La fragilité de la démocratie
La démocratie est fragile, voire malade aujourd’hui. Dans les pays occidentaux, seul un jeune sur trois vote et le populisme embrase les pays les plus stables.
En Tunisie, la jeune démocratie peine. La phrase prononcée avec un air soucieux par une amie Tunisienne pourtant progressiste secoue: «Peut-être que la démocratie n‘est pas bonne pour nous. Avant, on avait moins de terrorisme et l‘économie allait mieux». Des propos qui heurtent nos oreilles d’occidentaux, aveuglément convaincus que le processus de démocratisation est irréversible.
Dans ce contexte difficile s‘est déroulé le 8 octobre dernier la deuxième rencontre entre femmes françaises, tunisiennes et suisses, à l’invitation de la députée du parlement tunisien Zohra Driss dans son hôtel à Sousse, en Tunisie, ce même hôtel qui avait été frappé il y a trois ans par une attaque terroriste. La démocratie, les difficultés de la transition et la menace terroriste ont été omniprésents dans les discussions.
Les femmes des trois pays francophones se sont réunies pour débattre de la démocratie, d’éducation et de sécurité. Militante, députée et présidente de la commission des libertés individuelles et de l’égalité Bochra Bel Haj Hmida a dressé un tableau des textes archaïques et de la situation en matière de démocratie et de liberté en Tunisie depuis la révolution. La révolution a permis de grandes avancées au niveau des droits des femmes et un débat sur les libertés individuelles qui n’étaient pas au centre des intérêts du mouvement des droits humains. Par contre les violations de ces libertés individuelles ont connu une recrudescence, notamment en ce qui concerne les personnes homosexuelles.
Neila Benzima, une femme d‘affaires, tout comme la professeure en génétique Habbiba Bouhamed Chaabouni et la députée Leyla Hamrouni ont insisté sur l‘importance de la culture et de l‘éducation, en particulier des filles, pour lutter contre l’obscurantisme et consolider la fragile démocratie naissante.
La spécialiste en sécurité Julia Maris a elle insisté sur le fait que le débat sur la sécurité ne devait pas être laissé aux hommes, puisqu’intimement lié à la citoyenneté. Pour ma part, j‘ai pu évoquer les dangers et les chances que présente la digitalisation de la démocratie. Le risque qu‘on entre dans une ère de déconsolidation de la démocratie a finalement été développé par le chercheur Yascha Monk.
La discussion entre femmes à travers la Méditerranée a commencé en 2016 au CEO Dialogue du womensforumLien externe à Dubaï, lorsque la directrice générale du forum Jacqueline Franjou a présenté Amina Bouzguenda Zeghal, directrice générale de l’université Dauphine de Tunis, et moi-même, chancelière d‘Etat du canton de Genève à l‘époque, à Christine Lagarde, directrice générale du FMI. Le courant passe et les projets naissent.
La même année, nous choisissons à Genève, pour la deuxième édition de la semaine de la démocratie, la Tunisie comme hôte d’honneur. Autour du 15 septembre, journée internationale de la démocratie, 6 des 45 événements organisés mettent l’accent sur la Tunisie: une exposition sur la démocratie à l’ONU où les démocraties tunisienne et suisse se font face, des débats avec notamment la députée Bochra Bel Haj Hmida et un événementLien externe qui réunit après plusieurs mois de préparation des étudiants venus de Tunis et des étudiants de l‘université de Genève pour discuter de 4 thèmes:
- comment concilier tradition et modernité?
- quel rôle pour la société civile? Quelle place pour la femme dans la Tunisie post-révolution?
- les enjeux démocratiques des nouvelles pratiques sécuritaires
- éducation, démocratie et laïcité
Le débat entre étudiants était nourri, dense et dénué de tout paternalisme. Les leçons à donner ne venaient pas forcément de ceux qu’on pensait. Non seulement les femmes tunisiennes ont eu le droit de vote 15 ans avant les Suisses, mais les Suisses présents au débat ont aussi suivi avec intérêt les explications sur les expériences de budget transparent et en ligne pratiquées dans une des municipalités tunisiennes.
«La démocratie est fragile, aussi fragile qu‘un sentiment amoureux» Anja Wyden-Guelpa
Le dialogue entre femmes françaises, tunisiennes et suisses autour de la démocratie n’a pas cessé depuis et a même donné lieu à un projet artistique qui a réuni des artistes des trois pays francophones pendant trois semaines sur les îles de Kerkennah, au large de Sfax. Une expositionLien externe au musée du Bardo a également eu lieu dans la foulée, musée qui a lui aussi été frappé par une attaque terroriste meurtrière il y a trois ans.
Après de nombreuses rencontres informelles à Paris, Tunis et Genève, une délégation de femmes tunisiennes s’est rendue ce printemps à Paris à l’invitation de Jacqueline de Guillenchmidt, présidente de Femmes Forum et qui a également présidé la délégation française.
Les échanges ont été fructueux et le sommet des femmes de Tunisie, France et Suisse va devenir un événement annuel. Un rapprochement avec l‘organisation internationale de la Francophonie est prévu, dont le sommet aura lieu en novembre 2020 à Sousse, en Tunisie.
Les échanges numériques entre les participantes se sont d’ailleurs encore intensifiés depuis l‘attentat du 29 octobre dernier qui a vu une jeune femme kamikaze blesser plus de 20 personnes.
La démocratie est fragile, aussi fragile qu‘un sentiment amoureux. Il est difficile d‘obtenir l‘équilibre parfait des attentes et attirances mutuelles et elle est si facile à détruire. Mais la démocratie en vaut la peine. Les femmes tunisiennes, françaises et suisses sont bien décidées à se battre pour la démocratie et l‘éducation. Il s’agit de montrer l’exemple pour que ce soit un peu moins difficile pour les suivantes.
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