagérés, estime l’avocat parisien Patrick Michaud, expert en questions fiscales. C’est même de la désinformation totale», Celui-ci rappelle l’existence depuis 2010 d’une «exit tax», assez dissuasive en matière d’expatriation.

«Certains de mes clients tentés de s’exiler ont finalement renoncé, découragés par les mauvaises conditions qu’on leur proposait à Genève et par la cherté de l’immobilier», ajoute Me Michaud. «Quant à François Hollande, son programme est social-démocrate. Et entre ce qu’il dit aujourd’hui et ce qu’il fera demain, s’il est élu, il y a un monde…»

En 1920, Vaud est le premier canton suisse à introduire une taxation fiscale forfaitaire pour les étrangers qui vivent sur son sol mais n’y travaillent pas. Selon la Conférence des directeurs cantonaux des Finances, les bénéficiaires de ces forfaits étaient 5445 en Suisse en 2011. C’est le canton de Vaud qui en accueille le plus, suivi du Valais, du Tessin, de Genève, des Grisons et de Berne.

Les citoyens du canton de Zurich ont voté l’abolition des forfaits fiscaux en février 2009. A la fin 2010, 92 des 201 bénéficiaires avaient déménagé dans un autre canton ou à l’étranger apparemment sans conséquences majeures pour les finances publiques.

Schaffhouse a accepté l’abolition en septembre 2011, mais le petit canton du nord de la Suisse n’hébergeait que cinq contribuables au forfait. Saint-Gall, Glaris et Thurgovie ont refusé l’abolition au printemps 2011. Berne, Bâle-Ville, Lucerne, Appenzell Rhodes-Extérieures, Zoug et Bâle-Campagne doivent encore se prononcer.

Dans le canton de Genève, le Parti socialiste a déposé fin janvier une initiative demandant l’abolition des forfaits fiscaux. Une seconde initiative vise à supprimer les allègements fiscaux dont bénéficient les entreprises étrangères. Les Genevois ne voteront sans doute pas avant 2013, voire 2014.

Au niveau fédéral, le parti La Gauche a lancé l’an dernier une initiative populaire visant à abolir les forfaits fiscaux. Pour le nouveau parti de la gauche alternative fondé fin 2009, l’initiative vise aussi à mettre un terme à la course effrénée à la concurrence fiscale que se livrent les cantons.

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