Paris assène une volée de bois vert à la Suisse
La France s’irrite du manque d’entraide administrative de la Suisse en matière fiscale. Le ministre du Budget menace de changer de «méthode» dans les relations bilatérales. François Hollande et Eveline Widmer-Schlumpf devraient se rencontrer avant fin 2012.
La révision de la convention franco-suisse sur les successions est l’un des sujets qui fâchent. Le nouveau texte, paraphé cet été par les deux Etats, est très favorable à la France: les héritiers résidant dans l’Hexagone de défunts domiciliés en Suisse seront désormais soumis à la législation française, qui impose lourdement les successions. Berne souhaiterait aménager l’accord, afin de faciliter son adoption par le Parlement helvétique.
Le ministre français du Budget, Jérôme Cahuzac, n’apprécie pas ce «recul». Si ce texte devait être remis en cause par la Confédération, «cela amènerait la France à envisager des méthodes de travail différentes. Plus grave, cela pourrait préjuger de la façon dont les autres questions pourraient être abordées», a menacé mardi dernier le ministre socialiste, lors d’une conférence de presse consacrée à la lutte contre la fraude fiscale.
Car la bisbille fiscale franco-suisse est multiforme. Aux dissonances sur les successions s’ajoute le dossier sensible de l’échange d’informations fiscales. Sur le papier, la nouvelle convention de double imposition, signée en 2009, autorise l’échange d’informations fiscales à la demande. Mais dans les faits, sur près de 300 demandes envoyées par Paris depuis 2011, 40 à 50 seulement auraient abouti à des réponses satisfaisantes, note le quotidien suisse Le Temps.
«Des réponses peu exploitables»
Une tendance que confirme Vincent Drezet, secrétaire national du syndicat des employés du fisc, Solidaires Finances Publiques. «Moins de la moitié des demandes françaises ont obtenu des réponses, et la plupart d’entre elles se sont révélées peu exploitables.»
«Ce qui coince, précise Le Temps, c’est la pratique helvétique d’informer le contribuable visé par une demande française concernant ses avoirs en Suisse.» Une pratique contraire aux standards de l’OCDE en matière de coopération fiscale.
La nouvelle loi sur l’entraide administrative, encore en discussion au parlement, devrait adapter la norme suisse aux critères de l’OCDE. Mais elle ne devrait entrer en vigueur qu’en 2014.
La coopération fiscale n’est «pas au mieux», résume Jérôme Cahuzac. Côté suisse, on s’étonne des pratiques très cavalières révélées par Le Matin Dimanche. D’après le journal romand, des enquêteurs du fisc français mènent, en toute illégalité, des investigations discrètes en Suisse.
Sur leurs temps de vacances, ils effectueraient des repérages près de sièges, supposés fictifs, d’entreprises installées en Suisse. Scénario de film policier? Il s’agit bien d’une «réalité», estime le procureur général de la Confédération Michael Lauber.
A Paris, cette histoire de «barbouzes» infiltrés en Suisse suscite le scepticisme. «Je n’y crois pas. A quoi servirait de faire des repérages si l’on ne peut s’en servir dans le cadre d’une procédure officielle?», s’interroge Vincent Drezet. Vraie ou fausse, cette affaire «témoigne en tout cas du climat de mauvaise coopération entre la France et la Suisse», estime le responsable syndical.
Rubik inquiète
Les accords Rubik, conclus par la Suisse avec plusieurs Etats européens n’aident pas à rétablir la confiance. Ce système prévoit d’imposer à la source les contribuables étrangers possédant de l’argent en Suisse et de reverser le montant à l’Etat concerné. Le tout en échange du maintien du secret bancaire.
«Les tentatives de la Confédération pour imposer en Europe un accord fiscal, dit Rubik, et s’opposer à l’échange automatique de données fiscales entre pays sont mal perçues (en France)», écrit le quotidien parisien Le Monde au terme d’un reportage en Suisse publié jeudi.
«Pendant sa campagne électorale, François Hollande avait affirmé qu’il étudierait la proposition Rubik, rappelle Me Patrick Michaud. Mais aujourd’hui, le climat est davantage à la transparence totale, à la «République morale», qu’à l’efficacité économique», estime l’avocat fiscaliste.
Vendredi, la Chambre haute (Bundesrat) allemande devrait sauf surprise rejeter l’accord Rubik signé par le gouvernement allemand. Un refus qui pourrait dissuader définitivement la France d’entrer en matière sur le sujet.
Le dialogue franco-suisse est-il en panne? Paris se réjouit tout de même de l’abandon, même partiel, du secret bancaire en Suisse. Le président François Hollande, «ouvert au dialogue» sur tous les sujets, devrait rencontrer son homologue helvétique Eveline Widmer-Schlumpf avant la fin de l’année. «La date n’est pas encore fixée, mais la rencontre devrait bien avoir lieu», assure le porte-parole de la présidente, Roland Meier.
Avril 2009: Pour faire face à la crise, les Etats du G20 réunis à Londres s’attaquent aux paradis fiscaux. La Suisse est placée sur une «liste grise» de l’OCDE. Elle passera en liste blanche après avoir signé 12 accords de coopération fiscale prévoyant l’échange d’informations à la demande. Sur le plan international, le secret bancaire est promis à une rapide disparition.
Août 2009: La ministre française des Finances Christine Lagarde et son homologue suisse Hans-Rudolf Merz signent une nouvelle convention de double imposition. Elle entre en vigueur le 1er janvier 2010.
Mars 2012: Les deux principaux candidats à la présidentielle française, Nicolas Sarkozy et François Hollande, proposent de taxer les riches Français installés en Suisse. Une mesure qui nécessiterait une nouvelle révision de la convention franco-suisse.
Août 2012: La nouvelle convention sur les successions est paraphée par les deux Etats. Désormais, les héritiers résidant en France de personnes domiciliées en Suisse seront taxés par le fisc français. Le texte suscite de fortes oppositions chez les parlementaires suisses, notamment à droite.
Un ex-directeur général de la filiale française d’UBS a été mis en examen récemment pour complicité de démarchage illicite, blanchiment et recel.
Il s’agit de la troisième mise en examen dans cette enquête sur des soupçons de blanchiment et de fraude fiscale. Les deux autres prévenus sont un ancien dirigeant du bureau d’UBS à Lille et un cadre salarié d’UBS à Strasbourg. La banque est soupçonnée d’avoir permis à ses commerciaux suisses de démarcher des clients en France, en violation de la loi, et d’avoir mis en place une double comptabilité pour masquer des mouvements de capitaux entre la France et la Suisse.
Plusieurs perquisitions ont déjà été menées dans les locaux d’UBS, au siège parisien et à Strasbourg, Lyon et Bordeaux. Le président de la filiale française de la banque suisse, Jean-Frédéric de Leusse, avait assuré le 11 octobre dans le quotidien Les Echos que des audits internes n’avaient rien révélé sur ces soupçons.
(reuters)
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