Brexit: des leçons clés pour la Suisse
Chercheur à l'Université de Saint-Gall, Stefan Legge estime que la Suisse peut apprendre du Brexit pour mieux cerner la politique actuelle de l'Union européenne et les risques de retarder un accord-cadre avec elle. Son analyse.
Beaucoup se demandent pourquoi l’UE et le Royaume-Uni ne parviennent pas à s’entendre. La réponse est simple: les demandes de Londres et celles de Bruxelles créent un espace vide de solutions. C’est la question de la frontière qui illustre le mieux cet état de fait. Si le Brexit doit avoir un sens, le Royaume-Uni doit se retirer du marché unique européen et de l’union douanière. Cela permettrait notamment au Royaume-Uni de concevoir sa propre politique commerciale et migratoire.
«Le Brexit réduit le produit intérieur brut de l’UE dans une proportion équivalentes au poids de ses 19 plus petits membres, s’ils quittaient l’UE»
Toutefois, l’expression bien connue «reprendre le contrôle» implique qu’il doit y avoir une frontière entre le Royaume-Uni et l’UE. Placer cette frontière entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande risquerait de déclencher un conflit violent. C’est pourquoi l’UE exige une solution permanente à ce problème (le filet de sécurité irlandais/ Irish backstop). Mais s’il ne peut y avoir de frontière à l’intérieur de l’Irlande, il ne reste que deux options: soit diviser le Royaume-Uni en plaçant la frontière en mer d’Irlande, soit laisser tout le Royaume-Uni dans le marché unique. Les deux sont impossibles à vendre à Londres.
Leçon n°1: ne tardez pas!
Personne ne peut prédire comment l’impasse actuelle sera résolue. Aucune de ces deux options n’est attrayante. S’il y a quelque chose de bon qui ressort de cette débâcle, c’est que la Suisse – et d’autres pays, dont la Grande-Bretagne – peuvent en tirer quelques leçons.
Premièrement, les jours qui ont suivi le vote pour le Brexit ont vu les politiciens britanniques retarder à maintes reprises le processus de sortie. Mais ces reports n’ont rien donné. Sur le plan intérieur, l’affaire a absorbé des ressources précieuses et l’attention pour d’autres questions politiques.
Sur le plan international, l’idée que l’UE devienne nerveuse et fasse des concessions de dernière minute ne s’est pas matérialisée. Les dirigeants britanniques, y compris la Première ministre Theresa May, ont mis le pays dans une position épouvantable. Il s’agit là d’une mise en garde à l’intention de ceux qui, en Suisse, pensent que l’accord-cadre peut être gelé pendant des années. Le résultat par défaut du Brexit est un no-deal, le résultat par défaut des négociations d’un accord-cadre est que les accords existants entre la Suisse et l’UE deviennent obsolètes. La position de la Suisse est nettement meilleure que celle des Britanniques à cet égard, mais l’inactivité n’est conseillée dans aucun des deux cas.
Leçon n° 2: l’UE a du poids
Deuxièmement, l’UE n’est plus la cacophonie égocentrique qu’elle était. Pendant longtemps, elle est apparue comme une entité politique faible et repliée sur elle-même, consumée par ses propres crises. On peut soutenir que cela a changé. L’économie de l’UE est de taille presque égale à celle des États-Unis et environ 40 % plus importante que celle de la Chine aux prix actuels. Considérés comme un seul pays, seuls la Chine et l’Inde ont une population plus importante. C’est le plus grand bloc commercial du monde. La moitié des pays riches du monde sont membres de l’UE. Consciente de l’influence que l’on peut tirer de ces chiffres, l’UE a durci son ton envers les États-Unis et la Chine.
La Suisse: un vieux problème pour l’UE?
Le Royaume-Uni et la Suisse ressentent l’impact d’une Union européenne revigorée. Demandant un autre report du Brexit et des concessions supplémentaires, les politiciens britanniques ont dû réaliser que peu de concessions ont été faites et que beaucoup dans l’UE seront heureux de voir le Royaume-Uni partir. Il convient de noter qu’une perte pour l’UE dans son ensemble peut être une bénédiction pour certains intérêts au sein de l’Union. Le Brexit réduit le produit intérieur brut de l’UE dans une proportion équivalentes au poids de ses 19 plus petits membres, s’ils quittaient l’UE. Mais ce départ ouvrirait aussi de nouvelles opportunités au sein de l’Union.
Le président français Emmanuel Macron ne l’admettra pas, mais ses plans ambitieux trouveraient un terrain plus fertile dans une UE post-Brexit. Tôt ou tard, l’Allemagne apprendra qu’elle ne sera plus en mesure d’opposer son veto aux projets des «États membres du Sud» et qu’il sera difficile de renégocier les règles de la double majorité sur le traité de LisbonneLien externe. Pour de nombreuses forces au sein de l’UE, le moment est venu de «se débarrasser de certains vieux problèmes». Cela inclut les privilèges britanniques, mais aussi le trou béant dans la carte de l’UE délimité par la Suisse.
David et Goliath
Les conséquences pour la Suisse sont déjà visibles. Plusieurs pays d’Europe de l’Est ont exigé des contributions suisses plus importantes pour le «milliard de cohésion». Il n’y a pas si longtemps, les autorités allemandes se sont senties habilitées à encourager la violation de la législation suisse en achetant des CD contenant des informations fiscales. Il y a dix ans, les lois sacrées du secret bancaire suisse ont été rapidement abandonnées sous la pression. La Suisse se retrouvera à nouveau en David face à Goliath. Les statistiques commerciales mettent en lumière ce déséquilibre: les exportations suisses vers l’UE s’élèvent à environ 16’000 francs par personne, tandis que les exportations de l’UE vers la Suisse ne représentent que 350 francs par personne. Il n’est pas surprenant que l’UE présente à la Suisse deux options pour l’accord-cadre: à prendre ou à laisser.
Une dernière leçon économique tirée de l’aventure du Brexit concerne son impact étonnamment faible jusqu’à présent sur l’économie britannique. De nombreuses prédictions d’un ralentissement économique immédiat après le vote du Brexit se sont révélées fausses. Avec 3,9 %, le taux de chômage britannique est aujourd’hui plus bas qu’il ne l’a jamais été depuis 1975. Néanmoins, l’économie du Royaume-Uni croît plus lentement que celle de tous les autres pays du G7, et les recherches actuellesLien externe de Benjamin Born et de ses collègues suggèrent une perte importante de la production économique. L’une des principales raisons pour lesquelles la situation ne s’est pas détériorée tient au fait que la livre sterling a pu se déprécier de plus de 10% par rapport à l’euro. Si seulement la Grèce avait eu cette option.
Perspectives
La saga Brexit n’aura pas une fin heureuse. Quoi qu’il en soit, le Royaume-Uni devra faire face aux conséquences d’un défi lancé à son plus proche allié et partenaire commercial, un moment où ce partenaire se sent et agit de plus en plus enhardi. Le général et stratège chinois Sun Tzu a écrit: «Gagnera qui sait quand combattre et quand ne pas combattre». Le Royaume-Uni a choisi le mauvais moment et n’a jamais complètement développé une stratégie pour gérer Brexit. Le résultat ne sera pas catastrophique, mais une perte importante pour le niveau de vie des Britanniques.
La position de la Suisse à l’égard de l’UE est très différente. Le pays n’a jamais été membre de l’UE et possède des décennies d’expérience dans les négociations avec l’UE. À l’heure actuelle, cette expérience est grandement nécessaire et il vaudrait mieux qu’elle comprenne les leçons du Brexit.
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Traduit de l’anglais par Frédéric Burnand
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